” … On construisait un mur à Berlin, Ernest Hemingway se tirait une balle dans le crâne dans les montagnes de l’Idaho, des bandes de racistes blancs attaquaient les Freedom Riders […]. Menaces, découragement, haine, autant de preuves abondantes que ce n’étaient pas des hommes raisonnables qui gouvernaient le monde… ”
Ce mois de juillet 1961, raconté en ces mots par Archie Ferguson, personnage de Paul Auster, ne se distingue pas en essence de juillet 2023, avec son dictateur russe dont les freins menacent de lâcher, les dangereuses tractations d’un Joe Biden en bout de course avec les Mollah iraniens, les leaders ici, là-bas, qui enflamment les esprits sans se préoccuper des risques d’incendie… Que l’on mette sa loupe sur un lieu ou une époque spécifique ou que l’on monte jusqu’aux étoiles pour une vue panoramique, la folie humaine demeure, toujours égale à elle-même. L’évolution, la connaissance et la technologie ne changent rien à cette affaire. Entre deux pics, elle s’apaise, elle y paraît seulement – “Pour mieux te manger mon enfant” –, le temps de reprendre des forces. Clapotis, elle deviendra vague, puis lame qui tout emportera. Comme celle des océans, on ne peut l’arrêter. Seulement attendre à l’abri qu’elle se déchaîne, puis se calme.
J’étais dans ces dispositions quand la sonnerie a retenti, vendredi après-midi, marquant l’entrée du Shabbat. On parle d’entrée du Shabbat et non pas de début. Car le shabbat a ceci de particulier, de magique, qu’il s’invite dans nos vies, les teinte, les élève. Il ne se contente pas d’être un repère dans le temps. D’ailleurs, il se permet, lui dont le nom signifie samedi en hébreu, de s’annexer le vendredi. En partie. Dès l’aube, à Jérusalem, on le sent qui approche. L’excitation gagne les rues. Les pas, les gestes s’accélèrent. Le bruit monte. Le bruit gronde. Puis lentement, en début d’après-midi, une sorte de torpeur semble prendre la ville. Lentement, le silence. Et la sonnerie retentit. Ce jour, différent des autres, sacré parmi les autres, est enfin arrivé. Que l’on croit, que l’on ne croit pas, on l’attend et l’accueille avec joie pour certains, soulagement pour d’autres. D’autres encore pestent qu’il les contraint. Il ne laisse nul indifférent. Le shabbat offre au pays cette respiration, comme en musique le soupir, dont manquent si cruellement nos existences turbulentes.
Sujette aux crises de foi fréquentes, je ne respecte pas la lettre du shabbat, mais je sais l’apprécier. Or cette semaine, j’ai compris combien j’avais besoin de lui. Besoin de ne pas lire les titres de l’actualité. Besoin de ne rien entendre ni savoir. Besoin de ne pas disperser de paroles vaines à tous vents. De ne pas me gaspiller. Besoin de cette pause. De percevoir la création sans distractions ni parasites. Dans mon petit deux-pièces. Avec mon chat, mon livre, loin du monde, loin des hommes, de leur avidité, de leur brutalité et de leur vanité. À l’abri de la folie qui bientôt exploserait. À l’abri de la peur aussi. Tellement inutile ! pensais-je. Car rien n’est entre mes mains. Pas mon destin. Et moins encore, celui de l’humanité.
J’ai passé vingt-cinq heures, car ce jour se permet aussi de durer plus que les autres, dans cet état de grâce – Coupée de la réalité, diront certains. De laquelle ? Celle que l’on nous présente aux actualités ? Celle que prédisent les “experts” ? Ou celle qui nous entoure, à portée de voix, de regard, de main ? Celle de notre quotidien ? J’en suis sortie requinquée. Prête à affronter l’histoire et la sévérité de ses leçons.
© Judith Bat-Or
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