Petite fille, à la nuit tombée, je parlais aux étoiles. Je les regardais dans les yeux. Et elles me répondaient. À leur manière. Par leur lumière. Leur présence tranquille, silencieuse, me rassurait. Me protégeait. Avec elles, je n’étais pas seule. Moins qu’avec les humains. J’aimais en elles tout. Tout ce qui viendrait d’elles. Aussi n’ai-je jamais eu peur d’une invasion d’extraterrestres. Je me demandais même si je n’étais pas des leurs. Je me sentais tellement différente parmi mes semblables. Jusque aujourd’hui, parfois, j’espère en voir débarquer à l’improviste. Pour nous sauver. Je les imagine sages, bienveillants, portant haut les “valeurs humaines”, encore trop étrangères à nous humains. Ils nous raconteraient les histoires d’autres mondes ceux qu’ils auraient traversés avant d’arriver jusqu’à nous. Ils nous éveilleraient à des dimensions inconnues. Nous les écouterions, curieux, émerveillés. Ensemble. Comme des enfants. Ils nous ouvriraient à la vie, la vraie. Ce serait un nouveau début pour l’humanité entière.
Et bien sûr, chaque fois que je croise dans la presse le mot “extraterrestre”, j’entreprends des recherches, je lis, je fouille, j’entrecoupe, je conclus.
Ainsi, il y a quelques jours, en survolant les titres de l’actualité, j’ai découvert celui-ci : “Ovni, le gouvernement américain aurait dissimulé des objets volants non humains” ! Mes antennes se sont dressées. Mes amis, mes alliés, dont la mission sur terre est de nous réparer, seraient prisonniers quelque part, dans une base militaire. Peut-être y sont-ils enfermés dans des laboratoires, observés, malmenés, disséqués. Comme des rats…
Après m’être calmée, je me suis mise au travail. Selon les journaux, un lanceur d’alerte aurait révélé au Congrès américain que l’armée cache “illégalement” avoir récupéré et détenir des “véhicules intacts ou partiellement intacts d’origine exotique” – signifiant ici “non humaine”.
Encore un cinglé, pensez-vous. Sauf que ce monsieur se trouve être un officier décoré de l’armée américaine, ancien du NGA – Agence nationale (américaine) de renseignement géospatiale – membre de la “force opérationnelle” chargée des phénomènes aériens non identifiés, tous des organismes placés sous l’autorité du ministère US de la Défense. Un cinglé plutôt sérieux, vous l’admettrez. C’est ce que le Congrès semble avoir estimé puisque, prenant son témoignage en considération, il a constitué une commission d’enquête.
Depuis, les articles à ce sujet se sont multipliés. La plupart défendant la thèse du farfelu ayant perdu les pédales.
Il n’empêche que le soir, excitée de mes découvertes, j’en ai parlé à ma voisine. Cette trentenaire instruite et intelligente ne s’est pas emballée comme moi. J’ai oublié le déroulé de la conversation. Je me rappelle seulement qu’au début, elle a commenté, blasée, l’incroyable nouvelle. Pour, à la fin, affirmer que les puissants de ce monde se sont déjà organisés pour survivre après que la Terre nous sera devenue hostile, qu’ils ont trouvé une planète où aller se réfugier. Pour elle, pas le moindre doute. Sinon, comment expliquer, m’a-t-elle interrogée, leur indifférence crasse face au réchauffement climatique, aux catastrophes annoncées. “Alors qu’on a les solutions ! Qu’on sait ce qu’il faut faire. Mais ils ne le font pas. Pas besoin. Ils ont un plan B. Qu’ils se fichent des autres. De nous. Que seul l’argent les intéresse, et le pouvoir qu’il leur confère…”
J’en suis restée muette. Sidérée. Je n’ai jamais donné crédit aux théories du complot. Peut-être parce que la première dont j’ai eu connaissance concernait les Juifs ou sionistes. Et j’ai toujours considéré, avec un brin d’arrogance, les complotistes comme des incultes, naïfs, voire stupides. Cette discussion m’a d’autant plus interpellée. De par le sentiment d’abandon qu’il dénotait. Ce désespoir largement partagé aujourd’hui, surtout dans la jeunesse. Par la peur du futur que je lisais entre les lignes. Par la méfiance générale à l’égard des puissants. Et parce que j’en vois la racine dans le cynisme de ces derniers, les grandes fortunes et leurs laquais à la tête des États.
© Judith Bat-Or
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