Shoah : L’émouvant héritage des frères Bielski, ces partisans de la forêt biélorusse

À Los Angeles, Jordan Bielsky relate la saga des frères qui ont sauvé 1 250 Juifs de la Shoah. D’autres membres de sa famille témoignent dans des films, des expositions…

Photo de groupe de membres de l’unité juive de Kalinin (groupe de Bielski) de garde sur une piste d’atterrissage dans la forêt de Naliboki, 1941-1944. Avec l’aimable autorisation de Assaela Weinstein / Photo Archiviste, Archival Affairs Branch, The David M. Rubenstein National Institute for Holocaust Documentation, United States Holocaust Memorial Museum



Capture d’écran du film « Defiance », avec Liev Schreiber et Daniel Craig. (Capture d’écran YouTube)
Brendon Rennert sur le tournage de « Defiance »
Des membres du groupe partisan Bielski se tiennent près du site d’une fosse commune peu après la libération en Pologne, 1945. (Avec l’aimable autorisation de Assaela Weinstein / Photo Archiviste, Archival Affairs Branch, The David M. Rubenstein National Institute for Holocaust Documentation, United States Holocaust Memorial Museum)

Au moment de la Shoah, en sa qualité de commandant du célèbre groupe de partisans des frères Bielski, Tuvia se replie dans les profondeurs de la nature biélorusse avec trois de ses frères qu’il convainc de l’aider à abriter des fugitifs et faire sortir clandestinement des Juifs des ghettos. Ils mèneront également ensemble des opérations punitives contre les Allemands et leurs collaborateurs biélorusses.

On pense aujourd’hui que le groupe Bielski – Tuvia et ses frères Zus, Assael et Aron Bielski – a sauvé la vie 1 236 Juifs, surtout des personnes âgées, des femmes et des enfants. Il s’agit sans doute de la plus importante opération de sauvetage armé de Juifs par des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.


On estime que 25 000 personnes sont aujourd’hui en vie grâce au courage des frères de la famille Bielski, parfois orthographiée Bielsky ou Bell, nom qu’Aron a pris après la guerre.

« C’est un exemple rare de succès et de survie dans l’une des périodes les plus sombres de l’histoire du siècle dernier », explique Jordan Bielsky au « Times of Israel » lors d’une interview. « Ce qu’a fait mon grand-père est encore bien perceptible aujourd’hui ».

Le jeune Bielsky raconte une partie de cette histoire dans une nouvelle production du théâtre The Braid, anciennement le Jewish Women’s Theatre.

Présenté cette semaine à Los Angeles, « Remembrance of Things Present » est composé de 15 scènes de la vie de descendants de survivants de la Shoah. Le spectacle se joue jusqu’au 6 février, avec des représentations en personne et d’autres en direct sur Zoom.

« Ce sont des histoires très fortes, des récits à la première personne, importants à partager », dit Bielsky.

Cette pièce est l’un des nombreux hommages rendus à l’action de Bielski, qui compte également un succès au box-office.

Le livre de 1993 « Defiance: The Bielski Partisans », de l’universitaire Neshama Tec, professeur émérite de sociologie à l’Université du Connecticut, a servi de base au long métrage « Defiance ». Le film, nominé aux Oscars, met en vedette Daniel Craig, Liev Schreiber, Jamie Bell et George MacKay dans les rôles de Tuvia, Zus, Assael et Aron.

Avant la sortie du film, en 2008, un autre petit-fils de Tuvia, Brendon Rennert, avait contribué à la réalisation d’une exposition au Musée de la Shoah de Floride.

Aujourd’hui, Rennert part à la rencontre de lycéens, auxquels il parle de l’héroïsme de sa famille : Tuvia au commandement, Zus à la reconnaissance, Assael à la tête de l’unité armée et Aron, chargé de conduire les fugitifs juifs et d’assurer la communication entre les frères cachés dans la forêt.

« Il savait toujours où ils se trouvaient et connaissait la forêt mieux que personne », dit Rennert.

« Ensemble, les frères formaient une force imparable ».

Dès le début, Tuvia envoie des hommes dans les ghettos pour libérer les Juifs.

Rennert se souvient : « Il fallait évidemment de jeunes combattants, mais il donnait pour instruction de sauver tout Juif, apte au combat ou non.

Tuvia disait souvent : « Je préfère sauver une vieille femme juive que de tuer 10 nazis ».

Lorsque Tuvia meurt, en 1987, il est presque sans le sou. Enterré à New York, il est exhumé un an plus tard pour recevoir des funérailles nationales, avec les honneurs militaires, à Jérusalem », précise Rennert.

Assael, enrôlé dans l’armée russe, meurt au combat en 1945. Zus, lui, s’éteint 50 ans plus tard.

Dans son livre, l’historienne Neshama Tec évoque la mort des parents de Tuvia, le décès de sa femme et de ses deux frères, aux mains des nazis.

Le « Times of Israel » s’est entretenu avec Aron Bell, aujourd’hui âgé de 95 ans, au sujet de la représentation de la mémoire de Tuvia sur scène.

« Dieu merci, cela se sait. Il le fallait. Je suis très fier et très heureux que quelqu’un fasse la lumière sur ce qui s’est passé », confie Bell, à propos de la pièce de Jordan Bielsky et de l’action conjuguée d’autres membres de sa famille.


Depuis leur domicile de Palm Beach (Floride), Bell et son épouse Henryka, 83 ans, dentiste à la retraite, dirigent la Fondation Bielski, qui vient en aide aux orphelins juifs de Pinsk, en Biélorussie.

Henryka attribue au père des garçons, David, personnage un peu oublié du récit, l’ordre de partir dans les bois.

« Des gens venaient chez Tuvia et Zus, à Brooklyn, pour les remercier », dit-elle.

« L’amitié scellée dans cette forêt a duré toute leur vie. Les survivants se réunissent chaque année. Et chaque année, ils sont de moins en moins nombreux ».

Une tranche de leur vie

Jordan Bielsky en costume pour le film « Defiance », en 2007. (Courtoisie)

Alors étudiant au Bard College, Jordan Bielsky adresse un courriel au réalisateur de « Defiance », Ed Zwick: « Je vais tout laisser tomber pour le faire ».

Il apparaît à l’écran lorsque son grand-oncle Zus apprend que sa femme et son fils ont été tués.

« C’était une scène fictive basée sur la réalité », explique Bielsky, qui avait 20 ans à l’époque.

« J’ai complètement revu mon projet de vie. Je suis retourné à l’université et j’ai consacré ma vie à l’écriture, essentiellement en tant qu’acteur et écrivain ».

Aujourd’hui âgé de 36 ans, Jordan se prépare à la diffusion de « Sugar », nouvelle série originale de Mark Protosevich pour Apple TV + avec Colin Farrell en vedette.

Dans la pièce « Remembrance of Things Present », il interprète de nombreux rôles, y compris le sien.

Sa scène est basée sur une interview de Ronda Spivak, cofondatrice et directrice artistique de The Braid, menée avec Jordan et son père, Robert. Intitulée « Personne ne se réveille le matin et ne dit : ‘Je vais être un héros aujourd’hui’ », la pièce parle du sens des responsabilités.

D’autres scènes donnent à voir une fille qui visionne le témoignage de son père à la Fondation de la Shoah de Spielberg, ce qui rouvre de profondes blessures psychologiques.

Une autre scène met en lumière la fille d’une résistante française, qui porte en elle l’exemple de sa mère dans sa propre vie de militante.

Jordan Bielsky lors des répétitions pour ‘Remembrance of Things Present.’ (Courtoisie)

« La Shoah ne s’est pas arrêtée à la Libération », dit Spinak.

« Je suis frappé par les différentes manières dont cela a transformé la vie des personnes élevées par les survivants. Et pourtant, ce qui est peut-être plus surprenant, c’est que ces histoires ne sont pas des tragédies. Certains moments m’ont fait pleurer, certes, mais d’autres m’ont fait ressentir de la fierté et de l’espoir en l’humain. Toutes ces histoires m’ont inspiré à leur manière et m’ont appris quelque chose d’essentiel par les temps incertains qui sont les nôtres aujourd’hui ».

Réalisé par Susan Morgenstern, « Remembrance of Things Present » est présenté en partenariat avec Generations of the Shoah International, la plus grande organisation de familles de survivants de la Shoah au monde, If You Heard What I Heard, organisation de petits-enfants de survivants de la Shoah et The Generations After, communauté multigénérationnelle de survivants de la Shoah et de leurs descendants.

Un parfum d’inachevé

La pièce de Bielsky n’est pas le vecteur de célébration de l’héroïsme de leurs ancêtres.

« Toute occasion qu’a un descendant de Bielsky de parler de cet héritage familial est un cadeau », explique Sharon Rennert, sœur aînée de Brendon Rennert.

Brendon Rennert sur le tournage de « Defiance ». (Courtoisie)


Rédactrice en cheffe à la télévision à Los Angeles, Rennert a tourné des interviews et amassé des informations au sujet des Bielsky pendant une vingtaine d’années.

« Tuvia, [sa femme] Lilka et beaucoup de membres de la famille sont de très grands personnages avec d’énormes personnalités », dit-elle. « Ils sont drôles, poignants et profondément traumatisés ».

Rennert a su capter la candeur fougueuse de sa défunte grand-mère, décédée en 2001, et de sa défunte belle-sœur, Sonia, l’épouse de Zus.

Le témoignage à la première personne de Sonia est disponible en ligne via la Fondation USC Shoah.

Rennert dit « s’être rendue compte, au fil du temps, qu’elle faisait aussi partie de cet héritage et que l’héritage faisait partie d’elle ».

Elle précise avoir voulu faire ce film pour raconter l’histoire vue par un petit-enfant.

Rennert a présenté des extraits de son film en cours de tournage, « Becoming Bielski: A Personal Story of the Bielski Partisans », à l’occasion de conférences, dans des musées et des synagogues.

Une fois le tournage bouclé, elle s’associera à un producteur pour l’aider à gérer le côté commercial, dit-elle.

Pour son dernier tournage, en juillet 2019, elle avait engagé une équipe pour filmer le 75e anniversaire de la libération du camp de Jérusalem. Une centaine de descendants dansaient dans les bois de la forêt de Nakikoki.

Rennert considère son héritage comme un « poids qui transcende les générations ».

« L’histoire a tendance à se répéter et se répète actuellement dans certaines parties du monde, y compris en Ukraine », dit-elle.

« J’espère qu’en continuant à raconter l’histoire, quelqu’un finira par écouter. C’est une responsabilité sacrée. C’est lourd de garder l’histoire dans la conscience [publique] ».

Tuvia Bielsky, aux environs de 1945. (Avec l’aimable autorisation de Brendon Rennert)

Cette valeur est largement partagée par ceux qui sont touchés par les efforts de Bielski.

« Nous sommes tous très fiers de notre famille et très engagés aussi dans la transmission de cette mémoire », affirme l’unique enfant d’Assael, Assaela dite « Assi » Weinstein.

« Mes grands-parents avaient à peu près mon âge à l’époque, entre 70 et 80 ans », explique Weinstein, qui a été journaliste de presse écrite et radio à Tel Aviv.

« Comment auraient-ils pu survivre ? Parce que ma mère a épousé Assael et qu’il lui a promis : ‘Si tu m’épouses, je sauverais ta famille. Je prendrais soin de vous, de vos parents, de vos sœurs et de vos frères.’ »

Au cours de sa carrière, Weinstein a écrit de nombreux articles sur les Bielski.

Après la guerre du Kippour, en 1973, son émission de radio Kol Yisrael consacrée aux partisans survivants installés en Israël est très appréciée. Elle publie également un livre pour enfants en hébreu, intitulé « Yaldat HaYaar » – « La fille de la forêt » -, sur une cousine maternelle dont la pierre tombale à Brooklyn porte l’inscription « la plus jeune partisane ».

Weinstein a une autre passion qui lui tient à cœur. Son mari, Amnon, maître luthier, a créé, avec leur fils Avshalom, Violons de l’espoir. Ce projet est également présenté par Treid.

Pour Jordan Bielsky, « l’héritage [familial] et son poids est la question de toute une vie, en tant que Bielsky, mais aussi en tant qu’artiste ».

Sa pièce transmet le message de « ne jamais abandonner ».

Comme il le dit lui-même : « Il est essentiel que les gens sachent que l’on peut toujours faire quelque chose ».

© Lisa Klug

https://fr.timesofisrael.com/shoah-lheritage-emouvant-des-freres-bielski-ces-partisans-de-la-foret-bielorusse/

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