Piscine de la Butte-aux-Cailles, seul refuge contre la canicule.
Et pourtant, je déteste les piscines.
Se déshabiller sans pudeur devant des inconnus.
Fourrer ses affaires dans un casier étroit, qui ferme mal.
Et l’odeur de la piscine…
Ça sent les pieds et le chlore.
Les pieds.
J’ai oublié d’apporter mes tongs.
La piscine, le meilleur endroit pour attraper des verrues plantaires et/ou une mycose.
Pour être sûr de ne pas y échapper, le maître-nageur m’oblige à barboter dans le pédiluve où des centaines de pieds ont déjà mariné depuis ce matin.
…
La transmission, c’est important.
Mon père, ex-champion de natation, m’avait inscrit dans un club pour que je suive ses traces, ou plutôt son sillage.
Le but était également d’affiner ma silhouette adolescente, un peu trop évasée vers les hanches.
Ça s’appelle « la bouée ». On reste dans le vocabulaire nautique.
Trois soirs par semaine, je m’enfilais des dizaines de bassins en crawl ou en brasse, sous le regard d’un entraîneur/adjudant qui avait le physique et la moustache de Noël Roquevert.
Mes performances étaient assez médiocres et il paraissait évident que je n’étais pas le futur Mark Spitz.
J’y mettais d’ailleurs pas mal de mauvaise volonté. Nager était d’un ennui à périr.
Survint l’incident irréparable.
Un soir où je me trainais comme une limace entre les deux lignes de flottaison, l’entraîneur me hurla :
« Avance plus vite Bon Dieu de m…. !!
Imagine que c’est du couscous devant toi ! »
Je suis sorti du bassin.
Cette lourde allusion à mes origines ethniques était la goutte d’eau qui faisait déborder le grand bain.
En rentrant chez moi, j’ai dit à mon père, avec un peu de mauvaise foi :
« J’y vais plus. L’entraîneur est un antisémite. »
Mon père n’a pas insisté.
Il venait de me faire lire « Réflexions sur la question juive » de Sartre.
Il se retrouvait dans une impasse pédagogique entre son désir d’avoir un fils champion de natation et celui de me voir répliquer à toute insulte antisémite.
Résultat, j’ai gardé une silhouette un peu empâtée vers la ceinture.
…
Piscine de la Butte-aux-Cailles, j’ai plongé avec délice dans l’eau fraîche.
Par automatisme, j’ai vite retrouvé les mouvements fluides du crawl.
Mon père nageait très bien, avec élégance.
Comme lui, j’ai battu à peine des pieds, avec des mouvements amples des jambes.
J’ai pris de la vitesse, m’abandonnant à ces souvenirs où le dimanche matin, mon père m’emmenait à la piscine des Amiraux, pas loin de la Porte de La Chapelle.
© Daniel Sarfati
Merci à Daniel Sarfati pour ces souvenirs « pisciniesques » . c’est à la fois très drôle et la nostalgie…j’adhère! ainsi qu’à la porte de La Chapelle ….