Entretien avec Marc Rameaux. « Le souverainisme : entre déconstruction et reconstruction »

Redéfinition de l’identité, regard neuf sur le monde et exploration sans précédent du souverainisme. Marc Rameaux, ingénieur de formation et acteur engagé du milieu souverainiste, nous présente dans « Le Souverainisme est un Humanisme » (VA Éditions) une perspective originale, défiant les perceptions habituelles de la nation, de la culture et du politique.

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Vous décrivez le souverainisme comme une solution politique complète face aux défis du monde moderne. En quoi le souverainisme se différencie des autres courants politiques dans sa manière de répondre à ces défis ?

Le grand défaut des courants politiques actuels est que soit ils se plient aux ravages de la mondialisation comme à une fatalité inéluctable, soit ils la combattent d’une manière primaire, dangereuse et vouée à l’échec. 

Nous sommes pris en tenaille entre le monde standardisé, individualiste, nihiliste du mondialisme et des réactions à celui-ci sous la forme de replis purement défensifs, par exemple le RN, ou des communautarismes irréalistes, voire violents, tels que LFI, EELV ou celui des islamistes. 

Le véritable souverainisme est un courant politique qui reste à construire. La meilleure façon d’aborder les défis du monde moderne est de ne pas sous-estimer leur puissance et leur pression, mais de conserver un recul critique vis-à-vis d’eux, de garder la tête froide et une vision stratégique afin de ne pas être condamnés au suivisme. 

Le souverainisme consiste à privilégier le fait d’être maître de son destin, en puisant dans une lignée historique à laquelle nous appartenons collectivement. Il est lucide quant à la pression économique et culturelle du mondialisme. Mais il ne se contente pas d’être passif ou réactif vis-à-vis de lui. 

Paradoxalement, c’est parce qu’il se nourrit en permanence de son héritage passé, culturellement et historiquement, qu’il possède un temps d’avance sur l’avenir. Celui qui cherche à être moderne en permanence sera dépassé : « être dans le vent, une ambition de feuille morte » disait Gustave Thibon. 

Les fréquents aller-retour du gouvernement Macron, sur le nucléaire ou les turbines Arabelle par exemple, illustrent très bien cette volonté de coller à la modernité sans savoir où il va, pour se retrouver dans la position du suiveur. 

Le souverainisme puise dans nos lignées historiques non pas par nostalgie, mais comme un terreau qui nourrit sans cesse notre imagination. Il permet ainsi de se différencier, clé essentielle pour affronter le monde moderne.

Votre proposez une « reconstruction des identités » face à la mentalité « woke ». Pourriez-vous préciser en quoi consiste cette reconstruction et pourquoi est-elle nécessaire, à votre avis, dans le contexte actuel ?

Nous vivons depuis des décennies sous l’influence idéologique de la « déconstruction ». L’homme moderne est sommé de se défaire de tout ce qui le constitue : il doit abolir sa mémoire, sa culture, son sentiment d’appartenance à une lignée historique, jusqu’à sa sexualité. Il doit ployer sous le poids d’une culpabilité permanente, s’excuser d’être qui il est, faire constamment repentance. 
 
Par une curieuse perversion de l’esprit moderne, être ouvert aux autres requiert de s’anéantir, d’effacer toute aspérité, tout trait de personnalité, tout engagement qui pourrait offenser autrui. 
 
S’effacer et éviter toute forme de conflit est le meilleur moyen de provoquer l’agression d’un prédateur. Car notre monde moderne est hostile, l’autre n’est pas nécessairement bienveillant. C’est un fait connu de la psychologie : une véritable relation à l’autre requiert d’être confiant dans ce que nous sommes. 
 
La bienveillance n’apparaît que lorsque l’on est sûr de sa propre force, c’est-à-dire l’inverse d’un être déconstruit. Une bonne paix ne s’obtient qu’entre guerriers repentis qui se respectent mutuellement, jamais entre pacifistes, c’est une leçon de lucidité sur la nature humaine. 
 
Le terme d’« identité » est de nos jours chargé de connotations péjoratives : celui de rejet de l’autre, d’attachement étroit et grégaire à un clan. 
 
Nul n’a songé à l’autre sens du mot « identité », celui qui fait de tout être humain une personne digne d’intérêt et de considération, parce qu’elle représente un point de vue unique sur le monde, une signature qui lui est propre. 
 
La personne – et sa personnalité – sont l’inverse de l’individu, cet être moderne égoïste, narcissique, atomisé, à la merci de règles et de monstres bureaucratiques face auxquels il n’est qu’un pion. 
 
Reconstruire la personne et chasser le spectre de l’individu permet de dépasser la contradiction entre l’individuel et le collectif, plaie du monde moderne. Nous n’aurions le choix qu’entre une sacralisation de l’individu égoïste, caricature des idéaux premiers du libéralisme, et l’entretien de sentiments grégaires et claniques. La nation s’est précisément construite en opposition à ces deux écueils. 
 
L’identité d’une personne est le point de vue unique qu’il représente sur le monde. L’identité d’une nation est la longue lignée historique que la personne reçoit en héritage, le milieu nourricier dans lequel son imagination, sa pensée, ses sens et sa mémoire ont baigné. 
 
Un être pleinement construit est constitué de ces deux identités, celle de sa personne et celle de sa lignée historique, la rencontre entre sa personnalité propre et celle de son pays. Cela ne signifie d’ailleurs en rien qu’il faille être né en France pour épouser la longue lignée historique qu’est la France et souhaiter de toutes ses forces y appartenir. « Je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines » disait Romain Gary. 
 
Être citoyen français n’est pas une affaire de règles formelles à respecter, ou même de principes républicains. C’est lier son destin en tant que personne au destin d’une nation, hériter de sa mémoire et de sa culture pour la faire sienne. 
 
Cette reconstruction est indispensable de nos jours, car le fameux « vivre ensemble » le nécessite. Je ne parle pas du sens moderne lénifiant et bêtifiant qui a été donné à cette expression. Mais au sens que Renan lui donnait. 
 
De nombreux modernistes se réclament de la définition d’une nation par Renan. Ils ignorent le niveau d’exigence que celui-ci y plaçait : être citoyen français requiert une adhésion sans faille, un engagement spirituel, même si celui-ci n’est pas religieux. Sans cet engagement, notre pays ne sera qu’une superposition de communautés, génératrice de violences. Il sera livré également à la violence du monde extérieur.

L’humanisme, par son attention portée à l’individu et son respect de la diversité, semble parfois en contradiction avec le souverainisme, souvent perçu comme prônant l’homogénéité culturelle. Comment avez-vous concilié ces deux courants de pensée ?

Il faut tout d’abord noter que de nos jours, ceux qui veulent la mort des nations sont aussi ceux qui veulent la mort de l’homme. Ceux qui tiennent à nous persuader que notre pays n’est rien sans son appartenance à la grande organisation bureaucratique qu’est l’Union Européenne, sont aussi ceux qui veulent nous convaincre que le moi n’existe pas, que notre identité en tant que personne est friable comme de la mauvaise pierre. Ils s’acharnent à ce que nous nous considérions comme faibles et en besoin d’assistance permanent. 

L’humanisme des mondialistes – dont ils revendiquent d’ailleurs le monopole – ne respecte pas la personne en tant que telle, mais cultive l’individualisme de chacun. On le sait et mieux encore depuis Orwell ou Ray Bradbury, effacer la mémoire historique d’un homme, sa culture, ses souvenirs est la meilleure façon de le déstabiliser puis de le contrôler. Ce mécanisme psychologique est celui des sectes : celles-ci prétendent d’ailleurs à un humanisme doucereux et faux, ressemblant comme deux gouttes d’eau à celui des mondialistes. La manipulation fondée sur les bons sentiments, rabaissant l’estime de la personne de façon insidieuse. 
L’humanité de particules élémentaires du mondialisme prétend respecter la diversité de chacun, mais aboutit à l’exact inverse : une humanité standardisée, normalisée, MacDonaldisée. 

Le souverainisme respecte par définition la culture de toutes les autres nations : on ne peut prétendre être souverain si l’on ne respecte pas la souveraineté d’autrui. Une expression était couramment employée il y a 50 ans et a disparu des éléments du langage moderne : « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». La disparition de cette expression n’a rien de fortuit. 

Un monde respectueux de chacun passe-t-il par une humanité standardisée, un gouvernement mondial abolissant toutes les frontières comme le réclament certains, ou au moins par un grand espace européen estompant puis faisant disparaître ses nations membres ? Ou bien ce monde respectueux de l’homme préserve-t-il les microcosmes que représente chaque nation, précisément les diversités de cultures ? 

Beaucoup de souverainistes ont fait remarquer que les mondialistes ont un problème avec l’altérité, jusqu’à la contradiction totale avec eux-mêmes. Ils se veulent inclusifs, mais excluent quiconque ne pense pas comme eux. Ils prétendent respecter les différences, mais veulent une humanité standardisée, sans origine, sans cultures propres, sans identité de genre. L’humoriste aux interrogations profondes qu’est Gaspard Proust faisait récemment remarquer que cette culture « inclusive » était la négation de la diversité humaine. 
La sagesse africaine enseigne qu’un vieux qui meurt est une bibliothèque qui brûle. Il en est de même d’une nation ou d’une langue qui meurt : un microcosme disparaît, un point de vue unique sur le monde qui enrichissait tous les autres. 

Cette réalité est ancrée dans les principes mêmes du vivant : l’on sait que la survie d’un écosystème croît avec la diversité de ses espèces. Le souverainisme désire que les lignes, les angles, les contours de l’autre soient bien dessinés et fermes, comme les nôtres doivent l’être : sans cela pas d’échange réel, y compris celui du jugement critique. 

La cellule vivante n’est ni un bunker vivant en autarcie ni une zone ouverte à tout vent. Elle possède une membrane, c’est-à-dire une frontière, distinguant son intérieur de son extérieur. Membrane lui permettant d’échanger avec l’extérieur, mais membrane filtrante : la cellule biologique n’est ni bunker ni zone ouverte, mais citadelle. L’autarcie des populistes et des autoritaristes ou l’éventrement des mondialistes sont deux formes de la mort. 

Claude Lévi-Strauss avait déjà fait remarquer que la survie d’une civilisation était affaire de juste distance : trop d’éloignement ou trop de proximité tuent. Le souverainisme apparaît ainsi comme la juste distance propice à l’éclosion de la vie. 

À l’intérieur même d’une nation, le souverainisme n’est pas l’écrasement de toutes les cultures au profit de la seule culture nationale. Là encore, tout est question d’équilibre : interdire tout apport culturel étranger signifie l’autarcie et la mort. Mais placer toutes les cultures apportées par les origines de chacun sur le même plan n’est plus qu’une juxtaposition d’individualités ou de clans, nullement l’aventure collective que constitue une nation. 

J’aime employer une image pour faire comprendre ceci : un grand fleuve est irrigué par plusieurs affluents lorsque l’on descend son cours. Le fleuve France a été irrigué de cours d’eau italiens, polonais, portugais, vietnamiens, maghrébins au fur et à mesure que l’on descendait la ligne de temps de l’histoire, du fait de ses différentes vagues d’immigration. Mais le lit principal d’un fleuve reste son lit principal, que l’on sait distinguer de ses affluents, comme le veut l’hydrologie. Le lit du fleuve France s’est formé historiquement par les dépôts de la culture française, qui existe bel et bien, n’en déplaise à Emmanuel Macron. 

Ni multiculturalisme relativiste, ni cours d’eau fermé aux eaux mêlées, le lit du fleuve France doit continuer de tracer son sillon, tout comme le font les autres nations, sans quoi c’est un monde qui disparaît. 

Ces irrigations nécessitent d’être franc, sincère et courageux sur ce qui est compatible ou non avec la culture française. La véritable ouverture et le véritable respect requièrent d’admettre la critique voire l’affrontement jusqu’au combat, faute de quoi ils ne sont qu’obséquiosité lâche. 

Le drame des difficultés de l’assimilation des cultures arabo-musulmanes en France est que pour celles-ci c’est le Rap qui l’a emporté sur le Raï. Le Raï a fait naître l’espoir d’une très bonne assimilation des communautés arabo-musulmanes dans les années 80 : irrévérencieux, taquin, riche musicalement, plein d’humour, coquin sexuellement, il aurait rejoint aisément les pièces rapportées au sein de la culture française. J’ai la nostalgie des « Chebs » des années 80. 

C’est le Rap qui l’a emporté : violent, territorial, souvent raciste, promouvant une sous-culture de caïd maffieux, fondé sur l’intimidation et le rapport de force. Il n’existe jamais de respect véritable de la diversité sans le courage de l’affrontement ! 

Le souverainisme est un humanisme, parce que le véritable humanisme aime l’humanité malgré et surtout lorsque des affrontements terribles surgissent. Il est accueillant à qui est bienveillant, mais implacable contre qui menace la cité : l’homme maître de lui-même et la nation maîtresse d’elle-même sait faire cette différenciation. Le souverainisme procède d’une vision réaliste de l’humanité, parce qu’inscrite dans les sillons profonds de l’histoire, lignées historiques dont les mondialistes et européistes sous-estiment l’invincible profondeur. 

Un Emmanuel Macron ou un dirigeant européiste prétendra toujours qu’il est conscient de ce juste milieu. Mais dans les faits et dans l’action, il se retranchera derrière le lâche constat de son impuissance ou derrière des règles juridiques formelles jamais inscrites dans la réalité de l’histoire, montrant que son attachement n’est que de pacotille. 

Le véritable humanisme se confronte avec engagement et courage aux meilleurs comme aux pires aspects de l’humanité. Il ne fuit pas derrière des visions édulcorées et affadies de l’homme : il faut être comme l’ogre Balzac, celui magnifiquement représenté par Rodin, plein de vie et d’histoire pour affronter dans une saga truculente le meilleur comme le pire de l’humanité, celui de la Comédie humaine. 

Le souverainisme, parce qu’il considère les hommes et les nations non pas comme des individus égoïstes et des clans étroits, mais comme des lignées historiques se rencontrant et faisant la richesse du monde, est la continuation de l’humanisme. Comme l’humanisme du XVIe siècle, il affirme sa confiance en l’homme, l’homme de toujours et non pas l’homme nouveau et artificiel, que tous les totalitarismes ont essayé de créer. 

La France est la patrie qui a donné naissance à Molière et à son Tartuffe, à François de La Rochefoucauld, à La Fontaine. Ces trois auteurs, tous trois du Grand Siècle, ont très bien compris et mis en scène l’hypocrisie de ceux qui se veulent vertueux, le narcissisme et l’égocentrisme que peuvent cacher les bons sentiments. 

Les bigots modernes et vrais Tartuffes ne défendent plus la piété religieuse, mais l’humanisme de pacotille, ersatz d’engagement spirituel et de vie intérieure d’une époque qui s’est acharnée à les détruire. Le véritable humanisme n’est pas affaire de plaidoyers larmoyants ni de reportages photos de quelques heures dans un camp de réfugiés pour retourner ensuite dans un hôtel de luxe. Ceux que Milan Kundera et son ironie mordante appellent « les danseurs », les « humanistes » lénifiants et bêtifiants bien plus préoccupés par la mise en scène d’eux-mêmes que par l’aide aux autres. 

Ceux qui travaillent dans le véritable domaine humanitaire, travailleurs sociaux, ATD quart-monde, Emmaüs… savent à quel point l’aide aux autres nécessite parfois une grande dureté et une grande lucidité. Les « humanistes » d’aujourd’hui s’enfuient en courant dès lors qu’il faut faire face aux affrontements que leur doctrine bêtifiante et narcissique a provoqués. Le souverainisme, parce qu’il fixe clairement les frontières de ce qu’un homme et une nation approuvent ou combattent, est le véritable humanisme.

Vous parlez des solutions économiques proposées par le souverainisme. En quoi elles peuvent être efficaces pour stimuler la croissance économique, tout en préservant l’autonomie nationale ?

Toutes les économies fortes, actuellement USA, Chine, Japon, Allemagne, Corée, mais ceci a été valable de tout temps, appliquent un principe simple : être libre-échangiste sur la diffusion de leurs biens et services, mais très protectionnistes sur leurs savoirs et leurs savoir-faire. À travers le CFIUS et tout un arsenal juridique complémentaire, les USA sont le pays le plus protectionniste au monde sur ses savoirs et savoir-faire. 

Ceci est inhérent aux lois de l’économie. Contrairement à l’enseignement scolaire des bancs de l’école et de l’université, l’économie n’est pas affaire de « concurrence pure et parfaite », d’échanges fluides et pacifiés, de « jeu gagnant-gagnant ». 

L’économie consiste avant tout à construire un avantage compétitif sur les autres et à le maintenir le plus longtemps possible. L’asymétrie d’information et la propriété intellectuelle sont son moteur, la source de la création de valeur : Joseph Schumpeter l’a le mieux décrit. 

Les « échanges gagnant-gagnant » et « l’équilibre » n’adviennent que lorsque cette course féroce et implacable à l’avantage compétitif s’équilibre entre protagonistes de même force. La paix économique comme celle de l’art de la guerre ne se conclut qu’entre deux guerriers repentis et ayant lutté jusqu’à épuisement, non selon un quelconque « accord ». 

Pour cette raison, le clivage entre libre-échange et protectionnisme est simpliste et caduc. Le libre-échange c’est l’attaque : inonder le marché de nos produits comme inonder l’adversaire de sa puissance de feu en art militaire. Et le protectionnisme la défense : conserver son potentiel d’énergie, ne pas s’exposer inutilement. 

Je ne prône jamais un protectionnisme obtus, celui consistant à dresser des barrières douanières et des blocages de commercialisation : ceci a la même efficacité que la ligne Maginot face à des adversaires fluides et rusés. Mais le protectionnisme sur nos savoirs et savoir-faire est au fondement même de la création de valeur. 

Opposer les deux revient en art militaire à prétendre que seule l’attaque est bonne ou seule la défense l’est. Tout combattant sait que le bon commandant est celui qui sait les alterner au moment judicieux. 

En pratique, cela est illustré par le fait que la plupart des secteurs économiquement compétitifs en France sont les restes des filières industrielles du Gaullisme : non économiste, le Général s’est révélé bien plus compétitif en économie ouverte que les mondialistes. La nouvelle France industrielle d’Arnaud Montebourg allait dans ce bon sens. 

Les européistes qui se prétendent connaisseurs de l’économie n’ont en réalité pas ou très peu d’expérience de terrain : bureaucrates, juristes, politiques, ils ne se sont jamais frottés au feu de l’esprit d’entreprise, comme un militaire qui ne se serait jamais exposé au feu du combat. 

L’UE n’a ainsi jamais cessé de pécher par naïveté, je l’illustre par de nombreux exemples dans mon livre, qu’il s’agisse de l’affaire Alstom, de l’interdiction de la branche transports d’Alstom avec celle de Siemens pour faire face au géant chinois CRRC, ou encore du SCAF, nouvel avion de combat développé conjointement par la France, l’Allemagne et l’Espagne. 

Je suis moi-même industriel et ai mené des dizaines de grands projets impliquant des quantités de fournisseurs et partenaires de tous horizons, avec la coordination de tous les secteurs d’ingénierie, de fabrication, de forces de vente, de logistique ou d’achat de l’entreprise. La pratique de l’économie réelle montre que les enjeux nationaux s’entrecroisent sans cesse avec les enjeux économiques. 

Emmanuel Macron en a fait la cruelle expérience à plusieurs reprises : qu’il s’agisse des vaccins contre le Covid, du marché de l’énergie ou de celui des semi-conducteurs, il s’est rendu compte que le « make or buy » n’était équivalent que dans les yeux d’un financier voyant la guerre économique de loin. Dès lors qu’une raréfaction intervient, l’on se rend compte qu’il faut avoir clairement défini au préalable les domaines dont on veut rester maîtres et les autres, c’est-à-dire ceux sur lesquels les procédés industriels de conception et de fabrication sont entièrement à notre main. 

Le gouvernement actuel n’a plus que les mots de souveraineté à la bouche, après de spectaculaires et coûteux virages à 180° montrant qu’il ne maîtrise rien. Mais comme pour la persistance des nations, les mondialistes sous-estiment la profondeur et l’engagement que requiert une véritable maîtrise industrielle. Se rendre souverain dans un domaine économique, ce n’est pas se contenter de coups de communication. C’est se passionner profondément pour les métiers et les hommes et comprendre pourquoi ils nous différencient. Sur ce plan économique également, le souverainisme est un humanisme.

© Rédaction du Journal de l’économie

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