La colonne de Judith Bat-Or. Journal d’une Invisible -18-

Judith Bat-Or

Alors voilà, ce matin, à six heures, en allant à ma salle de sport, je réfléchissais…

Comment ça « alors voilà » ? Deux semaines de silence, et l’invisible reprend, comme si de rien n’était ! Un peu gonflée, quand même.

D’accord. Mea culpa. Je me suis absentée. Mais en termes d’abandon de poste, je suis une petite joueuse. Saviez-vous que Dickens, le grand, l’unique, l’incomparable, qui écrivait en feuilleton, comme notre Balzac national, a tiré sa révérence en plein milieu d’un roman, Le Mystère d’Edwin Drood. Eh oui, il a planté ses lecteurs avec un crime sur les bras et de multiples suspects. L’énigme n’en a jamais été élucidée. Une histoire, vous en conviendrez, à attraper des migraines. À sa décharge, la cause de sa désertion était une crise cardiaque qui mit fin à ses jours. « Aussi facile que classique, Charles, le coup de la maladie ! » Ainsi, il suffirait de mourir pour que tout nous soit pardonné. Eh bien, vous m’excuserez, mais je n’irai pas jusque-là. 

J’ai cependant des circonstances atténuantes à avancer pour ma défense.

Ma dernière apparition ici date de l’opération « Bouclier et flèche » à Gaza. Depuis, un phoque moine de Méditerranée, espèce en voie de disparition, s’est échoué sur une plage de Jaffa. Il y a dormi deux jours durant, ce qui a beaucoup inquiété dans ce pays où le concept de « dormir sur ses deux oreilles » est quasiment inconnu. La venue de Julia, nom qui lui a été donné, m’a rappelé ces jolis « interludes » qui survenaient au milieu des programmes de télévision, il y a des années. Ces suites de visions pastorales sur une musique d’ascenseur, courtes respirations dans le flot des émissions, remplacées aujourd’hui par la publicité. Même si à l’ère actuelle, les choses semblent s’inverser : émissions, films, séries jouant les intermèdes entre salves publicitaires. 

Tout ça pour dire que Julia, notre visiteur des mers, a détendu l’atmosphère. Une détente relative et brève. Israël vit en apnée. Dans la peur existentielle. Une opération se termine, et la prochaine déjà couve. De menaces ouvertes en hostilité larvée. Avec au Nord le Hezbollah, et au Sud le Hamas, qui préfèrent armer leur peuple que l’éduquer, le nourrir, le loger décemment. À l’Est le Fatah, qui, feignant de bonnes intentions, dédommage généreusement les familles des chahids, martyrs, « tombés » en tuant des Juifs, du moins en essayant. Avec plus loin, l’Iran qui, déclarant sans pudeur son intention de nous détruire, poursuit sa course effrénée à l’arme nucléaire. La Tunisie, l’Algérie, qui encouragent leurs athlètes à refuser d’affronter leurs concurrents Israéliens. Et jusqu’à l’Occident où, désormais, pour beaucoup, « sioniste » est un vilain mot. 

Pendant ce temps, chez nous, règne la division – nos ennemis sourient, commentent, parient sur notre implosion. Des dispositifs de sécurité massifs encadrent la moindre manifestation, avec quelques records : trois mille policiers pour la marche des drapeaux lors du jour de Jérusalem, deux mille pour la Gay Pride, à Jérusalem encore. Les manifestations contre la réforme judiciaire, rendez-vous du samedi soir depuis vingt et une semaine, mobilisent, elles aussi, les forces de police. Pour nous protéger de nous-mêmes… 

Au milieu de cela, j’ai parfois envie de hurler, pour couvrir ce vacarme, pour dénouer l’angoisse qui se boule dans mon ventre. 

Au milieu de cela, il m’arrive de me terrer pour oublier ma terreur.

Au milieu de cela, la vie s’entête. C’est ainsi qu’il y a dix jours, mon fils s’est marié. Il a cassé le verre, censé nous rappeler, au comble de la joie, la destruction du temple, la dispersion de notre peuple, l’exil. Bris de tristesse. Cris de joie. Youyou. Mazal Tov ! Un nouveau foyer juif est né. Qu’il soit béni.

Ce matin, donc, en allant à ma salle de sport, je réfléchissais à ce livre dont m’avait parlé un ami. « Êtes-vous normal ? » en est le titre. 

Vaste question.

© Judith Bat-Or

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