Gérard Kleczewski. Judikaël Hirel et « Concorde Rouge », le beau visage d’une victime qui veut que « ça bouge » enfin !

Judikaël Hirel et « Concorde Rouge », le beau visage d’une victime qui veut que « ça bouge » enfin !

J’ai connu Judikaël Hirel dans une autre vie. J’étais journaliste dans les nouvelles technologies. Il l’était aussi. Nous travaillions dans deux groupes concurrents. Nous nous croisions souvent dans des événements, tels que des conférences de presse, et j’appréciais à chaque fois nos échanges, brefs mais teintés d’humour, de bienveillance et de respect mutuel. 

Je ne sais pas pourquoi j’imaginais qu’il pût être juif. 
Peut-être la tournure de son prénom qui me faisait penser à Michaël et autres prénoms bibliques du même acabit… 
Peut-être son nom de famille qui se rapprochait phoniquement d’Hillel évoqué notamment dans le Korech de la Haggadah de Pessah comme l’inventeur, à l’époque du Temple, du sandwich ou du casse-croute (pas tunisien), dix-huit siècles avant John Montagu, quatrième comte de Sandwich 😉

Il n’en était rien : Judikaël était Breton et catholique. Et fier de l’être ! 
Ma tentative d’aborder avec lui la question de notre judaïsme en commun était donc tombée parfaitement à côté. Elle le fit sourire et, avec la grande douceur qui le caractérise, il m’avait répondu :  « Je ne suis pas juif Gérard, mais pas de souci, j’en aurais été fier si je l’avais été ». 

Voilà qui caractérisait Judikaël. Qui semble toujours le caractériser, quand bien même nos chemins professionnels se sont éloignés ( il est aujourd’hui Chef de Service Horlogerie et Joaillerie au « Figaro » après avoir longtemps œuvré au « Point », je ne suis que contributeur à « Tribune Juive » en marge de mon travail d’auteur et de mes missions dans la veille et la communication). 

Bien des années après…

Bien des années après nous être vus pour la dernière fois, j’avais appris, à la faveur d’un tweet ou d’un post sur Facebook que Judikaël avait été victime d’une terrible et sauvage agression dans le métro parisien. Qu’il avait tutoyé la mort… Je crois me souvenir avoir posté aussitôt un message de soutien mais je n’eus, par la suite, que des informations parcellaires sur sa convalescence délicate et le début de son combat judiciaire incertain…  

L’annonce de cette agression sauvage dans le métro m’avait d’autant plus impacté que moi-même, au retour d’un match de l’Equipe de France de football au Stade de France avec ma fille, j’avais fait l’objet d’une agression au métro Porte de la Chapelle. On m’avait dérobé mon smartphone, et deux hommes – dont un muni d’une lame – m’avaient plaqué contre un mur car j’avais tenté de récupérer mon appareil auquel je tenais beaucoup (surtout son contenu). 
Ce jour-là, j’avais eu beaucoup de chance et n’avais dû mon salut qu’au fait d’avoir été accompagné de ma fille qui m’avait ramené à l’évidence qu’un smartphone, même flambant neuf, ne valait pas de perdre sa vie… La suite avait été chaotique, entre dépôt de plainte pénible et parfaitement inutile le lendemain au commissariat de Police et impossibilité d’obtenir de la RATP les images de l’agression (deux caméras avaient pourtant filmé toute la scène.)  

Mais enfin, rien de comparable avec ce qu’avait vécu Judikaël qui mit du temps pour revenir de l’enfer dans lequel son agression l’avait plongé… 

Judikaël Hirel, victime de l’hyperviolence et plus encore…

Sinistre coïncidence : les faits concernant Judikaël Hirel eurent lieu à la station Concorde, un 13 novembre. Mais pas en 2015… Et il ne s’agissait pas d’un attentat, même s’il a failli en mourir.  

Près de huit ans plus tard, Judikaël vient de sortir aux éditions du Cherche Midi un livre bouleversant, « Concorde Rouge », qui raconte dans le détail ce qu’il a vécu et les conséquences sur tous les plans de son agression. Il ne le fait pas par sensationnalisme mais pour que son témoignage permette que les consciences s’ouvrent. Que des mesures claires soient prises pour accompagner les victimes, car notamment son après-agression fut un vrai chemin de croix… 

Si Judikaël a été roué de coups, c’est parce qu’il a porté secours à une femme qui venait d’être agressée par un sombre type, visiblement sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue (ou des deux à la fois, on ne le saura jamais, il n’a jamais été retrouvé). Quelques minutes après être intervenu pour défendre cette femme, Judikaël a été attaqué dans le dos, dans un escalier de la station, pourtant pas connue comme la plus criminogène de Paris… 

Judikaël affronte un déluge de coups, portés avec une violence et un acharnement inouïs par l’agresseur de la femme qui s’était caché dans les couloirs. Au sortir de l’agression, Judikaël a le visage en lambeaux – comment ne pas penser en cet instant au livre « Le Lambeau » de Philippe Lançon, survivant du massacre à « Charlie Hebdo » ? … Ses os sont brisés et tout ne tient qu’à un fil…

 
Aujourd’hui, après plusieurs opérations, son visage a été reconstitué mais ne tient que grâce à une cinquantaine de plaques de titane fixées sous la peau. Au quotidien, il doit prendre des antidouleurs et parfois, à l’occasion d’une baisse de température par exemple, les douleurs ressurgissent…

Victime évidente de l’hyperviolence qui croit chaque jour en France et en particulier à Paris et dans la région parisienne, et que les politiques constatent et commentent sans rien changer au fond, Judikaël Hirel n’avait pas conscience qu’il pouvait être un jour une cible. Il a survécu et soudain le sujet est devenu essentiel dans sa vie. 

Il le dit dans son prologue, titré « Ad Vitam » : « On vit, on court, on travaille. On croit que tout est sous contrôle. On ne pense jamais que tout peut s’arrêter. Moi aussi, je vivais, je courais, je travaillais. Comme tout le monde. Mais un 13 novembre, tout s’est arrêté. Quand on prend le métro, on ne se dit pas que l’on peut aussi y laisser sa peau. Il aurait suffi d’un coup de pied de plus pour que j’y laisse la mienne. Aujourd’hui, j’ouvre les yeux, je respire, je me lève. Je suis encore vivant. J’en ai rarement eu autant conscience qu’à présent. J’ai franchi le cap de la cinquantaine. Je vais pouvoir continuer de vieillir. Jamais je n’aurais cru en être heureux. Je suis devenu un survivant ». 

Pourquoi lire « Concorde Rouge » ? 

Sans doute déjà parce que ce livre est magnifiquement écrit, avec un style épuré et sans pathos excessif.  Parce que c’est un homme blessé et meurtri qui écrit, avant d’être un journaliste, et tout ce qu’il nous dit vient toucher notre âme et notre sensibilité humaines. 

C’est aussi, et surtout, parce que ce livre est utile. Il l’est car Judikaël Hirel analyse en profondeur, et sous toutes ses facettes, son « drame » et ses conséquences. Il met aussi en lumière un terrible paradoxe : si les victimes d’agressions sont au cœur des discours des politiques et du pouvoir, elles suscitent en général plus d’émotion que de réelle attention. Et les mots, qui s’évanouissent aussi vite que les bougies s’éteignent après les attentats, ne sont pas suivis par les actes, pourtant indispensables, accréditant l’idée fort répandue de l’impunité perpétuelle des coupables.  

Dans son livre comme dans les interviews qu’il a commencé à donner pour en parler, comme sur « France2 » (1) et sur « Europe1 » (2), Judikaël ne se présente pas en héros pour avoir défendu l’honneur et la santé de « l’inconnue » du métro, qui ne l’est plus, face à un agresseur inconnu, ravi de son méfait, et que la police n’a pas su retrouver… 

Mais il pose les bonnes questions. Celles que tout le monde devrait se poser avec lui : Comment aborder efficacement l’insécurité et briser cette chaine de la violence qui se répand partout en France ?  Comment définir les responsabilités et mettre les coupables directs ou indirects face à leurs méfaits ou leurs erreurs ? Que faut-il faire pour aider et accompagner les victimes, les écouter tout simplement ? Comment aider en particulier les femmes, premières victimes de l’hyperviolence ? 

Au-delà de la douleur, Judikaël est cet homme courageux qui s’autorise à pousser, de l’hôpital aux Palais des justice, en passant par les commissariats de police et l’administration de la RATP, les portes pour  « faire bouger les choses ». 

Au chapitre 4, titré « Un sentiment d’insécurité ? », il s’adresse directement à Maitre Dupont-Moretti, devenu Garde des Sceaux, qui a utilisé cette expression : « Non, maître Dupond-Moretti, ce n’est définitivement pas un « sentiment » qui m’a envoyé aux urgences. Un « sentiment » ne cogne pas à coups de poing et de chaussures renforcées. Ce n’est pas un « sentiment » qui a fait de moi une gueule cassée. C’est un jeune homme d’origine étrangère, à la fois très à l’ouest et très à l’est, vu son fort accent russe. Le profil type du voyou urbain, symbole ambulant d’un ensauvagement du quotidien qu’il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas constater ou reconnaître. Était-il légalement présent dans le pays, ou sous le coup d’une tristement célèbre OQTF, Obligation de quitter le territoire français ? Je n’en sais rien, et au fond, peu importe. Nul ne le saura jamais, seuls ses actes comptent ». 

Un peu plus loin il écrit : « À quel moment notre pays a-t‑il franchi cette frontière invisible entre l’acceptable et l’insupportable ? À quel moment a-t‑on cessé de se soucier des autres, de la sécurité de nos proches, alors que n’importe qui, n’importe quand, peut devenir une victime de plus ? Je ne sais pas vraiment. Mais choisir d’enterrer les drames, de ne pas en parler, constitue tout autant une forme d’instrumentalisation que le fait de les monter en épingle pour les récupérer à des fins politiques et idéologiques. Au fond, si l’on regarde combien de tristes histoires remontent dans la Presse, comparé au nombre total d’agressions ayant lieu dans les transports en commun de l’Hexagone chaque année, la couverture du sujet est en fait, statistiquement parlant, proche de zéro ».

Alors, en refermant le livre, on a clairement conscience que rien ne serait pire que de ne rien faire. Qu’on laisse la situation pourrir ou simplement continuer à se détériorer. 

Judikaël Hirel n’oublie pas les victimes, que pour certaines il cite. Celles qui n’ont pas eu la « chance »  comme lui de survivre, même diminué, mais doublement combattif. 
Nous lui devons de relayer son propos, comme je le fais aujourd’hui. 
Rien ne serait pire que son témoignage et ses messages ne soient pas lus… et compris ! 

Puisse-t-il ne pas avoir prêché dans le désert…  

© Gérard Kleczewski 

 

Notes

« Concorde Rouge, dans la peau d’une victime d’agression », Récit de Judikaël Hirel. Éditions Le Cherche-Midi. 192 pages. 19,95€.

Son passage à Télématin : https://www.dailymotion.com/video/x8l4qzg?fbclid=IwAR0i-ZMcvCR952prsk6C-aKochwglvk-_hBBN66XQA6SWJ8g1kO_nYbUqz8

Son passage à Europe1 : https://www.europe1.fr/emissions/les-extraits-de-linterview-politique/judikael-hirel-les-heroines-au-quotidien-ce-sont-les-femmes-qui-sont-harcelees-dans-le-metro-en-permanence-4185648

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