« Juifs et Capitalisme. Aux origines d’une légende », de Francesca Trivellato, préfacé par Pierre Birnbaum et présenté par Alexandre Mimoun

L’historienne dédie son livre à l’étude d’une légende qui veut que les juifs auraient été les inventeurs de l’assurance maritime et des lettres de change. Grace à des outils de « digital history » et des bases de données textuelles très poussées, elle arrive à identifier l’origine probable de la légende au XVIIe siècle et son parcours de diffusion depuis le XVIIe jusqu’au XIX-XXe siècle. L’origine est ainsi identifiée dans le traité des « Us et Coutume de la mer » d’Etienne Cleirac (1661) dont l’auteur analyse le contexte.

Elle démontre que la légende prend corps à Bordeaux, un lieu où vit justement une communauté de Nouveaux Chrétiens en provenance du Portugal (Marchands portugais séfarades) ayant une importante activité marchande.

En décortiquant le contenu de la légende, elle retrouve – à la G.Todeschini – une représentation chrétienne négative du rôle économique des juifs : « image traditionnelle des juifs comme prêteurs frauduleux et sujets déloyaux prêts à transférer des richesses hors du royaume ».

Mais cette légende aurait probablement été oubliée si elle n’avait pas eu un parcours atypique. Reprise dans un best-seller « Le Parfait Négociant » de Savary plusieurs fois réédité et surtout « L’esprit des Lois » de Montesquieu qui offre l’occasion d’un renversement de sens plus positif à la légende en lien avec la théorie de « doux commerce ».

La période de la Révolution française est une nouvelle rupture où la légende est largement discutée à la fois dans sa version négative et positive à l’heure où l’on se pose la question de l’émancipation de la minorité juive et de l’obtention de droits égaux. Son parcours continue au XIXe siècle et Francesca Trivellato analyse en quoi elle a joué un rôle dans les écrits de Marx, Weber et Sombart à l’heure d’analyser le capitalisme et ses origines.

Enfin, un chapitre entier est dédié à la diffusion européenne de la légende dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest.

Tout au long de ce parcours, on s’interroge sur l’histoire de la représentation chrétienne du rôle économique des juifs mais aussi sur les textes fondateurs de la pensée économique et le rôle de l’imaginaire dans celle-ci.

C’est un travail d’une richesse incroyable qui remet l’histoire économique au centre du jeu – discipline pour laquelle l’auteur réalise un véritable plaidoyer en prêchant pour une approche pluridisciplinaire et réintégrant les spécialistes d’histoire des juifs.

On peut regretter que les notes soient réunies en fin d’ouvrage alors qu’on a affaire à l’un des appareils de notes les plus riche que j’ai pu croiser depuis longtemps. Surtout l’absence de bibliographie récap est un vrai manque !

Ces petits défauts (rendant seulement moins facile la manipulation de l’ouvrage) ne doivent pas vous empêcher de lire cet ouvrage ou au moins d’écouter les multiples podcasts où l’auteur est intervenue pour en parler !

© Alexander Mimoun

Alexander Mimoun est Doctorant en Histoire et civilisations : Histoire et archéologie des mondes anciens et médiévaux. 

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