Les Juifs commémorent l’anniversaire du déclenchement de la révolte du ghetto de Varsovie du 19 avril 1943. Marek Edelman, lors de son décès le 3 octobre 2009 à Varsovie, était réapparu à la une de l’actualité alors que l’Histoire, surtout en Israël, l’avait volontairement oublié. Présumé né en 1920, il avait baigné dès sa naissance dans le Bund, mouvement socialiste juif créé en Pologne. L’Histoire ne veut retenir du ghetto que l’héroïsme de son compagnon de combat, Mordechai Anielewicz, sioniste de gauche, avec lequel il avait fondé en 1942 l’Organisation Juive de Combat.
Vidéo sur le Ghetto
Aidés par le gouvernement polonais en exil à Londres, ils avaient décidé de provoquer une insurrection pour enrayer la vague de déportation des Juifs du ghetto. Ils symbolisent, encore aujourd’hui, le combat courageux de quelques Juifs contre l’armada nazie. Mordechai, commandant de l’Organisation militaire juive, avait écrit le 23 avril 1943 une dernière lettre :«Les Allemands ont fui par deux fois du ghetto. L’une de nos compagnies a résisté 40 minutes et une autre s’est battue pendant plus de six heures… Nos pertes en vies humaines sont faibles et ceci est également une réussite… Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant notre lutte. Le fait que l’on parle de nous hors du ghetto nous donne du courage. Soyez en paix, mes amis de l’extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d’un miracle et nous reverrons-nous un jour. J’en doute ! J’en doute fort ! Le rêve de ma vie s’est réalisé. L’auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat des héros juifs…»
Ghetto de Varsovie
Les Juifs se sont opposés pendant trois semaines avec à peine deux cents résistants, dans un combat inégal et désespéré, à la machine de guerre des Waffen SS. Une répression sans pitié, dans une situation sans issue, entraînera alors le commandant en chef Anielewicz à se suicider le 8 mai 1943 avec une partie de son Etat-Major, avant de laisser la succession à son second, Marek Edelman. Ce dernier, qui avait déjà l’esprit israélien, n’eut alors qu’un commentaire impitoyable pour celui qu’il remplaçait : «un chef n’a pas le droit de se suicider ; il doit se battre jusqu’au bout, d’autant qu’il était possible de fuir le ghetto, malgré les barrages». Mais il a dû se résoudre, lui aussi, à cesser le combat et à fuir par les égouts avec une quarantaine de survivants tandis que les nazis mettaient le feu au ghetto. Il se défendit en affirmant que : «ce sont les flammes qui l’ont emporté sur nous, pas les Allemands»
Ce personnage complexe reste encore aujourd’hui difficile à cerner. Marek Edelman symbolise le premier et le plus spectaculaire exemple de résistance juive armée contre les nazis et pourtant, son aura demeure associée à une tache indélébile dans l’Histoire juive pour avoir refusé de mettre son expérience militaire au service de la création de l’armée d’Israël. Il préfigure en effet l’image héroïque du Juif combattant les armes à la main et inspire l’idéal des jeunes luttant pour l’indépendance d’Israël.
Malgré sa stature de rare héros à avoir traversé indemne la Shoah, il a tenu à rester en marge du monde juif moderne. Il se voulait avant tout polonais et subsidiairement juif. Cette étiquette lui collait tellement mal à la peau qu’il refusa toujours d’assister aux commémorations officielles de la révolte du ghetto. Soit qu’il qualifiait la révolte d’échec et il ne tenait pas à se remémorer cette défaite ; soit qu’il ne voulait pas endosser les habits d’instigateur d’un soulèvement récupéré politiquement par les instances sionistes.
Légion d’Honneur
Le respect à ses idées et à son dogme l’amena à fermer les yeux sur les manifestations antisémites de 1968 en Pologne qui pousseront sa famille, sérieusement inquiétée, à choisir l’exil en France. Il s’acharnera à afficher une fidélité indéfectible à un pays, qui n’a cessé de le rejeter, en acceptant d’être élu député de 1998 à 1993. Son attitude restera totalement inexplicable et sa volonté de rejeter tout attachement avec Israël laissera perplexe une communauté juive pourtant fervente de symboles. C’est pourquoi, l’Histoire d’Israël retiendra l’unique nom d’Anielevicz qui restera attaché au Ghetto de Varsovie.
Bernard Kouchner le fit Commandeur de la Légion d’Honneur en avril 2008 alors qu’Israël ne lui a octroyé aucune décoration car l’Etat juif ne comprenait pas la motivation profonde de son antisionisme viscéral : «chez moi, il n’y a de place ni pour un peuple élu, ni pour une terre promise». Sa volonté de réfuter son allégeance à Israël au point de se rapprocher de ses pires ennemis ne trouve pas d’explication : «quand on a voulu vivre au milieu de millions d’Arabes, on doit se mêler à eux, et laisser l’assimilation et le métissage faire leur œuvre».
Son aigreur mal contenue l’avait ensuite amené à pactiser avec les Palestiniens et à prendre fait et cause pour leur combat. En octobre 2002, il adressa une lettre ouverte aux groupes armés palestiniens pour qu’ils cessent les attentats suicides : «Nos armes n’ont jamais été tournées contre une population civile sans défense. Nous n’avons jamais tué de femmes ni d’enfants.» Les Israéliens ont été scandalisés par le parallèle entre les héros du Ghetto de Varsovie qui combattait les nazis et les kamikazes palestiniens. Le temps aidant, on trouverait bien une explication plausible à l’idéologie antisioniste de Marek Edelman, devenu pour Israël un renégat car ses propos dénotaient une haine, teinté d’amour, envers l’Etat juif.
Le Bund
Seul le retour à l’histoire du Bund pourrait justifier ou, au moins, éclairer cette position rigide. Les Juifs constituaient, dans l’Empire Russe à la fin du 19ème siècle, une minorité fortement concentrée de six millions dans les grandes villes de Varsovie, Kiev, Odessa ou Vilnius. La grande majorité, qui parlait yiddish, s’était trouvée fortement prolétarisée. Les pogroms donnèrent naissance à un élan où le syndicalisme, la politique et l’autodéfense devaient cohabiter.
Le mouvement ouvrier juif, né en cette période, s’était alors trouvé confronté à trois choix d’orientation. D’une part celui des Bolchéviks et Mencheviks, ou d’autre part celui des Socialistes Révolutionnaires qui considéraient que l’émancipation des peuples opprimés passait par la révolution et que la notion même de nationalité ne pouvait être d’actualité. A l’autre extrémité, le choix des sionistes dont les dirigeants, originaires en majorité de l’Empire russe, jugeaient que l’antisémitisme inéluctable se combattait par le départ en Palestine. Mais en ce temps ils prêchaient dans le désert puisque la majorité des immigrants choisissaient l’Amérique comme terre promise en ayant contre eux les instances religieuses.
Le Bund s’intercalera entre ces deux doctrines en optant pour une idéologie originale qui, bien que révolutionnaire, représentait la branche juive de l’Internationale. Il prônait «l’autonomie culturelle» qui permettait aux Juifs de jouir de la totalité de leurs droits nationaux sur le plan linguistique, culturel et cultuel dans les pays où ils résidaient, sans discrimination et sans revendiquer de territoire spécifique. Le Bund, laïc, défendait la liberté religieuse bien que ses dirigeants, athées, fussent foncièrement opposés aux rabbins. Mais paradoxalement, il jugeait que le yiddish devait rester la langue du prolétariat juif dans le cadre d’une assimilation totale.
Aventure polonaise
Marek Edelman, fidèle au dogme créateur de son mouvement impliquant en priorité le renoncement à un territoire national, n’avait pas compris que la disparition du Bund et la renaissance de l’antisémitisme avaient sonné le glas de ses illusions et ouvert de manière éclatante la voie à l’aventure sioniste. Au fond de lui-même, il n’avait jamais cru à la possibilité de l’émergence d’un Etat juif et il a eu le tort de n’avoir pas fait son mea culpa pour ses erreurs de jugement. En préférant continuer son aventure polonaise, en territoire antisémite, plutôt que de mettre sa technique de combattant expérimenté au service de la création d’un embryon d’armée juive de défense, il s’était mis au ban de la société israélienne.
Ben Gourion, qui l’avait accusé de vouloir la rupture avec la Diaspora, lui en avait toujours voulu, au point de décider de l’effacer de la mémoire juive collective. Il n’aimait pas qu’il dénigre systématiquement l’Etat d’Israël en particulier lorsqu’il affirmait : «pour vous Israéliens, la Guerre de Six-Jours a été l’évènement le plus important de l’histoire juive contemporaine. Vous pouvez vous appuyer sur un Etat, des chars et un puissant allié américain. Nous, nous n’étions que 200 jeunes avec six révolvers mais nous avions la supériorité morale».
Israël refuse toujours de le compter parmi ses héros et d’inscrire son nom dans l’Histoire juive. Le monument aux morts du Ghetto de Varsovie, construit en Israël, ne mentionne même pas son nom. Mordechai Anielewicz, le sioniste, restera le seul emblème du soulèvement du Ghetto de Varsovie. Dommage pour l’autre combattant, gauchiste avant l’heure !
Un témoignage de Shulamit Aloni
© Temps et Contretemps
https://benillouche.blogspot.com/2012/04/marek-edelman-le-soldat-juif-perdu.html
Je connue M Edelman en 1967 a Varsovie au TSKZ. Il affirmait une position contre Israël très dogmatique.