Nidra Poller. Cris de guerre. V

Si je t’oublie…

D’abord, le silence des larmes pour les vies souriantes fauchées. Des vies soigneusement construites, anéanties par la haine, non pas aveugle mais infusée, affutée, nourrie… et cajolée. Des larmes au chevet des amours brisés, des âmes déchirées. La beauté du monde, le sacré de la vie fracassé contre les rochers de la brutalité. C’est à nous de trouver le chemin, la sortie, la voie. A nous.

Eretz

Mon sionisme n’est pas un nationalisme (je n’ai rien contre) ; c’est un amour de famille, la reconnaissance envers mon ascendance, l’espoir incarné par ma descendance. Un amour qui embrasse les divergences politiques, les appartenances et les alliances, la pensée, les idées, les choix et les préférences. Eretz c’est le chez moi où je ne vais jamais pouvoir vivre. Mon bonheur se mesure au bien-être de ma descendance, ma sécurité dépend de la force solide d’Israël.  Notre patrie, que j’ai vue renaître, désormais éternelle.

Depuis des mois, j’observe, consternée, une fracture trop profonde au sein d’Israël, qui déclenche des secousses dans le monde entier. [Je me demande si l’hystérie suscitée par les faits et gestes du gouvernement nouveau-Netanyahou ne cache pas, au-delà des discours à l’emporte-pièce, la  crainte de perdre la boussole-Israël du monde libre. Ils ont beau accuser l’État juif de crimes, de péchés et d’erreurs géopolitiques, ils doivent reconnaitre dans leur for intérieur le besoin de sa lumière pour les nations.] 

Sauf à répondre à une demande expresse, je ne prodigue pas de conseils à ma descendance ; je leur fais confiance. En m’efforçant d’articuler une analyse juste de ce qui nous arrive, en Israël, je ne me charge pas d’offrir des solutions, même pas théoriques. Ce n’est pas aux Israéliens de satisfaire à mes exigences ni de faire bonne figure à l’international. Je n’entrerai pas dans les arcanes  du remake judiciaire pour en proposer des modifications. Mes amis et collègues israéliens, fins connaisseurs, réputés internationalement, s’en chargent. Ils ne sont pas de gauche, pas des anti-Bibi primaires, pas sous influence.  Leur jugement sévère et étayé se confirme de jour en jour. C’est sur moi-même que j’impose l’exigence de faire la part des choses, vues de l’extérieur, ressenties de cœur à cœur.

Sois fidèle et tais-toi 

Comment évaluer la quantité et la qualité de l’opposition contre la réforme judiciaire et, au-delà, contre la coalition au pouvoir depuis plus de trois mois ?  Je n’adopterai pas la défense automatique qui consiste à mépriser les manifestants– enfants-gâtés défendant leurs privilèges– et à maudire les amis étrangers qui expriment leur inquiétude–des antisémites à taille unique. Plaquant des étiquettes passe partout sur une situation sans précédent, on traite les opposants en bloc d’anti-Netanyahou aigris et, en conséquence, antidémocratiques, tout en les confondant avec les contestataires « 64 ans c’est non » à l’œuvre aujourd’hui en France  [comparaison « idiote », dixit Emmanuel Navon]. En fin de compte, c’est la démocratie qui s’impose et les sondages, brutalement défavorables à la coalition actuelle, freineront ses ambitions bancales.  

Pour Rachel Ehrenfeld cette foule immense qui envahit les rues depuis des mois n’a rien de légitime, rien de spontané. C’est une pure création  de George Soros, dont elle s’imagine la joie devant le spectacle :  aux États-Unis, l’ancien président Donald Trump est victime d’une inculpation fabriquée de toutes pièces par un procureur dont la campagne a été « financée pour la coquette somme d’un million de dollars par le marionnettiste Soros ».  En Israël, des gauchistes progressistes « qu’il finance en sous-main » sèment le chaos et la division, menaçant l’unité et la sécurité de l’État juif sioniste. Soros’s Justice in U.S. and Israel

Equilibre fragile

Les démocraties sont en crise. Les autocrates se frottent les mains, nos défaitistes se plient devant la chute inévitable de  l’Occident. Ça me révolte !  La démocratie est un idéal, pas un club privé de vieux schnocksdépassés. Nous ne sommes pas condamnés à mort pour nos péchés et nos maladresses passées et présentes. Il faut défendre la liberté chez nous et au-delà. Il nous faut, sans cesse, remettre nos démocraties dans les clous. 

La mésentente qui secoue la société israélienne aujourd’hui révèle l’équilibre fragile qui assure depuis bientôt 75 ans le miracle d’un État juif restauré dans une région foncièrement hostile. Benjamin Netanyahou, qui mérite reconnaissance pour sa contribution énorme à l’État, coincé entre des accusations de corruption et l’impossibilité de gagner une majorité malgré maints scrutins, a bricolé une coalition avec des têtes brûlées. Bingo. Une majorité de 64 à la Knesset. Est-ce radicalement différent des compromis  précédents ? La preuve est dans la réalité qui se déroule devant nos yeux. 

On n’a pas besoin d’étiqueter Ben Gvir et Smotrich d’« extrême droite ». Ça n’a pas de sens dans le contexte israélien. De toute façon, c’est de l’anathème, jeté comme la boue. Je les vois, Smotrich et Ben Gvir, comme des kibitzers. En français on dirait des t’as qu’à. Face à des défis écrasants, ils apportent de petites solutions de crâneurs. Qui n’aurait pas envie d’expulser les Palestiniens de la Judée-Samarie, de les envoyer n’importe où et de fermer la porte à clef derrière eux ? Qui ne voudrait pas ériger entre Gaza et Israël un mur monté jusqu’au ciel et enfoncé dans les profondeurs de la terre, ne laissant rien ni personne passer ? Et s’ils ont encore envie de lancer des missiles, ils seront bombardés, réduits en poussière. C’est une réaction. Pas une stratégie. Sans rendre les Smotrich et Ben Gvir responsables de la violence qui s’abat sur Israël depuis trois mois, on a le droit de croire qu’ils n’ont pas la réponse magique ni à court ni à long terme. 

Tribalisme et tyrannie

Quand la démocratie tourne au vinaigre, ça donne le tribalisme. On choisit son camp et on campe sur ses positions. Le tribalisme bafoue les valeurs et brouille le discernement. On n’analyse pas, on ne juge pas, on se fout de la logique. Les arguments sont ad hominem. Pas de débat, pas de dialogue. Des cris rauques, des méchancetés, des rappels à l’ordre à sens unique. Pendant que les citoyens se crient dessus, les ennemis de la liberté se réunissent et refont le monde. A nos dépens. 

Nous ne pouvons pas nous permettre cette faiblesse, cette déchirure, ce manque de confiance et de responsabilité. Nous sommes en état d’urgence. La guerre qui frappe sauvagement l’Ukraine a réveillé l’Europe, mais nous ne pouvons pas nous défendre sans l’appui solide des États-Unis, la seule puissance capable, financièrement et militairement, de vaincre. Avec notre pleine collaboration. 

Mais capable moralement ? Je connais trop bien mon pays natal. Et je tremble. Le wokisme fait des ravages et les sauveteurs, montés sur des ânes, lui jettent des ordures. Du discours public jusqu’aux échanges privés, voire intimes, on parle junk. Vous ne pouvez pas savoir à quel point c’est creux. La gauche does its thing et la droite, si c’est de cela qu’il s’agit, se consomme de haine anti-gauche. Le contingent autrefois anti-jihad ne voit pas plus loin aujourd’hui que le premier Democrat sur son chemin. Les Juifs de gauche fricotent avec les Students for Justice in Palestine et autres islamistes, les Juifs de droite se prosternent devant Donald Trump, l’ancien président martyre, le futur président providentiel. Plus il est coupable, plus ses disciples maudissent la justice. Sa vantardise grotesque leur sert de stratégie géopolitique. Les millions de dollars chinois, saoudiens, qataris et autres versés dans les poches de leur Trump et de sa famille sont lavés de toute honte alors que les millions chinois encaissés par la famille Biden puent et exigent punition. Trump, qui avait privé l’Ukraine d’aide militaire afin de soutirer des informations infâmantes sur Hunter Biden, touchait à la même époque des millions de la banque chinoise, locataire à Trump Tower.

Mes anciens complices et connaissances sont devenus pacifistes. Pamela Geller vomit le gouvernement Biden, soutenu par le complexe militaro-industriel, qui va envoyer les boys américains rejoindre les troupes de l’Otan massées et menaçantes sur la frontière avec la Russie. Elle dénonce « la participation des forces spéciales américains en Ukraine ».  En 2008, nous sommes allées en Floride, Pamela et moi, pour persuader les électeurs juifs de ne pas voter pour Obama. Nos amis, à l’époque, étaient fiers de leurs jeunes, hautement diplômés, engagés dans les forces armées et postés en Irak ou Afghanistan. Aujourd’hui, Steve Coughlin, Frank Gaffney et Douglas Murray interviennent au sommet anti-guerre de l’AFA (American Freedom Alliance, établie par Oliver North)–« La troisième guerre mondiale »– aux côtés de Steve Bannon. Âme sœur d’ Alexandre Douguine et copain de feu sa fille.  Bannon, qui a ramassé des millions chinois pour lui-même et pour l’entreprise média de Donald Trump, a été condamné pour escroquerie—il avait utilisé à des fins personnelles des fonds collectés pour construire Le Mur.  Par ailleurs, le vieux routier Ted Belman décline, dans un texte interminable, les preuves de la culpabilité américaine, « sans aucun doute l’agresseur dans la guerre en Ukraine ».

Equilibre fragile 2

M’enfin, je m’arrête là. 

Israël dans la tourmente, dirigé par une coalition d’exaspération exacerbée, confronté à la brutalité sans limites des ennemis génocidaires. En France, des snipers sur le toit et des gendarmes dans la cour grillagée protègent le Conseil constitutionnel de la Grosse Colère des déçus par anticipation de sa décision imminente. Et aux USA, des bébés américains anti-guerre et pro-gun, isolationnistes, racistes, antisémites et croyants, la tototte à la bouche et les poches pleines de Haribo top secrets, ont salopé les parois de l’intelligence, de la sécurité, de la confiance, de la liberté.

Qui viendra au secours de cette famille dysfonctionnelle ?

Coda

On était en Floride, en tournée avec Geert Wilders. Il y avait une conférence organisée par la Jewish Republican Coalition, un déjeuner à Mar à Lago, des parlor meetings et tutti quanti. R., officier naval à la retraite, nous a entretenus de l’importance de prévoir éventuellement une flottille de navires pour transporter les réfugiés juifs fuyant un État d’Israël conquis. R. est  un sioniste chrétien sincère.

© Nidra Poller


Nidra Poller, née aux Etats-Unis dans une famille d’origine mitteleuropéenne et posée à Paris depuis 1972,  est une romancière devenue journaliste, le 30 septembre 2000, par la force des choses, dit-elle, par  l’irruption brutale, dans mon pays d’adoption, d’un antisémitisme génocidaire, Nidra Poller est connue depuis comme journaliste, publiée entre autres dans  CommentaryNational Review OnlineNY SunControversesTimes of IsraelWall Street Journal EuropeJerusalem PostMakor Rishon , Causeur,  Tribune JuivePardès …

Elle rédigea longtemps le vendredi une Revue de la Presse anglophone pour la newsletter d’ELNET.

Elle est l’auteur d’une œuvre élaborée en anglais, en français, en fiction et en géopolitique, dont L’Aube obscure du 21e siècle (chronique), madonna madonna (roman), So Courage & Gypsy Motion (novel)

J’assume la contradiction, ajoute Nidra, me disant romancière mais pas auteure.

Observatrice des faits de société et des événements politiques, elle s’intéresse particulièrement aux conséquences du conflit israélo-palestinien et aux nouvelles menaces d’antisémitisme en France. Elle fait partie des détracteurs de Charles Enderlin et France 2 dans la controverse sur l’Affaire Mohammed al-Durah  et soutient la théorie d’Eurabia (en particulier avec Richard Landes).


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2 Comments

  1. « Mes anciens complices et connaissances sont devenus pacifistes. Pamela Geller vomit le gouvernement Biden… ».Eh bien les amis (ou ex amis) de Nidra Poller semblent plus intelligents qu’elle et cette Pamela Geller m’est a priori sympathique. Il existe quand même des personnes qui savent se remettre en question et comprendre que le monde des années 2020 n’a plus rien à voir avec celui des années 70…Ouf ! Cela me rassure un peu. Nidra Poller est toujours dans le déni favorisant son confort moral et son esprit me semble aussi confus que son style : « des bébés anti guerre et pro gun » (?), « la tototte à la bouche 🤑 et les poches pleines de Haribo secrets »🤡… »M’enfin ! »

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