Gérard Kleczewski. « Au cœur du complot ». Rudy Reichstadt

Au cœur du complot, voyage dans l’œil du cyclone complotiste

Le livre est mince ; une centaine de pages. Son propos ne l’est pas. 
« Au cœur du complot » de Rudy Reichstadt, qui parait ce 12 avril aux Editions Grasset, a été écrit en moins de deux mois ; de décembre 2022 à janvier 2023 pour être précis. 
Le texte, qui se lit en quelques heures, n’était pas destiné originellement à devenir un livre, mais un chapitre au sein d’un livre plus complet. 

Il n’empêche, devenu livre, l’essai de Rudy Reichstadt, à qui on devait déjà sur le même thème « L’opium des imbéciles » en 2019, rouvre le débat de la lutte contre les complotistes de tous poils. Un sacré sport de combat… 

Dans l’œil du cyclone

On le sait bien : lui et quelques autres, dont Tristan Mendes France, Thomas Huchon ou Julien Pain, se battent au quotidien contre la meute des complotistes et des « fake addicts » qui ont fait des réseaux sociaux, en particulier Twitter, Facebook et TikTok, leur terrain de prédilection.   

Pour leur combat difficile, on serait même tenté de dire impossible face à la vague sans fin de bêtise crasse, de haine pure et de préjugés en béton qui déferle sur des médias en ligne, mal modérés voire pas modérés du tout, lui et ses compères devenus cibles à leur tour ont recours à différents leviers. Pour Reichstadt, essentiellement un site depuis plus de 15 ans : « Conspiracy Watch ». Mais aussi un podcast sur « France Info » (« Complorama »), ainsi qu’une chronique régulière dans l’hebdomadaire « Franc-Tireur ». 

Soyons conscients que l’exercice est ô combien délicat et pour tout dire inégal. Comment lutter en effet contre les « fake news », les préjugés racistes et antisémites, les insultes et les menaces en tous genres, le harcèlement ad hominem, sans passer pour un censeur de toute pensée alternative à la doxa générale ? 

Les thèses complotistes, des plus réalistes aux plus farfelues, qui font florès à chaque crise (celle des Gilets Jaunes, celle du Covid, celle de la guerre en Ukraine, etc.) méritent sans aucun doute d’être déconstruites, répertoriées, sourcées et dénoncées quand il le faut. Comme les rumeurs qui sont, comme on dit, « vieilles comme le monde » et qui au fil des siècles ont provoqué tant de dégâts – nous autres Juifs savons de toute éternité à quel point d’une rumeur peuvent découler les pires ignominies -, les théories complotistes n’ont jamais eu pour vocation d’établir un monde plus juste, mais de détruire notre monde existant, aussi imparfait soit-il (et il est très imparfait). 
Rien d’étonnant dans ce cadre à ce que leurs cibles soient souvent les mêmes à travers l’histoire. Comme les intentions prêtées à ces cibles. 

Que ce travail expose publiquement Reichstadt et lui valent, comme pour ses confrères Mendes France, Huchon ou Pain, harcèlement, insultes, menaces en tous genres et propos diffamatoires, souvent sous couvert d’anonymat (mais parfois pas) n’étonnera personne. Délégitimer un « délégitimateur » se paye en général cash… Surtout au sein de « communautés » (politiques, religieuses, sectaires, etc.) qui doivent souvent leur existence à la controverse et au conflit ouvert desquels elles se nourrissent.   

Je rêvais d’un autre monde…

Le moteur principal des comploteurs ou des complotistes ? Une revanche sociale que la puissance de réseaux sociaux mal administrés leur offre sur un plateau. Un peu comme dans « La vague » de Todd Strasser, les derniers de la classe qui tiennent leur revanche sur les « bons élèves » dès lors qu’on leur donne ce pouvoir. Ayant une haute idée d’eux-mêmes, leur médiocrité ou leurs échecs ne peuvent être qu’incompréhensibles. Ou pas… Il leur faut alors trouver absolument une raison, au lieu de chercher à s’élever par la réflexion ou le travail. Quoi de plus simple que d’en attribuer la responsabilité à des hommes (ou des femmes) ou des communautés d’hommes (ou de femmes) dont le pouvoir, exorbitant ou injustifié à leurs yeux, ne perdure selon eux que par l’asservissement des « moyens et des sans grade ». 

Ainsi donc retrouve-t-on pêle-mêle les Juifs (qui ?) rebaptisés ici et là Khazars ou dragons célestes, les francs-maçons, les illuminatis, les banquiers, les élites scientifiques, médiatiques ou politiques, les Big Pharmas (en particulier depuis le Covid), mais aussi Macron et « sa femme pas tout à fait femme », et puis Bill Gates, Attali et Soros, et tant d’autres encore…  

La population des complotistes n’est toutefois pas homogène. Si certains suivent, d’autres aiment qu’on les suive. Ceux-là sont prêts à tout, à visage découvert, pour entretenir leur fond de commerce. Car l’enjeu est un enjeu d’audience, donc un enjeu économique sur le mode « plus j’ai de followers plus je gagne de pognon ». Leur audience, monétisée, croit à vue d’œil. De quoi assurer la subsistance de ces « influenceurs » et leur permettre sans cesse de se développer sur tous les fronts (en librairie, sous forme de stages et de conférences, dans une presse alternative, lors d’élections, etc.). Mieux, certains médias « de masse » qui jouent le même jeu (notamment deux chaines qui commencent par C, et une émission qui ne souhaite pas qu’on touche au poste) en font des invités récurrents, voire permanents. Leur verbe est haut, leur profil est agité, ils font du « buzz » et c’est ça qu’on attend d’eux. Pas qu’ils professent la vérité – sinon la leur, à laquelle ils finissent par croire – ou qu’ils partagent culture et bons sentiments. « De bons clients coco », comme on disait à l’époque de l’ORTF.  

Faut-il lire Reichstadt ? 

Reichstadt, comme ses petits camarades de guerre (car c’en est une), se sentent à juste titre un peu seuls face à la meute. Et, de plus, ils ont conscience de ne pas être parfaits. Ils peuvent ici et là se tromper. Mais, contrairement aux complotistes, il est rare qu’il ne s’en excuse pas après vérification, quand on leur signale leur erreur. Par essence, un complotiste ne peut pas en faire autant. Ce serait rompre avec sa « communauté », avec ses intimes convictions, avec la rage vengeresse qui le « tient » et lui permet de s’épancher ad libitum.   

Lire Reichstadt est essentiel car son combat, qu’on veuille l’accompagner ou l’en féliciter, ou juste être au fait d’une réalité souvent complexe à comprendre sans pour autant adhérer à ses thèses, n’est pas une sinécure et nous concerne tous. Une partie de la réponse à la question « quel monde voulons-nous laisser à nos enfants ? » se niche aussi (surtout ?) dans ce combat somme toute Sisyphéen. 

Nous savons, mieux que quiconque, combien la propagande et la désinformation tuent. Combien par exemple le négationnisme a tué une deuxième fois six millions de victimes. Combien toutes les dictatures et les régimes « illibéraux » démarrent toujours en s’asseyant sur la vérité, en dénonçant un ou plusieurs boucs-émissaires et en réécrivant l’histoire.      

Aujourd’hui, l’arrivée d’outils d’IA comme ChatGPT ou MidJourney, qui savent produire sans intervention humaine, « du vrai à partir de faux » n’incite pas à l’optimisme. Il va falloir redoubler d’efforts pour que la majorité de la population sache lire l’information qu’on lui soumet, la comprendre, l’interpréter, éventuellement la remettre en cause ou en douter. Un combat sans doute inégal mais juste pour que les citoyens, quelles que soient leurs convictions, ne puissent pas se laisser berner par l’obscurantisme, sous toutes ses formes, qui se nourrit du faux pour pousser toujours plus loin son avantage…  Dans ce cadre, lire « Au cœur du complot » parait être non seulement utile mais nécessaire. 

© Gérard Kleczewski

« Au cœur du complot ». Rudy Reichstadt. Éditions Grasset. 120 pages. EAN : 9782246823384 

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10 Comments

  1. Rudy Reichstadt s’est autoproclamé combattant contre le « complotisme » de même qu’Annie Ernaux et Fourest se s’autoproclament « féministes » et que la LICRA ou SOS racisme s’autoproclament « antiracistes »:).
    Or mettons les choses au point :

    1) RR ne dénonce jamais les propos complotistes émanant du gouvernement français ou de ses alliés étrangers. Et pourtant il y aurait de quoi faire.
    2) RR n’a aucun problème avec les intox, fake news et incitations à la haine de L’immonde, le New York Times, Liberation, le Guardian, France 24, The Washington post et d’une manière générale la plupart des principales sources de désinformation et d’appels à la haine…En réalité il vise plus modeste : les complotistes du Web, réels ou imaginaires. Quel courage !
    3) Pire : RR et CW utilisent fréquemment et notoirement les accusations de « complotisme » pour s’attaquer à des opposants comme Onfray ou divers intellectuels qui ne sont pas des complotistes mais ont simplement le tort d’être des opposants politiques (or manque de bol : tous les intellectuels le sont aujourd’hui). Voire pour justifier la guerre en Ukraine, car la fin justifie les moyens, n’est-ce pas…
    Donc pour RR il y a les méchants complotistes qui contredisent le pouvoir et il y a les bons complotistes auxquels il ne faut surtout pas toucher car ils appartiennent au bon camp …

    Donc aucune indulgence envers ce genre d’imposteurs. Qu’il s’agisse de la LICRA ou de Conspiracy Watch : bas les masques !

  2. Rudy et son compère Tristan se ridiulisent fréquemment. Face à Pierre Chaillot par exemple, quelle vacuité. Aucun contre argument solide, aucune contre analyse détaillée mais une diatribe creuse et conforme bien huilée, des attaques ad hominem, l’air satisfait du juste. Je lui ai écrit il y a peu pour solliciter de sa part une réponse à Chaillot digne de ce nom, profonde, crédible, à la hauteur de la mission de conspiracy watch, silence radio.

  3. Ni journaliste, ni savant, Reichstadt (diplômé de Sciences po, c’est-à-dire du vide intellectuel) est un commissaire politique au service de l’idéologie dominante. Sa traque aux délires antisémites s’est étendue à toute pensée critique fût-elle juste et pertinente à l’égard des décisions politiques prises pendant le Covid.
    Son activité consiste à défendre le Bien et désigner l’ennemi (forcément antisémite, anti-vaxx, poutiniste, lepeniste).
    C’est surtout un personnage peu recommandable qui préfère le confort moral à la recherche effective de la vérité.

  4. Le fait d’associer mécaniquement « poutinisme » (est qualifié de « poutiniste » quiconque n’est pas russophobe et n’est pas un demeuré va-t-en guerre) et antisémitisme ou extrémiste relève, disons-le, de la débilité profonde. C’est la même rhétorique complètement inepte, hors sol, à côté de la plaque et anachronique que l’on retrouve par exemple chez Fourest. Le but (involontaire ou involontaire) étant de favoriser le racisme, l’antisémitisme et l’extrémisme bien réels qui aujourd’hui siègent entre autres à Paris, Berlin, Bruxelles, Washington et l’ONU.

  5. Un test : demandez à l’anticomplotiste du dimanche ce qu’il pense du sabotage de Nordstream (par nos « alliés » américains, à titre de rappel) et il y a fort à parier qu’il criera au complotisme…Sans aucun argument, évidemment, mais le personnage est tellement malhonnête qu’il n’est plus à cela près. Les complots des usa ayant entraine les deux guerres en Irak sont pourtant aujourd’hui des faits reconnus.
    Les chiens de garde du pouvoir aboient, la caravane de l’information passe…

  6. Hélas depuis qu’il a travaillé pour le gouvernement de Manuel Valls et plus tard avec son ami Gerald Bronner pour la commission contre la radicalisation, Rudy Reichstadt a perdu beaucoup en crédibilité mieux encore c’est un militant macroniste qui alimente directement ou indirectement deux complots celui du « wokisme » et de « l’islamogauchisme »ce dernier concept vide de sens et pourtant si cher à l’un de ses mentors neo-reacs Pierre-Andre Taguieff.

    • @Aurélien Terrassier Vous auriez pourtant réellement besoin d’être deradicalisé vous-même _ si du moins la « déradicalisation » n’était pas une ridiculosité Bisounours. La seule chose de juste que vous dites (malgré vous) c’est que Rudy Reichstadt est un militant Macroniste : cela prouve qu’il pratique le double langage et est, complice de ceux qu’il fait semblant de combattre.

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