Bon
Samedi
J’apprends avec autant de stupéfaction que de joie la réouverture de la pâtisserie Brocco Place de la République.
Quand je parle de pâtisserie, je fais un léger contresens. Il s’agit en réalité d’une Institution.
Le Brocco initial de mon enfance avait été vendu, laissant la place à une pâtisserie lambda, érigée sur les ruines de mon enfance piétinée par ce sacrilège.
Quoi?
Brocco n’existait plus?
Ses viennoiseries aussi croustillantes que moelleuses à l’intérieur, ses gâteaux goûteux et fondants faisaient le bonheur des clients d’un voisinage souvent étendu à de plus lointains quartiers car on venait de loin pour se régaler des merveilles de Brocco.
Sa vitrine extérieure embaumait toute la rue, rendant un arrêt gourmand irrésistible..
J’habitais rue de Picardie et j’empruntais quotidiennement la rue Béranger vers le métro République, accueillie au bout de la rue par les effluves exquises de Brocco.
Les adolescents sont par nature gourmands et affamés, je ne répondais pas à ce critère, petite chose malingre à l’apparence d’enfant sous-alimentée, mais la brise fleurant le pain au chocolat tiède avait souvent raison de ma prévention envers toute nourriture..
Arrêt obligé devant chez Brocco donc ..
Et le pendant de Brocco était le Thermomètre, café trônant au milieu de la Place de la République , à une encablure de la Toile d’Avion. où nos mères achetaient nos blouses d’écolières beiges et bleues portées au lycée Victor Hugo qui préparait nos esprits à un avenir glorieux.
Ces blouses étaient labellisées de notre nom et prénom, histoire de nous rendre facilement identifiables en cas de manquement au règlement intérieur de l’établissement qui interdisait maquillage, vernis à ongle, et ombre virile rôdant à la sortie de ce lycée de filles dont certaines, démangées par une libido précoce, affichaient déjà un impressionnant tableau de chasse.
Les autres se rêvaient en épouses choyées et n’envisageaient d’étreintes que dans les liens sacrés du mariage, la virginité étant un capital qu’il s’agissait de mettre sous cloche avant le Grand Jour.
Je rappelle que nous étions avant 1968, et que le mariage était souvent une priorité prévalant sur toute carrière …
Ce qui n’a néanmoins pas empêché la plupart des élèves de s’offrir de nombreux succès professionnels.
Brocco…
Et le Thermomètre, lieu-dit du judaïsme féminin à accent, recevait quotidiennement son lot de clientes venues boire a glous tay, bavarder et accessoirement jouer aux cartes.
Ces retraitées , souvent rescapées des camps, ayant reconstruit leur vie et fondé une famille, traitaient de concert du sujet qui leur tenait le plus a coeur. Les enfants naturellement.
Die kinder.
Ah ! Les enfants !
Les joies, la fierté gonflaient leurs joues, remplacées parfois par de l’amertume leur abaissant le coin de la bouche.
Mais le sujet était inépuisable.
Dans un sabir mi-yiddish, mi-français..
Enfin quand je dis « mi « , ce n’est pas tout à fait la vérité…
C’était yiddish entre elles et français, ou ce qu’elles en croyaient, au garçon venu voir si elles n’avaient besoin de rien après trois heures passées autour d’un thé.
« Si », répondaient-elles.
« A ptit pou di l’eau chaude ».
Pour allonger le thé qui devait faire encore de l’usage quelques heures .
Grise mine du serveur.
Mais pourquoi commander autre chose?
Et les conversations repartaient de bon train dans cette pépinière ashkénaze où les polonaises étaient majoritaires, ce qui ne gênait pas Mémé, née en Biélorussie, ayant vécu en Ukraine et exilée en France.
Les petits-enfants alimentaient les après-midis en accompagnement du glous tay et j’étais une des raisons des inquiétudes de Mémé: je ne mangeais pas assez, ce qui était un souci majeur qui traversait la salle du Thermomètre.
« A brokh! » ( quel malheur)!!
Sa petite fille va dépérir ou en tout cas devenir si maigre qu’elle ne fera envie à personne et la perspective d’un beau mariage s’éloignait, provoquant l’affliction de Mémé et de presque toute la clientèle du Thermomètre..
L’avenir compensa ses malheurs passés en la personne d’un fiancé -séfarade certes-, mais elle ne fit pas la fine bouche car il était beau et on n’était pas passé loin de la catastrophe.
Brocco…
Tant de souvenirs remontent…
Les rendez-vous vous le dimanche devant la Toile d’Avion, métro République direction Franklin Roosevelt et le Pub Renault, son Banana Split et son Chocolate Sundae…
Brocco …
Merci à l’amie qui a annoncé la nouvelle, touillant ainsi dans ma mémoire les années bonheur restées gravées à jamais…
Que cette journée de week-end de Pâques vous offre des plaisirs infinis qui resteront tatoués sur votre mémoire…
Je vous embrasse
© Michèle Chabelski
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