« Les gens meurent seulement lorsque nous les oublions »
Cette citation de Nikos Kokàntzis, natif de Thessalonique en 1927 et décédé dans cette même ville en 2009, est tiré de son livre « Gioconda », paru en France au cœur des années 70. Il évoque celle qu’il a aimée follement et qui a été déportée, parce que Juive, à Auschwitz. Pour ne jamais en revenir…
Cette citation n’a pas été choisie par hasard par Caroline Bongrand, en guise d’épigramme à son livre « Les Présences », qui sort ce 5 avril aux Éditions Denoël. C’est peu de dire qu’elle est en phase avec le propos du roman et l’histoire qui nous est contée ; La petite et la grande.
C’est peu de dire aussi qu’elle colle à son auteur, que j’ai la chance de connaitre depuis peu. Caroline a déjà publié de nombreux romans, dont – entre autres – « Manhattan Désarroi » (1991), « De la bouche des enfants » (1994), « Avant de te dire oui » (1995), « Pitch » (2000), « L’enfant du Bosphore » (2004, que j’ai beaucoup aimé, prix Alberto-Benveniste), « Le corset invisible » (avec Eliette Abécassis, 2007), « Vous aimer » (2018), « Ce que nous sommes » (2020) et… « Eiffel et moi » (2021). « Eiffel », le film dont Caroline fut la scénariste…
Retour à Thessalonique
Mais revenons à ce roman, « Les Présences ». Et revenons à Thessalonique, ou Salonique, ce lieu magique qui comptait une immense communauté juive avant la deuxième guerre mondiale et que les nazis et Aloïs Brunner ont décidé de décimer, déportant à Auschwitz-Birkenau hommes, femmes, enfants comme vieillards du seul fait de leur judéité, réelle ou supposée.
Quel lien peut-il y avoir entre cet épisode dramatique et la vie d’une maman divorcée à Paris et de son fils Milo ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dévoiler. Il faut le lire ! Mais il y en a un, assurément. Un lien invisible, mais puissant, qui va rejaillir du passé pour se concrétiser au plus que présent…
J’accepte à peine de vous révéler que Milo a une particularité, un handicap (mais pas une tare) : il ne parle pas. Mais s’il ne parle pas, il entend ! Cas rarissime, car quand on est muet, en général on est sourd!
Milo, joli prénom qui vient à la fois du latin « aemulus », autrement dit « émule » en français, et du grec « haimulos », autrement dit « obligeant ». Un prénom qui fait penser à la Vénus aux bras disparus. Un prénom qui a donné beaucoup de variantes : Emile, Milan, Miloud, etc.
Mais de qui donc Milo est-il l’émule ou serait-il l’obligé ? Dans « Les Présences », ce qui revêt une grande importance c’est, qu’un jour, soudainement, l’enfant va prendre la parole, pendant quelques secondes, dans une langue qui n’est pas le français. Des mots incompréhensibles, mais apparemment pas insensés, prononcés inconsciemment devant une Valentine, sa mère, bouleversée. Et de ces mots, dont on comprendra plus tard le sens, va découler une immense quête. Un voyage aux confins de la mémoire qui va conduire Valentine et Milo, accompagnés de Jen, l’amie coiffeuse de Valentine, à Thessalonique…
Là où tout s’est joué quatre-vingts ans plus tôt. Là où tout va se jouer de nouveau… Mais cessons de divulgâcher, je m’étais juré de ne rien vous dire !
Parmi nous…
La roue du temps et le cycle de la vie, les âmes qui nous précèdent et qui nous suivent, celles qui viennent nous visiter et habiter en filigrane nos existences, font ce que nous sommes et ce que nous transmettons à notre tour à nos enfants… Voilà un concept universel, celui de la mémoire et de la transmission, qui imprègne chacune des pages de cette histoire. Je devrais dire de ce conte moderne.
Mais un concept profondément et authentiquement juif, enraciné dans notre culture, que Caroline Bongrand explore avec un talent d’écriture inouï et une sensibilité bouleversante.
Comment vous transmettre le plaisir que j’ai eu à lire ce roman et vous inciter à lire à votre tour « Les Présences » ? Je vous dirais sans doute qu’on ne sort pas totalement indemne de sa lecture. J’ajouterais que, comme tous les bons livres, les bonnes pièces de théâtre, les bons films et les belles œuvres d’art en général, il vous oblige à porter des lunettes différentes sur le monde, à vous interroger sur votre existence, qui parfois ne précède pas l’essence… Désolé, Jean-Paul 😉
Je vous dirais aussi que Caroline Bongrand est une conteuse hors pair, mêlant dans le voyage initiatique et fantomatique auquel elle nous invite un bouquet d’ingrédients sensoriels qui nous fait voyager avec elle : couleurs et lumières, parfums et odeurs, cuisine et architecture… Tant de choses encore…
Je vous avouerais enfin qu’en refermant – à regret – ce roman, j’ai vu dans mon esprit son histoire se métamorphoser en scénario de film. Alors, si un producteur ou un réalisateur avait la bonne idée de s’y intéresser… A moins que Caroline elle-même…
Bref, il faut lire « Les présences ». Partager autour de vous, comme je le fais aujourd’hui, le bonheur immense de lire un tel roman. Un livre majeur et bouleversant. Assurément !
© Gérard Kleczewski
« Les Présences ». Caroline Bongrand. 336 pages. Editions Denoël. 19,90€. ISBN 13 : 978-2207169889
http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Romans-francais/Les-Presences
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