Je profite de ce repos obligé pour me plonger dans les abîmes de Georges Perec…
De lire cet imposant inédit de plus de 500 pages et de relire ce petit livre de 126 pages…
A l’inverse de la disparition ou le « e » disparait, dans ce livre ce sont toutes les voyelles qui s’envolent, sauf le « e »…
L’exercice est très compliqué, mais Perec en est capable…
Un lipogramme n’est pas un énième critère nutritionnel mesurant notre poids de graisses ou notre taux de cholestérol mais une figure de style dans laquelle sont délibérément exclues certaines lettres de l’alphabet. Par exemple : « Les ventes de rennes énervent les fées » est un lipogramme où toutes les voyelles à l’exception du « e » sont exclues. Dans ce cas il s’agit également d’un monovocalisme.
Roi du palindrome (un texte que l’on peut lire dans les deux sens), Georges Perec devint celui du lipogramme.
Il ne se contenta pas d’écrire une maigre phrase où une lettre serait absente, voire un paragraphe ou même un court chapitre, il écrivit un livre en 1968 intitulé : « La disparition » dans lequel le « e » n’apparait jamais. Trois cents pages et cinquante mille mots sans la lettre la plus utilisée en français ! Seul le nom de l’auteur sur la couverture ne respectait pas la contrainte. Non seulement le « e » avait disparu dans la forme de l’écriture mais cette absence constituait également le fond de l’intrigue du roman. Depuis sa parution, on étudie cet ouvrage et l’on a constaté qu’il contient en fait un bien plus grand nombre de contraintes que la seule disparition du « e ».
La « Disparition » n’est pas le premier livre lipogrammatique. En effet, et Perec le savait, en 1939 avait paru un ouvrage d’Ernest Vincent Wright, un écrivain américain, intitulé « Gadsby ». Imprimé à compte d’auteur et le stock initial ayant brûlé, l’ouvrage est d’une grande rareté et vaut une petite fortune. Il n’a jamais été traduit en français.
Si on peut considérer comme une gageure d’écrire un livre où une lettre a été sciemment omise, il faut aussi considérer le travail que doit représenter pour un traducteur la tache de transcrire dans une autre langue un tel roman ! « La disparition » a été traduite en huit langues. En anglais, en allemand, en néerlandais, en suédois et en turc, la contrainte du « e » est respectée. En espagnol et en japonais c’est le « a » qui disparait. En russe, le « o » est absent.
Évidemment, Perec ne pouvait se satisfaire de cet exploit et en 1972, il fit paraitre « Les Revenentes » qui est un monovocalisme en « e », seule voyelle utilisée dans le récit.
Georges Perec, membre de l’Oulipo, considérait que les contraintes d’écriture étaient source d’inspiration de son travail qui, d’ailleurs, donne une clé pour comprendre « La vie, mode d’emploi », ouvrage à nul autre pareil. Il le fit, bien entendu, sous forme lipogrammatique : « Je cherche en même temps l’éternel et l’éphémère ».
© Hubert Bouccara
Spécialiste de Kessel, Hubert Bouccara tient « La Rose de Java« , librairie hors-norme entièrement consacrée à l’œuvre de Gary et Kessel, et décrite par Denis Gombert comme « un lieu atypique, vrai petit coin de paradis parisien pour lecteurs passionnés ».
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