Aziliz Le Corre s’entretient avec Stéphane Courtois: « Jean-Luc Mélenchon est très clair: il veut faire tomber la Ve République »
ENTRETIEN – La France insoumise a une responsabilité dans les violences qui ont lieuen marge des manifestations, analyse Stéphane Courtois, directeur de recherche honoraire au CNRS et maître d’ouvrage du Livre noir ducommunisme (Robert Laffont, 1997).
Jean-Luc Mélenchon et son mouvement s’inscrivent, selon lui, dans une logique révolutionnaire dont le but est decréer une situation qui permette d’aboutir au désordre et qui déstabilise le gouvernement.
LE FIGARO. – Une violence décomplexée déferle maintenant à chaque manifestation, dépassantmême le cadre des contestations de la réforme des retraites, comme ce 25 mars à Sainte-Soline. Est-ce une nouvelle forme de violence ou est-elle enracinée dans l’ADN de l’ »extrême gauche »?
Stéphane COURTOIS. – Les contestations de nature politique, contre la loi sur la réforme des retraites et le recours au 49.3, ont été autorisées et organisées par les syndicats. Ce n’est pas le cas du rassemblement à Sainte-Soline, contre les bassines, qui était interdit. Les cadres légaux étant tout à faitdifférents, les réponses des forces de l’ordre ont été adaptées. Dans les deux cas, les rassemblements se veulent initialement pacifiques. Seulement, l’on constate depuis vingt-cinq ans que se greffent à ces manifestations des personnalités extérieures, que l’on nomme « blacks blocs », et dont la volonté anarchiste et nihiliste est de semer le chaos.
Qu’est-ce qui a changé? Le taux de syndicalisation a chuté progressivement dans les années 1950, passant de 30 % à 17 %. Il est ensuite resté assez stable jusqu’à la fin des années 1970, puis a dégringolé à nouveau pour atteindre 10 % au début des années 1990, selon les estimations du ministère du Travail. Dans les années 1950- 1960, la CGT était la grande centrale syndicale qui dominait largement depuis lafin de la Seconde Guerre mondiale.
Les syndicalistes étaient de fervents militants et dès les années 1960, ils avaient instauré un rapport deforce sans avoir besoin de recourir à la violence. Par ailleurs, la CGT était entièrement tenue par les communistes et avait un service d’ordre musclé. Celui-ci évacuait manu militari le moindre perturbateurqui tentait de s’infiltrer.
Aujourd’hui, les syndicats sont devenus des organismes de négociation avec gouvernement et patronat, et leur culture n’est plus à la violence, mais parfois au blocage. Par contraste, les syndicats allemands,très puissants, organisent une grève générale pour une augmentation des salaires sans que cela entraînede violences!
Est-il juste de considérer que La France insoumise a une responsabilité dans ces violences?
Il n’y a pas de doute. En langage de soixante-huitard léniniste ou anarchiste, cela s’appelle classiquement de « l’agit-prop »: agitation-propagande. Ce qui a été une pratique de tous les communisteset gauchistes. Est-ce que l’Assemblée nationale est un lieu où les députés élus du peuple peuvent se permettre de se comporter comme dans n’importe quels meeting ou manifestation militants? Personnellement, je réponds non.
L’idée de Jean-Luc Mélenchon est très claire: il veut faire tomber la Ve République pour que l’on passe à la VIe République. Institutionnellement, il n’y arrive pas, alors il faut créer une situation qui permette d’aboutir au désordre et qui déstabilise le gouvernement. Il faut sortir de la légalité pour qu’une révolution advienne, n’est-ce pas?
C’est le b.a.-ba de la pensée révolutionnaire léniniste. N’oublions pas que le leader de La Franceinsoumise a été formé à l’école du trotskisme et qu’il a un profond mépris du régime parlementaire, aupoint de ne même pas se représenter à la députation en 2022.
« Notre cause est juste », a déclaré la députée de La France insoumise Clémence Guetté, ce lundi 27 mars sur « France Inter », en réagissant aux débordements qui ont eu lieu à Sainte-Soline. Que signifie cette rhétorique?
Vieil air robespierriste puis léniniste: au nom de la révolution, tout est permis et quel qu’en soit le coût -on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Et ce, avec pertes et profits… En particulier pour les commerçants aux boutiques saccagées et pillées, où les locataires d’immeubles incendiés. Mais celan’intéresse pas les députés de La France insoumise, car pour eux chaque commerçant, chaque parisien est un capitaliste. Or leur objectif est de faire disparaître cette société marchande.
En témoigne également le discours de l’extrême gauche sur la légitimité: seule la rue le serait face au gouvernement. Ce à quoi Emmanuel Macron a répondu: « La foule n’est jamais légitime ». Il a raison, ou alors on sort de la démocratie, dont la seule expression fondamentale et légale reste les élus à tous les niveaux — députés, sénateurs, conseillers départementaux, maires etc., plus de 500.000 en France.Cela envoie un message irresponsable et contribue à la fracturation du pays.
Pour répondre à cette crise, Emmanuel Macron joue le « parti de l’ordre ». Est-ce un pari risqué?
C’est toujours dangereux de jouer avec le feu de la violence de rue, même si de Gaulle l’a très bien fait en1968 ; mais la société, davantage rurale et provinciale, n’était pas la même. Les Français voyaient le chaos depuis leur télévision, notamment lors de la nuit des barricades du 11 mai 1968. Le Général savait qu’une majorité de Français était outrée de voir ces scènes de violence et de voitures incendiées en pleinParis.
C’est pourquoi il a dissous l’Assemblée et que les électeurs lui ont renvoyé une majorité massive.Aujourd’hui le pouvoir risque, au contraire, de se faire désavouer.
Le pari est d’autant plus risqué que, Emmanuel Macron ayant détruit tous les partis politiques – le Partisocialiste et la droite républicaine sont affaiblis, pour ne pas dire inexistants -, et n’ayant pas réussi àconstituer un véritable parti présidentiel, le seul groupe qui tienne un discours homogène et discipliné, c’est le Rassemblement national. Aujourd’hui, le « parti de l’ordre », c’est donc le parti de Madame Le Pen.
*Stéphane Courtois, professeur à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES), dirige la revue « Communisme », publiée aux Éditions Vendémiaire. Auteur de nombreux ouvrages, il a notamment publié « Lénine, l’inventeur du totalitarisme » (Perrin, 2017), salué par la critique. À l’occasion des 80 ans du pacte Molotov-Ribbentrop, Stéphane Courtois a publié une note remarquable, « 1939, l’alliance soviéto-nazie: aux origines de la fractureeuropéenne » (Fondapol, 51 p., 5 €).
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