Emmanuelle Berdugo. Le ménage de Pessah ou la thérapie du placard

Alors voilà.

Comme chaque année j’entame ces soirées  de rangement frénétique a la limite du trouble obsessionnel compulsif avec la fatalité inhérente à  celle qui a tout sauf envie de faire ce qu’elle va faire. La crainte que j’ai du commandement divin de chasser toute trace de levain sous mon toit me tire par le col de la chemise  pour m’asseoir de force devant une image de moi-même que je ne fréquente jamais le reste de l’année : celle d’une maitresse de maison, maitresse de sa maison, autant dire mon double à l’envers.

Tous les jours de l’année, la maison est maitresse de moi et non l’inverse ; je rentre chaque soir de l’année dans une maison différente, sur le sol de laquelle ce ne sont jamais les mêmes chaussettes qui ont divorcé  des autres, sur le plan de cuisine de laquelle ce ne sont jamais les mêmes épluchures de légumes et de fruits qui accueillent mon retour, et sur la table de laquelle trônent divers objets plus ou moins identifiables tels les despotes autoproclamés du jour devant lesquels je m’incline avec la servilité du sujet qui n’a plus la force de se battre pour rétablir ses droits fondamentaux. 

Ce que je viens d’écrire est tout à fait faux depuis un an, date à laquelle mes deux ainés, ayant atteint l’âge de la majorité, ont concrétisé la promesse faite à leur reflet dans le miroir autour de leurs  14 ans- âge lors duquel l’amour ressenti envers ses parents atteint une sorte de paroxysme absolu- à savoir se barrer, prendre le large,  se tirer, oublier qu’on existe parce qu’on est sorti du ventre de sa mère, aller voir chez les autres qui on est, d’où on vient, et ce qu’on fait sur terre, etc., très bien, ok, je suis d’accord, partez avec ma bénédiction, les enfants, après tout, vous êtes là parce que j’ai fait la même chose au même âge.

Soit. 

Sauf que désormais, l’après-midi, à partir de 18.00, je suis seule face à mon frigidaire.

En effet, ma fille de 15 ans et ma fille de 11 ans se sont donné le mot de façon tacite, en l’occurrence prendre le large elles aussi de façon quasi quotidienne chez les copines ou au snif, j’ajoute une   petite précision à l’attention de mes lecteurs non- israéliens , à savoir que non, les enfants israéliens ne sniffent pas de la marihuana dès l’âge de 6 ans tous les après-midi après l’école, le « snif » étant simplement le mot qui désigne le temple social de l’enfant israélien moyen, soit  le centre du mouvement de jeunesse qu’il fréquente avec une assiduité qui frôle effectivement la dépendance d’un drogué, d’où le nom de « snif ». 

Donc, je disais que le soir, à 18.00h, depuis un an, non seulement ma maison ne ressemble plus à un champ de mines, mais en plus je me suis surprise à développer une relation amicale avec mon frigidaire, seul objet du quotidien à émettre un son de moteur qui ressemble à un  ronronnement rassurant et nourricier, un peu trop nourricier d’ailleurs,  et les deux kilos pris depuis un an ne l’infirmeront pas.

Pourquoi le frigidaire, me direz-vous, et pas la machine à laver, le sèche-linge, ou encore, le lave-vaisselle ?

Je voudrais répondre : Je ne sais pas, c’est une évidence, c’était lui et personne d’autre, je l’ai su dès le premier jour. Mais je risque de perdre le peu de la crédibilité qu’il me reste sur cette terre.

En tout état de cause, depuis que j’ai appris à connaitre mon frigidaire et que lui et moi échangeons des accolades régulières, depuis que ma maison est dans le même état que celui laissé le matin, à l’inverse des années précédentes où , quand je rentrais l’après-midi, j’avais l’impression qu’un ouragan de force 10 dénommé  successivement par les prénoms de mes quatre enfants- She Yhou Briim- avait précédé ma venue, depuis enfin que le ménage de Pessah n’est plus une entreprise de démolition puis de reconstruction et qu’il est réduit à  enlever mollement la poussière accumulée à droite et à gauche, depuis  que les enfants de mes amies se marient et que nous sommes invités à leurs mariages,   que les après-midi du shabbat nous faisons avec mon cher mari une promenade lors de laquelle nous rencontrons des couples qui sortent d’une partie de bridge, et que nous nous asseyons sur le même banc  chaque semaine  en train d’observer des enfants qui ne sont pas les nôtres s’éclabousser de jets d’eau,  eh bien  je dois vous dire, les amis, que d’une part,  j’ai eu un peu de temps pour mener des réflexions philosophiques à tendance coaching toutes tendances confondues, entre autres réflexions,   la vie est courte, attrape là au vol, (coaching pour seniors)-  Cueille les roses du moment (coaching pour les adeptes du jardinage), -Pisse sur ceux qui te jugent (coaching pour gens à tempérament nerveux et vessie problématique), Fréquente uniquement les gens positifs (coaching pour les gens qui veulent vivre seuls),- Éloigne-toi des relations toxiques (coaching pour chimistes débutants), -Pratique la charité (coaching pour gens a tendance christianisante)- Cultive tes défauts pour en faire des qualités (coaching pour candidats a top chef )- Et d’autre part, je l’affirme haut et fort :

Il n’y a rien de tel qu’un bon ménage de pessah pour prendre du recul sur les choses de la vie.

Pratiquez la thérapie de placard.

Non seulement vous ne perdrez pas d’argent, mais vous gagnerez de l’espace.

Ce post est sponsorisé par Ikea mon amour, par mes amis du club de bridge, ainsi que par tous les coachs d’Israël, de France et de Navarre.

Et bien sûr, par Sharp, la marque de mon meilleur ami frigorifiant. 

Bonnes fêtes à tous !

© Emmanuelle Berdugo

Mère de 4 enfants, Emmanuelle Berdugo est avocate en Israël. L’écriture est sa passion. Depuis quelques années Elle écrit des posts en mode « tranches de vie israélienne » sur Facebook

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