Depuis trois mois, des crimes en série consistants à empoisonner des étudiantes fait naître un début de psychose en Iran. Si de nombreux observateurs s’interrogent encore sur les auteurs de ce crime à la fois odieux et honteux, tous s’accordent sur sa nature organisée. Dans son édition du 2 mars 2023, le journal Sharq résumait parfaitement la pensée commune : « Une opération aussi complexe et importante, impliquant des dizaines de lycées de jeunes filles dans différentes villes, ne peut être l’œuvre d’une seule personne. La préparation de la substance toxique, son encastrement pour la cacher, sa diffusion dans l’environnement, l’action dans différentes villes, etc. sont les éléments sur la base desquels il faut conclure que l’empoisonnement des jeunes filles est une opération organisée ».
A l’heure actuelle, il ne fait aucun doute que les auteurs de ces actes sont soutenus par le gouvernement. Activement ou passivement. S’il en était autrement, l’état aurait réagi différemment. Certes, comme le précise le journal Armané-Melli dans son édition du 2 mars 2023, nous pouvons admettre « que les premières scènes dans les écoles, qui se sont produites pour la première fois, aient été cachées aux yeux aiguisés des caméras de la sécurité et de la ville », mais à compter du moment où les choses se sont reproduites, comment justifier l’inaction des polices et de la justice du pays ? N’oublions pas que les murs des villes d’Iran sont truffés « d’appareils numériques et de caméras de sécurité empêchant la moindre dissimulation [i] ».
Le fait est que le guide suprême a la rancune tenace. Il cherche à se venger et à intimider les filles d’Iran, véritable moteur de la révolution en cours. Selon les médias d’état, l’objectif des empoisonneurs serait de faire fermer les écoles de jeunes filles. Un objectif parfaitement en phase avec la pensée moyenâgeuse du clergé au pouvoir et de son chef suprême… Où comment concilier la réponse à un égo boursouflé assoiffé de vengeance et la stratégie politique contre révolutionnaire. Machiavélique !
Le visage de la femme iranienne
De la première, Mahsa Amini, 22 ans, à la dernière en date, Zarbibi Ismailzéhi, 60 ans, à Zahedan, 83 femmes sont tombées pour la liberté dans le soulèvement actuel en Iran. Et bien plus nombreuses encore sont celles qui ont été arrêtées ou soumises à des agressions vicieuses, celles dont les yeux ont été aveuglés et celles qui ont été martyrisées sous la torture. Elles ont montré le vrai visage des femmes iraniennes et c’est bien grâce au combat qu’elles mènent et à l’héroïsme dont elles font preuve au quotidien que ce soulèvement populaire a captivé le monde entier.
Il y a encore peu, le rôle des femmes exécutées lors du massacre des prisonniers politiques en 1988 dans les redoutables prisons d’Evin et de Gohardasht était resté secret. Idem pour les 100 chambres de torture de Rouhollah Khomeyni. Mais aujourd’hui, on regarde droit dans la focale la photo de la commandante Sara, pendue par les pieds à un arbre dans les montagnes d’Islamshahr[ii], un poignard des gardes de Khomeyni transperçant son cœur. La commandante Sara était une femme qui se moquait de l’hégémonie de l’armée de Khomeyni. Pendant de trop longues années, ces éclats de sang restaient camouflés dans l’ombre lourde du silence et de la fameuse “politique d’apaisement“ envers la femme iranienne. Fort heureusement, aujourd’hui, le monde ouvre les yeux.
À tel point que le ministre canadien des Affaires étrangères a déclaré, à juste titre : « Nous voyons notre humanité dans les femmes iraniennes », pendant qu’un magazine titrait : « C’est une rébellion inspirée par l’incroyable courage des femmes ». Ce courage, qui inspire le monde humain, peut conduire à des tempêtes. Et nous entrapercevons déjà le jour où les femmes iraniennes renverront le régime misogyne des mollahs dans les abysses sombres et gelées de l’histoire, pour l’éternité.
La femme iranienne est le cauchemar sans fin de Khamenei
Cette année, la Journée internationale des droits de la femme a pu jouir d’une crédibilité et d’un éclat particuliers grâce à l’ascension et à l’héroïsme des femmes iraniennes dans le soulèvement visant à renverser le régime des mollahs. Toutes ces femmes enfantent désormais au grand jour l’espoir d’un monde nouveau, d’une nouvelle vérité quelles étalent sous nos yeux ; leur rôle prépondérant dans la détermination du destin de la société humaine toute entière. Il y a moins d’un siècle, en France, les suffragettes se battaient pour le droit de vote, aujourd’hui, en Iran et partout sur la planète, elles se battent pour changer un monde de discrimination en un monde de liberté, de justice et d’égalité.
Sur les 1776 écoles dont les étudiants ont rejoint les soulèvements, 1186 étaient des écoles de filles et au cours du soulèvement actuel, les étudiantes ont été en première ligne dans la plupart des universités. Nasrin Qadri, l’une des enfants du peuple de Marivan, doctorante en philosophie, avait écrit avant son martyre : « Ne soyons pas effrayés par la mort, nous l’avons vécue ». Nombreuses sont celles qui ont payé le prix fort, sous la torture, comme Atefeh Noami à Karaj ou Aida Rostami, médecin humanitaire courageuse qui soignait les insurgés blessés à Téhéran.
La révolution iranienne oppose aujourd’hui deux philosophies irréconciliables ; un Front Populaire mixte et laïque à un régime religieux misogyne. Cette révolution et le mouvement qui lui est associé rejettent toute forme de dictature et prennent des mesures pour établir une république démocratique. La rebelle iranienne, avec son courage et sa bravoure, est devenue le symbole de la liberté en même temps qu’elle s’inscrit comme un cauchemar sans fin pour Ali Khameneï. Il ne manque plus qu’une toile d’Eugène Delacroix…
La liberté exige une révolution et la révolution exige un prix élevé
Comme la grande Révolution française, la liberté en Iran exige une révolution, et la révolution exige un prix élevé. Dans ce soulèvement, les femmes iraniennes ont non seulement rejeté un hijab obligatoire, mais également un gouvernement obligatoire ainsi que toute forme de dictature, qu’il s’agisse d’un Shah ou d’un Ayatollah. Le problème principal est donc la coercition et la dictature, où le libre choix n’a pas sa place. Or l’homme et la femme se définissent par leurs choix, par le libre arbitre.
Ne nous y trompons pas. C’est une véritable révolution démocratique qui a lieu aujourd’hui en Iran. Les jeunes filles rebelles, de Téhéran à Zahedan, sont déterminées. Avec ou sans hijab, elles mènent la révolution ! Même si les droits de l’homme sont aussi les droits des femmes, le leadership des femmes est la garantie de la démocratie et de l’égalité. Tant que la participation des femmes à la direction politique n’est pas possible, tout progrès en matière d’égalité est impossible.
© Hamid Enayat
Hamid Enayat est un analyste iranien basé en Europe. Militant des droits de l’homme et opposant au régime de son pays, il écrit sur les questions iraniennes et régionales et en faveur de la laïcité et des libertés fondamentales.
Notes
[i] Toujours dans l’article d’Armané-Melli du 2 mars 2023
[ii] Ville frontalière de la province de Kermanshah
Honneur aux femmes iraniennes. Les seules véritables féministes, à l’opposé des « néo féministes » anti féministes occidentales.
J’ai voyagé en Iran et en toute modestie j’ai intuitivement senti que la femme iranienne était centrale dans ce pays. Elle a malgré l’oppression dont elle est victime une formidable présence dans la rue et les lieux publics. Son niveau d’éducation est par ailleurs très élevé. Plus de 60 % des étudiants de l’enseignement supérieur sont des femmes et l’éducation est une valeur beaucoup plus prisée en Iran que dans tous les pays arabes. Lorsque l’Iran se débarrassera de ce régime, elle occupera une place de premier rang dans bien des domaines et en grande partie grâce aux femmes. L’amitié entre Israël et l’Iran ne sera pas factuelle mais profonde et durable. Les Juifs sont mentalement plus proche des Iraniens que des Arabes.