Marty Yota. Roald Dahl? Appelez-le plutôt Adolphe

Roald Dahl? Appelez-le plutôt Adolphe

Il m’a fallu un peu de temps cette semaine pour trouver un sujet convenable mais il me pendait en fait au nez depuis pas mal de temps, c’est celui de la néo censure littéraire et de la re-écriture des classiques à la sauce woke. Alors je sais, il sera plus difficile à digérer que les étoiles Michelin mais essayons d’y voir plus clair. 

Résident britannique depuis plus d’une décennie, j’ai été confronté cette semaine au débat qui fait rage autour des ouvrages de Roald Dahl (vous vous souvenez de Charlie et sa chocolaterie ?) et du très distingué Ian Fleming (le papa de Bond, James Bond). En effet, en ce moment en Angleterre sévissent des groupes de lecteurs dits sensibles (« sensitivity readers », eux-mêmes de la famille des wokes) qui revisitent progressivement les classiques de littérature locale, afin de les purger de leurs bassesses linguistiques et d’en extraire les références douteuses qui pourraient blesser le lecteur de 2023, quel qu’il soit. En tant qu’immigré moi-même, j’essaie de rester neutre dans ce débat, mais franchement, s’ils voulaient vraiment se rendre utiles, c’est plutôt la cuisine locale qu’ils devraient revisiter, parole d’estomac sensible (troquons le woke pour le wok !)

Il est vrai qu’ à une autre époque il ne faisait pas bon être métèque en Europe occidentale ; privilégiés de l’histoire, nous les feujs en savons quelque chose. Alors évidemment, je n’adhère certainement pas à l’idée qu’un fin chocolat puisse être fabriqué par un oumpa-loumpa de petite taille ou aux thèses passéistes du meilleur agent de sa majesté, ledit double zéro sept. Je ne cherche pas non plus à commencer une compétition de la censure car à ce rythme on en arriverait peut être même à re-écrire des chefs d’œuvre tels que « Martine a la plage » ou le fameux « Dites à mon père que je suis célèbre », l’autobiographie de Pierre Palmade. Il faut rester vigilent pour préserver notre patrimoine culturel de cette censure bien-pensante.

On peut aimer Céline sans être antisémite, et on peut aussi appeler « Ras-Bhin » le Bas-Rhin

Essayant de fuir cette décadence culturelle britannique, je décidai donc de passer à la presse française ; nous au moins on est fiers de nos auteurs, peu importe ce qu’ils pensaient, disaient ou faisaient de leur vivant, pour nous l’artiste prime avant l’homme (… ou la femme, ou les deux, enfin le non-binaire, bref on se comprend). Un grand homme avait bien dit un jour : « On peut aimer Céline sans être antisémite, comme on peut aimer Proust sans être homosexuel ! »   Mais oui Nicolas, parfaitement, chez nous c’est le contenu de l’assiette qui compte, pas les idées du cuisto, voyons. Pas d’inquiétudes donc en feuilletant les quotidiens hexagonaux, sauf qu’à ma grande stupeur, j’ai découvert cette semaine que la ville de Bordeaux, souhaitant davantage favoriser l’équité hommes / femmes, va célébrer les journées du  « matrimoine »  et rebaptiser un certain nombre de rues des noms de femmes célèbres. J’apprends même que Pantin songerait à devenir Pantine, par respect pour ces administrées féminines. Pourquoi pas après tout, mais imaginons si d’autres lieux lui emboitaient le pas (à distance règlementaire bien sûr), on pourrait alors rebaptiser la chose et son contraire. Ainsi, pourquoi pas avoir les Trois Chèvres au lieu des Deux-Sèvres, la Chantale, vous l’aurez devinés au lieu du Cantal, en plus judaïque, le Ras-Bhin au lieu du Bas-Rhin, du côté des maths la Multiplication au lieu de la Somme, et enfin le Maine-et-Loire, on allait tout de même pas le rater : Le Women-et-Loire !

Si on regarde la ville de Paris, ma chère ville de naissance, elle au moins on peut dire qu’elle est à la page sensible. Nos principales icones sont féminines, intemporelles et le monde entier nous les envie : la Tour Eiffel, la Joconde, la Cathédrale Notre Dame et Anne Hidalgo ! Eh oui, par soucis d’équité politique et genrée, il fallait équilibrer le petit Nicolas avec la grande Anne.        

L’antisémitisme léger de ce cher Roald Dahl

Chez nous les Juifs, bien que l’exercice soit tentant, ça n’est pas la re-écriture qui nous obsède mais plutôt la re-lecture. Cette semaine d’ailleurs, nous lisions la Meguila d’Esther, l’histoire rocambolesque des Juifs durant l’exil Perse qui furent sauvés par le courage de la reine Esther (héroïne féminine pré âge wokien). Chez nous on lit et re-lit beaucoup. Si on commençait à lire, puis re-écrire les erreurs et bêtises écrites à notre sujet, il y aurait de quoi en devenir antisémites nous-mêmes. D’ailleurs c’est drôle, voyant sans doute venir l’orage (et les milliards disparaitre), la famille de Roald Dahl il y a un peu plus de deux ans avait publié un communiqué minimaliste pour s’excuser de l’antisémitisme léger de leur aïeul. Il avait pu dire de son vivant des choses comme : « Il y a certainement un trait de caractère juif qui provoque l’animosité, même un salaud comme Hitler ne les a pas choisi par hasard ». Pas sympa le oumpa-loumpa…

Pour terminer, j’aime bien les conclusions bon-enfant mais je sais que le sujet peut diviser, je vais donc tenter de mettre tout le monde d’accord. Mon avis ? Qu’on le veuille ou non, le passé c’est le passé, enseignons-le avec justesse et force, oui, mais ne tentons pas de le re-écrire, laissons l’idée rester lettre morte. 

Un conseil par contre pour mes amis britanniques : au lieu de re-écrire ses bouquins, changez s’il vous plait son nom : Roald Dahl, c’est imprononçable et pas assez vendeur. Appelez le plutôt Adolphe, ça lui ira beaucoup mieux.

© Marty Yota

Note

Si dans une interview donnée au « New Statesman » en 1983, l’auteur de « Charlie et la chocolaterie » avait légitimé l’antisémitisme et justifié les crimes nazis, dans « The Independent », il confirmait en 1990, disant : « Je suis tout à fait anti-Israël et je suis devenu antisémite […] Il n’y a aucun éditeur non-Juif nulle part, ils contrôlent les médias -rudement malin- c’est pour cela que le président des États-Unis est obligé de vendre ses trucs à Israël ».

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