J’avais entendu parler d’une manif d’employés du Big Tech contre la réforme des institutions, laquelle suscite beaucoup d’inquiétude dans les médias israéliens et dans les milieux gauchistes une certaine frange de la population. Il parait que cette inquiétude gagne aussi la France. Je trouve étrange soit dit en passant que dans la tourmente occasionnée par la réforme des retraites décidée par micron premier, à laquelle la population est majoritairement et fermement opposée, on trouve le temps, en France, de s’intéresser à ce sujet difficile : le rôle de la Cour Suprême en Israël et la manière dont les juges sont nommés. Mais bon.
La loi sur la réforme des institutions a été présentée hier en première lecture, lors d’une séance mouvementée et bruyante le matin à la Knesset ou vers midi je crois. Bennet y aurait fait un numéro de claquettes impressionnant.
Donc l’autre fois les gens du I take high tech manifestaient, eux aussi, contre la réforme, leurs banderoles clamant haut et fort que « Sans démocratie, pas de high tech ». Cela m’avait comme on dit interpellée. Une sorte de chantage, en somme, non ?
Quelle ne fut pas ma surprise, la semaine dernière, de me retrouver nez à nez avec des manifestants arborant des T.shirts noirs sur lesquels on pouvait lire en lettres blanches « Sans démocratie, pas d’académie » : c’est pas possible, ils se sont donné le mot ! ai-je pensé. Voilà qu’à leur tour, et avec la même formule ou presque, les étudiants de la fac de Ben Gourion battaient le pavé de Beershéva ; c’est une expression car la rue est fraìchement goudronnée, après les rénovations du quartier.
Ils allaient dans un sens, moi dans l’autre, et jouant des coudes dans la belle forêt bleu-blanc de drapeaux israéliens, je me fraie un passage sans plus m’occuper des manifestants car j’étais pressée. Mais la curiosité étant la plus forte je m’arrête et m’enquiers du sens de la formule. Et surtout, de son pourquoi. Et là, deux ou trois personnes se mettent en devoir de m’expliquer qu’avec le nouveau gouvernement, la démocratie est en danger. Que mes droits civiques sont désormais menacés, et que si jamais j’ai un problème avec ma maison, mes voisins ou quoi que ce soit, un différend à régler en Justice, personne ne me défendra. Et patati et pâte à tarte.
Je demande des explications, desquelles il ressortait en gros que ce nouveau gouvernement est une dictature et qu’il n’y a plus de justice, plus de démocratie.
Comme je trouve le refrain monotone et lassant, à force, ( ces gens manifestent depuis qu’ils ont perdu les dernières élections, le 1er novembre dernier), je réponds que ce gouvernement a été démocratiquement élu. Qu’on est deux millions et demi d’électeurs à le soutenir, ce gouvernement. Que c’est ça, la démocratie. Et que j’ai d’ailleurs voté pour Itamar Ben Gvir. Qu’est-ce que j’avais pas dit ! Evidemment ça en a énervé quelques uns, dont une prof d’histoire, pardon, une historienne, oui, elle enseigne ici à Ben Gourion, oui, elle sait que la Judée et la Samarie sont juives depuis trois mille ans et que les termes Cisjordanie et Palestiniens apartiennent à un lexique très orienté. Euphémisme poli. Elle, c’est après Ben Gvir qu’elle en a. Il n’a jamais rien fait dans sa vie, d’après elle. N’a jamais rien publié. Ni articles, ni livres, rien. – Alors que toi, oui ? Lui réponds-je. Oui, elle a publié, elle. Des livres, des articles. – C’est bien, tu devrais te présenter aux élections. Et là, elle me fait : d’abord, il a même pas fait l’armée !
Boum ! C’est vrai, les religieux ne font pas l’armée. -Non, pas les religieux, les ultras-orthodoxes, me corrige t-elle. Les harédis. Elle marque un point. Il y a beaucoup de religieux dans l’armée. Et toi, tu as fait l’armée ? Oui, elle, elle a fait l’armée. Comme elle avait l’avantage, je lui réponds que moi ma fille y est, à l’armée. (Ce qui n’est pas tout à fait vrai, elle n’a fait que les trois jours de préparation à l’armée, et n’ira rejoindre les rangs de Tsahal que dans six mois.) Ayant égalisé, je lui ai demandé où elle était, elle, pendant que la fameuse démocratie israélienne, dont elle se soucie tant, instaurait une ségrégation entre citoyens vaccinés et non-vaccinés avec cette saloperie de saleté de passe vert numérique… Elle était pas pour, qu’elle a dit. Ok, mais on t’a pas beaucoup vue dans les manifs anti-passe, j’ai rétorqué.
Trois mois que ces gens manifestent. Sans compter les manifs anti-Bibi et « tout sauf Bibi » de ces dernières années. Ils n’ont toujours pas digéré la défaite. La gauche mauvaise perdante craint pour ses privilèges, elle qui tient déjà les universités et les médias, entre autres, et puis la justice. Mais apparemment plus pour longtemps. Elle a peur de perdre ses juges gauchistes à la Cour Suprême, qui s’opposent systématiquement aux décisions du gouvernement. Cette réforme est non seulement nécessaire, mais indispensable : il faut enlever à ces juges non-élus, qui se cooptent entre eux, ce droit de veto dont ils disposent et dont ils se servent allégrement dès qu’une loi ou une décision ne va pas dans leur sens. En clair leur idéologie de gauche. Mais Tali (c’est ainsi qu’elle s’est présentée quand on s’est quittées) prétend qu’elle n’est pas de gauche. « Et arrête de traiter de gauchistes les gens qui ne pensent pas comme toi » a t-elle smatché en rejoignant le cortège, pendant que je repartais dans l’autre sens.
Plus j’y réfléchis plus je me dis que ces gens qui manifestent sont complètement inconscients d’être manipulés par les mondialistes qui veulent continuer à décider, quel que soit le résultat des élections. Ces gens du high tech, donc des GAFAM et autres multinationales américaines ultra riches, ultra puissantes, Big Pharma, Big Data, ils ne veulent que continuer à tout contrôler, et surtout continuer à vivre sous la tutelle américaine. Un Etat souverain, ou disons moins dépendant de Washington les gênerait. Ils ont trop peur des décisions que pourrait prendre un gouvernement plus indépendant. Moins soumis au lobby juif libéral américain. Mais bien entendu tout est de la faute des partis religieux, en particulier des orthodoxes, ces arriérés intolérants qui ont le toupet monstre de siéger dans le nouveau gouvernement.
Les orthodoxes et ultra-orthodoxes (je rentre pas dans les détails) sont assez mal perçus je crois par le reste de la population israélienne. Personnellement j’ai du mal avec cette orgie de vaisselle plastique à usage unique, chez eux, dont ils font à mon avis un usage démesuré, c’est pratique, d’accord, quand on mange casher mais quelle plaie, quand même, tout ce plastique, ces monceaux de plastique dans les poubelles en fin de soirée… Le gouvernement de Bennet avait fortement augmenté le prix de la vaisselle jetable, et Smotritch s’est empressé en arrivant de tout remettre à l’ancien prix, ouf.
Les orthodoxes se retrouvent donc la tête de turc à la fois des laïcs et des arabes : facilement identifiables, ce sont eux qui sont visés par les terroristes. Le jeune homme de 20 ans qui est mort dans l’attentat à la voiture-bélier vendredi dernier portait un shtremel, ce grand chapeau de fourrure en forme de pneu de camion. Les deux petits frères tués eux aussi par le conducteur à la voiture-bélier étaient habillés pour Shabbat, les franges des châles de prière (les tsitsits) bien visibles, kipa, habit noir… L’attentat a eu lieu cette fois dans un quartier pauvre de Jérusalem : Ramot est tout au nord, et abrite essentiellement des orthodoxes et ultra-orthodoxes. Les arabes les visent parce que leur haine se concentre sur les Juifs religieux, non sur les « laïcs ». Et en Israël, tout le monde les déteste, parce que ce sont « des obscurantistes bornés, homophobes, arriérés, et qui pratiquent la ségrégation hommes/femmes ». Dixit l’historienne avec laquelle je discutais l’autre jour. En plus ce sont des « parasites qui sont toujours à étudier, qui ne travaillent pas ces fainéants ! » Et donc qui ne contribuent pas, puisqu’ils ne paient pas d’impôts. Et ne font pas l’armée, bis. Et font rien qu’à polluer l’environnement avec leur satané plastique jetable.
Polarisation ?
Les observateurs craignent une « polarisation de la société », avec ce gouvernement qu’ils qualifient d’extrême-droite. Je trouve pour ma part que si polarisation il y a, elle oppose la classe possédante à la classe moyenne, pauvre ou très pauvre, les riches contre les miséreux ou les précaires. L’establishment à la plèbe qui travaille pour des salaires de misère, ou ne travaille pas ou pas assez, comme dans le secteur orthodoxe : ce sont eux qui sont visés, dans les attentats, à cause, je l’ai déjà dit, de leurs tenues reconnaissables.
Mais surtout parce qu’étant pauvres, ou étudiants, ils n’ont pas de voiture. Les orthodoxes prennent le bus. Les étudiants de yéshiva aussi. Ces arabes qui commettent les attentats, que les medias appellent « palestiniens », sont pourtant des citoyens israéliens, ils détiennent la même carte d’identité que moi. En écrasant les gens aux arrêts de bus, ils ne risquent pas d’écraser les Juifs de gauche, ceux qui ont une belle âme généreuse et partageuse… et une voiture !
© Alma Médoubar
»Alma Médoubar » veut dire en hébreu »de quoi parle t-on » : c’est un nom en forme de blague car j’aime bien les blagues, et rigoler en général, quoi que les occasions de se marrer deviennent assez rares par les temps qui courent. Je veux parler d’Israël où je vis depuis quelques années, espérant intéresser autant ceux qui y vivent que ceux qui l’aiment de loin, sans complaisance ni tabou. Et de tout ce qui m’intéresse dans la vie : le monde, la politique, le bonheur, la joie, la santé, etc
« Beersheva, Israel. J’ai décidé d’écrire des articles, puisque les journalistes professionnels ne font pas leur boulot ! Qu’ils récitent benoitement le narratif du gouvernement, en ce qui concerne la prétendue crise sanitaire ! » Alma Médoubar
Vivant en France,Je n’ai pas d’avis sur votre récit détaillé relatif à la vie dans l’Etat juif où vous vivez.
En passant, vous nommez le président de la République française « Micron premier ». Est-ce une bonne idée pour l’homme qui est la cible de l’extrême gauche mélenchonnienne et de l’extrême droite lepeniste et qui est, pour l’instant, la dernière digue.
La digue à quoi ? La digue à rien. Nos manifestants actuels sont des barragistes de profession, depuis presque 40 ans pour certains.
Ce gouvernement n’est pas d’extrême droite. Contrairement à celui de Kiev et de Washington. Et Paris. En revanche je comprends l’inquiétude face au poids trop important qu’occupent les ultra orthodoxes en Israël. Il faut reconnaître que leur façon de traiter les femmes et les homosexuels se rapproche un peu de celle des islamistes. Et qu’ils ont trop de pouvoir.
Mais la phrase « si jamais j’ai un problème…personne ne me défendra » me laisse pantoise parce que les Israéliens devraient voir ce qui se passe en France et certains pays d’Europe ! Non seulement notre système judiciaire ne nous défend absolument pas mais il est carrément du côté des coupables. Si beaucoup de Juifs ou de Non juifs blancs ne portent pas plainte après les menaces ou agressions racistes qu’ils subissent c’est parce qu’ils n’ont aucune confiance dans leur système judiciaire. Sur les questions liées aux discriminations ou au droit du travail, c’est le même constat.
@Lucie K.
Je plussois.