La France a rapatrié ce mardi 25 janvier, quinze femmes et 32 enfants détenus dans des camps de prisonniers djihadistes en Syrie. Selon le docteur en droit public, « l’intérêt supérieur » des enfants de djihadistes ne doit pas l’emporter sur la sécurité des français.
La France a rapatrié ce mardi 25 janvier, quinze femmes et 32 enfants qui étaient détenus dans des camps de prisonniers djihadistes, dans le nord-est de la Syrie. Il s’agit de la troisième opération de rapatriement d’ampleur après celle de juillet 2022, lorsque la France a rapatrié seize mères et 35 mineurs, ainsi que celle d’octobre qui avait vu le retour de quinze femmes et 40 enfants. À n’en pas douter d’autres suivront, car il resterait encore en Syrie une bonne centaine d’enfants de djihadistes, et la France est soumise à une forte pression judiciaire et diplomatique pour les ramener sur son sol.
Ces rapatriements ont lieu à bas bruit, car l’opinion publique leur est largement hostile, mais ils étaient prévisibles, et même inévitables, dès lors que ces djihadistes et leurs enfants conservaient la nationalité française, car ce lien de nationalité impose des obligations aux autorités françaises. La seule alternative aurait été qu’ils soient condamnés et incarcérés dans un autre pays pour les crimes qu’ils y ont commis. C’est l’option qu’aurait préférée le gouvernement français, mais cela n’est pas toujours possible, notamment pour ceux qui sont détenus par les Kurdes, puisqu’il n’y a pas d’État kurde, donc pas de justice reconnue internationalement. Et cela aurait encore laissé pendante la question de leurs enfants.
Le sujet est hautement émotionnel et mélange des considérations juridiques et morales complexes. Mais le débat public tourne principalement autour de deux questions : Premièrement, est-il dangereux de rapatrier ces femmes et ces enfants ? Deuxièmement, avons-nous l’obligation morale de les rapatrier ?
Les femmes étaient très rarement des combattantes, mais il serait fort naïf de croire qu’elles étaient moins fanatiques ou moins dangereuses que les hommes.
Laurent Lemasson
Essayons d’y apporter brièvement quelques éléments de réponse. À la première question, la réponse est oui concernant les adultes. Les femmes rapatriées sont bien sûr «judiciarisées», selon le terme officiel. Elles seront jugées, vraisemblablement condamnées. Puis elles ressortiront un jour. Probablement dans une dizaine d’années. Durant leur séjour en prison, il sera impossible de les empêcher de faire du prosélytisme. Il n’est pas possible de garder un prisonnier à l’isolement, sauf motifs de sécurité impérieux et très graves. Quelle que soit la solution adoptée, elles pourront communiquer avec les autres détenues. Une fois libérées, il sera impossible de les surveiller de près au-delà de quelques mois dans le meilleur des cas. Par ailleurs, nous ne savons pas «déradicaliser» : nous n’aurons jamais l’assurance qu’elles ont abandonné leur idéologie islamiste qui les a fait partir en Syrie. Rapatrier ces femmes revient donc, objectivement, à augmenter le nombre de djihadistes endurcis présents sur notre sol.
Leurs enfants, eux, seront pris en charge par les services sociaux et la protection judiciaire de la jeunesse, puis seront sans doute remis à leur famille, s’ils en ont une, en attendant que leur mère sorte de prison. Personne ne peut savoir ce qu’ils deviendront à l’âge adulte, et il est certainement déplacé de parler à leur sujet de «bombes à retardement», comme on l’entend parfois. Leurs parents ont prouvé leur dangerosité, eux n’ont rien fait d’autre que de naître. Ils sont, jusqu’à preuve du contraire, aussi innocents que n’importe quel enfant de par le monde. Les enfants ne sont pas les clones de leurs parents.
La seconde question appelle elle aussi une réponse différenciée. Concernant les femmes, on peine à voir quelle obligation morale la France pourrait avoir envers des personnes qui l’ont reniée et qui ont pris les armes contre elle. Les femmes étaient très rarement des combattantes, conformément à l’idéologie islamiste, mais il serait fort naïf de croire qu’elles étaient moins fanatiques ou moins dangereuses que les hommes. Elles ne méritent pas plus notre compassion que ces derniers. Les femmes sont des djihadistes comme les autres.
Mais les enfants ? Les enfants ne sont évidemment pas responsables des crimes de leurs parents et à leur égard l’attitude normale et spontanée est un réflexe de protection et de compassion. Il faudrait donc les rapatrier. Cependant, cela signifie inévitablement à terme rapatrier aussi leurs mères. Après avoir mis en avant «l’intérêt supérieur» de ces enfants pour exiger qu’ils soient rapatriés, on mettra en avant leur «intérêt supérieur» à ne pas être séparés de leurs mères afin d’exiger que la France fasse également revenir ces dernières. Et c’est d’ailleurs la stratégie qui a été mise en œuvre, avec succès, par les familles de ces djihadistes retenues en Syrie. C’est ce point, semble-t-il, qui choque particulièrement, et avec raison.
La compassion est un noble instinct, particulièrement à l’égard des enfants, mais elle doit toujours être éclairée par la raison pour ne pas produire plus de maux que de biens. Nous ne devons donc pas perdre de vue que la situation de ces enfants de djihadistes n’est pas essentiellement différente de la situation des enfants de criminels de droit commun. Lorsque nous infligeons une peine à un criminel pour les crimes qu’il a commis, il est inévitable que cette peine affecte aussi son entourage. Or ce n’est pas la justice qui fait souffrir la famille d’un homme qui est en prison, c’est le criminel lui-même. C’est lui qui, en commettant ses crimes, a pris le risque d’aller en prison et a délibérément et égoïstement mis sa famille en danger. Le fait que la pensée de ce que risquait de subir celle-ci du fait de ses agissements ne l’ait pas retenu sur la voie du crime, compose d’ailleurs une partie de sa faute.
C’est ainsi que fonctionne nécessairement la justice pénale pour les crimes de droit commun. Pourquoi en irait-il différemment pour ceux qui ont choisi de rejoindre les rangs de l’État Islamique ? Aurions-nous plus d’égards pour des djihadistes traîtres à leur patrie, que pour des délinquants ordinaires ? Par ailleurs, un homme d’État responsable considérera non pas le bien de quelques-uns mais le bien de la communauté politique toute entière dont il a la charge. L’intérêt des enfants de djihadistes est de revenir en France. Est-ce l’intérêt des autres enfants de France qu’ils reviennent, avec leurs parents ? Cela paraît difficile à croire.
On le voit, même vis-à-vis des enfants, l’obligation morale est loin d’être évidente. Ce qui est sûr, c’est que ce dilemme moral ne se pose que parce que le gouvernement français ne s’est pas donné les moyens juridiques de priver de leur nationalité les Français partis en Syrie. Nous aurions ainsi pu mettre le droit en accord avec la réalité, en constatant que ces individus se sont exclus d’eux-mêmes de la communauté nationale. En ne l’ayant pas fait, nous entretenons une fiction qui leur permet d’utiliser à leur profit toutes les ressources d’un État de droit, qu’ils ont pourtant essayé de détruire. Aujourd’hui, il n’y a pas lieu de se scandaliser que des enfants détenus dans des camps sordides arrivent en France. En revanche, on peut légitimement mettre en cause la faiblesse et l’imprévoyance de nos gouvernants qui nous obligent à les accueillir, eux et leurs parents.
© Laurent Lemasson
Laurent Lemasson est docteur en droit public et sciences politiques.
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