Telle est la problématique qui se degage du beau roman d’Evelyne Tschirhart, « Quand le soleil rouge les aveuglait » (Editions Balland, 2022). Elle y décrit avec talent et l’œil de peintre qui la caractérise l’aventure de quatre amis occidentaux désireux de partager l’aventure maoïste et qui, pour cela, partent s’installer au pays du Soleil levant pour un an. L’intellectuel est l’homme ou la femme épris d’abstractions : il suffit que des enjeux affectifs – un besoin d’appartenance familiale non comblé par exemple – ou sociaux : le fait de faire carrière, ou encore de devenir un cadre syndical ou politique – se mêlent à ses espoirs politiques et apparaîtront dans sa pensée des rationalisations qui mettront à mal la rationalité proprement dite. L’intellectuel est l’un des types humains les plus prédisposés à se tromper sur la véritable nature des régimes politiques et cela parce qu’il est des plus capables de se leurrer lui-même en se fabricant un réel de complaisance.
Julien Benda est sans doute celui qui a le mieux rendu compte de ce phénomène dans son livre-phare « La Trahison des clercs » (1927). Le roman permet non seulement de théoriser cela mais en plus de le montrer in vivo. Nous suivons la trajectoire professionnelle et intellectuelle de ces deux couples au contact des multiples expériences, toutes plus dissonantes les unes que les autres qu’ils sont amenés à faire dans le pays de leurs rêves, bientôt brisés, et nous voyons bien que les femmes, moins encombrées par leurs a prioris, sont indubitablement les plus sagaces et les plus rapides à se détacher de leurs illusions de départ. Le livre paraît à un moment bien sombre de notre histoire : derrière le voile des apparences démocratiques, en effet, se met en place, depuis mars 2020, le règne de fer d’une technocratie de surveillance et de répression de toute dissidence grâce à l’Intelligence artificielle.
Les intellectuels, dans leur plus large majorité et hormis des figures exceptionnelles par leur lucidité et leur courage comme Vera Sharav, rescapée de la Shoah, le philosophe Mehdi Belhaj Kacem, l’anthropologue de la médecine Jean-Dominique Michel, le directeur de recherche au CNRS Philippe Guillemant , le professeur en infectiologie Christian Perronne ou encore le psychanalyste Philippe Bobola et la docteure en Psychopathologie Ariane Bilheran – sont de nouveau en panne pour dénoncer ce totalitarisme 2.0 alimenté par l’espoir d’une vie éternelle et saine grâce au transhumanisme.
Une vie ou son artefact pour milliardaires ? Les universitaires sont bien trop occupés à étudier et à dénoncer les méfaits des totalitarismes passés pour s’investir dans la dénonciation du totalitarisme qui se met aujourd’hui en place fort tranquillement semble-t-il. « La mémoire vaine » est le titre d’un essai d’Alain Finkielkraut…
© Nadia Lamm
Nadia Lamm est professeur de philosophie et auteur.
Peut-être la question mérite t elle d’être posée autrement. Le mot intellectuel a été vidé de son sens, comme tous les autres. Pour beaucoup de gens y compris N Laam semble-t-il intellectuel = personne ayant un haut niveau d’études…Or il n’existe aucune corrélation directe entre le niveau d’études et l’intelligence a fortiori dans des sociétés comme les nôtres où les lycées et surtout les universités sont devenus des machines à decerveler. Un intellectuel est d’abord une personne possédant une solide base culturelle dont elle se sert pour penser par elle-même et comprendre le monde qui l’entoure ou la nature humaine sans se laisser influencer par les discours dominants, les modes ou les apparences. Bref, le contraire d’un militant bête et méchant, d’un politique ou d’un journaliste incapables de creuser sous la surface des choses et de se remettre en question. Un intellectuel au sens véritable du terme se situe donc à l’opposé de ce que l’on nomme « l’élite » majoritairement composée de gens formatés par le système ou l’idéologie dont ils sont de simples représentants. A l’opposé de Macron et de son piètre électorat _ par exemple. C’est donc cet emploi inapproprié du terme intellectuel qui fausse le débat.
Sur la trahison actuelle des clercs le philosophe Mehdi Belhaj Kacem
https://fb.watch/j42m3LHVUi/
Superbe article !
Je rejoins Jérôme O. sur la vision des « Intellectuels » qui, trop souvent, sont vendus à la doxa pour garantir leur avenir, à minima financier, mais surtout existentiel par leur carrière.
Les pseudo intellectuels de gôche » d’autre fois qui n’étaient que des sophiste à la solde du marxisme planétaire, pronant la liberté de parole, sont les premiers aujourd’hui à militer pour l’enferment des porteurs d’idées opposées aux leurs.
La Russie a mis 80 ans pour sortir du carcan marxiste dans lequel elle s’était fourrée, il ne nous reste plus que 40 années à tenir…