Pourquoi j’ai sursauté… Ou l’invitation inappropriée un 20 janvier !
21 janvier. Suis-je le seul à avoir sursauté en entendant en fin de semaine, dans une bande-annonce de France2, que Léa Salamé et son émission « Quelle époque ! » n’avaient rien trouvé de mieux que d’inviter, au milieu d’un parterre de personnalités « culturelles » et politiques, Youssouf Fofana ?
Cet invité, qui porte le même prénom et le même nom que le massacreur d’Ilan Halimi, est un joueur de football professionnel. Il est né en 1999, à Paris 19ème. Pas en Côte d’Ivoire ou au Mali. Il est donc français et footballeur. Un bon footballeur par-dessus le marché !
Parmi ses clubs formateurs il y a eu un club du 19ème arrondissement, puis la JA de Drancy… Devenu pro à Strasbourg, il a ensuite signé à l’AS Monaco où il brille désormais au milieu de terrain, en attendant – pourquoi pas – d’intégrer le PSG. Très tôt, il a eu l’honneur de porter le maillot de l’équipe de France. D’y briller plutôt. D’abord dans la sélection des moins de 20 ans, dont il fut un temps le Capitaine et avec laquelle il a participé à la Coupe du Monde des moins de 21 ans, puis avec les Espoirs avec qui il a participé à l’Euro. Et puis, en septembre dernier, consécration : Didier Deschamps l’appelle en Équipe de France aux côtés de Mbappé, Griezmann et Giroud, face à l’Autriche en Ligue des Nations d’abord. Pour la Coupe du Monde au Qatar ensuite, où il a joué quasiment tous les matchs.
Je dois l’avouer, pourquoi le cacher ? Bien avant l’émission de samedi soir, je sursautais déjà à chaque fois que j’entendais ce prénom et ce nom : Youssouf… Fofana…
Un prénom et un nom rattaché dans mon esprit à Ilan Halimi… Au Gang des Barbares… aux 24 jours de souffrance d’un jeune homme juif, et la mort au bout.
Bien entendu, le footballeur n’a pas de rapport avec l’assassin, et loin de moi l’idée de lier leurs destins. Évidemment, il n’y a pas de déterminisme possible, ni de fatalité à porter ce patronyme, très courant parmi les populations ivoiriennes ou d’origine d’Afrique de l’Ouest.
Fofana, c’est un nom soninké. Les Fofana (ou Guirassy) font partie des quatre clans qui ont fondé le clan des Diakhankés. Il s’agit au choix d’une famille noble ou de marabouts. Ce nom signifierait en langue soninké: « la première (fana) chose (fo) »
Pendant les matchs de l’Équipe de France, instinctivement, j’avais une pointe au cœur quand j’entendais le commentateur s’emballer sur son jeu impeccable, ses passes au cordeau et ses chevauchées sur le terrain, ballon au pied. Et j’imaginais l’autre Fofana, l’autre Youssouf, le tueur d’Ilan, suivre les exploits de son homonyme depuis la télévision accrochée au mur de sa cellule. L’idée même me donnait la nausée…
Quelle époque épique…
Mais revenons à l’émission « Quelle époque ! », dont je partage bien volontiers l’exclamation, sans lui attribuer le sens que lui donnent Salamé, Dechavanne et consorts. Inviter Youssouf Fofana, comme inviter l’un des 22 ou 23 autres joueurs de l’Équipe finaliste de la dernière Coupe du Monde ? Pourquoi pas… Mais il y a des symboliques implacables.
L’émission a été enregistrée le vendredi 20 janvier 2023, soit 17 ans jour pour jour après l’enlèvement d’Ilan, qui n’avait qu’un tort pour ses tortionnaires, cornaqués par Youssouf Fofana, le barbare : être Juif. Ce soir-là, Ilan après avoir quitté la table du kiddouch, partagé avec sa mère et l’une de ses sœurs, était parti rejoindre celle qui l’avait séduit et appâté quelques heures plus tôt. Pour ne jamais revenir…
Je me suis posé la question, alors je la pose publiquement : était-il intelligent, dans ce contexte, d’inviter Youssouf Fofana ? Au moins avait-t-il quelque chose « à vendre » (comme habituellement tous les invités de Léa Salamé) ? Un livre ? Une série documentaire sur Netflix ou Prime Vidéo, comme d’autres avant lui, tels Paul Pogba, Karim Benzema ou Antoine Griezmann par exemple ? Dans le cas contraire, pourquoi lui ? Et pourquoi à cette date ?
Qu’on ne me fasse pas un procès en racisme. S’il fallait absolument inviter un joueur de l’Équipe de France, battue en finale par l’Argentine, ils auraient pu inviter tout aussi bien Tchouaméni, Koundé, Upamécano, Kolo Mani, Dembélé ou Varane, voire Guendouzi et Mandanda. Cela n’aurait appelé aucun commentaire de ma part. Je m’en serais même réjoui.
Mais Youssouf Fofana… un 20 ou 21 janvier…
Précisons encore que je n’ai absolument rien contre lui, aucun grief à lui adresser. Je trouve qu’il joue bien au football. Et, du peu que je sais de lui, c’est un « bon gars » – Deschamps le pense, sinon il ne l’aurait pas sélectionné. Son homonymie douloureuse pour nous pourrait donc être plutôt une plaie pour lui.
Comprenez-moi : ce n’est pas lui qui me pose un problème. Je ne lui veux pas de mal et je serais bien stupide d’associer son destin à celui de l’assassin d’Ilan, du seul fait de cette homonymie. Mais Léa Salamé et la production de l’émission qui l’invitent et l’accueillent ont-elles pensé, ne serait-ce qu’une minute, à la famille d’Ilan ? Au-delà, aux Juifs de France ainsi qu’à tous ceux qui restent encore, dix-sept ans plus tard, meurtris par une mort qui en annonçait bien d’autres… ?
La réponse, je vous le dis, est quasi-certaine : Non ! Trois fois non ! Mille fois non ! Et je ne sais pas si ça n’est pas pire, tout compte fait…
La réaction d’un hypersensible ?
Ceux qui ne comprendront pas que j’ai pu sursauter devant une telle invitation, à une telle date, me rétorqueront sans doute que je fais « un amalgame » (Dieu que ce terme est devenu un poncif !). Que je suis trop sensible, trop en quête d’une valeur symbolique aux choses, là où il n’y a qu’une banale invitation dans une banale émission. A ceux-là, je réponds : Et alors ?
Avant l’émission, je me disais qu’une seule chose pourrait me sauver de la tristesse et de l’abattement dans lequel je me trouvais – et encore : que Mme Salamé ou que Monsieur Dechavanne, dont les questions sont si souvent « cash », demandent à Monsieur Fofana comment il a vécu, et vit peut-être encore aujourd’hui, le fait de partager la même identité que l’un des pires salauds que la France a connu au cours des trente dernières années… Un nom qu’utilisait l’assassin de Sarah Halimi (encore une homonymie) sur son compte Facebook.
Je me disais, nous verrons bien…
Et nous avons vu… Le fait déjà qu’il n’était invité pour aucune promotion. Les questions enamourées ensuite de Léa Salamé lui demandant de débriefer une finale dont il ne fut en rien l’un des principaux acteurs (il est entré très tard sur le terrain). Le bisou de la quasi-octogénaire Roselyne Bachelot, draguant ouvertement celui qui est – je cite – « trop beau ».
Oui, Youssouf Fofana est beau et sympa, ça ne fait pas de doute. Riche aussi, comme l’est son rappeur favori, SDM (diminutif de « Saddam ») aux côtés duquel il a fini l’émission. J’entends pourtant l’apitoiement hors normes de Léa Salamé quand elle raconte l’accident de parcours du fils de la femme de ménage immigrée qui faillit l’éjecter du football professionnel, au risque de livrer des pizzas… ou autre chose ! Pourtant, même si Youssouf n’avait pas percé dans le foot, il n’a que 24 ans, la vie devant lui. 24 ans c’est l’âge que n’a jamais atteint Ilan, mort à 23 ans le 13 février 2006.
Pourtant, Léa Salamé ne va pas hésiter à demander à M. Fofana : « C’est quoi votre leçon de vie ? »…
Tant de rires…
Sur le plateau, comme le reste des invités, M. Fofana et SDM ont beaucoup ri – hormis pendant la séquence sur la pédophilie et quand Philippe Caverivière est venu débiter son deuxième sketch; au mot près celui qu’il avait déjà joué sur RTL dans la semaine. Et plus ça riait sur le plateau, plus j’étais mal à l’aise, pensant aux parents d’Ilan et à ses sœurs, à sa dernière petite amie et à tous ceux qui l’aimaient et l’ont perdu. J’espère que la plupart d’entre eux n’auront pas vu la longue séquence qui a débuté largement après minuit.
Comme j’espère ils n’auront pas vu Paul de Saint Sernin, le Baffie 2.0 mais nettement plus chevelu, aux blagues pas toujours très fines, descendre avec un ballon sur le plateau et se lancer avec Youssouf Fofana dans une série de jongles devant un Michel Hazanavicius enthousiaste. Et les compliments de repleuvoir : « Ce genre de garçons inspire le respect », dit Dechavanne. Roselyne Bachelot en vraie midinette surenchérit : « Il est adorable Youssouf Fofana… Son sourire à fossettes est craquant ! » – Insupportable, même si je sais bien qu’on ne parle pas de « l’autre » Fofana.
Par la suite, les mêmes riront à gorge déployée quand le rappeur SDM, repéré par Booba, aura raconté, hilare, qu’il a fait les « débrouillards de cité » (autrement dit, il a « dealé » avant d’être célèbre). Un peu comme un étudiant dilettante, devenu chroniqueur chez Hanouna puis député de la France Insoumise… Mais ne faisons pas « d’amalgames » !
Quand on pense qu’au cours de son interview, Mme Bachelot se plaignait du niveau des politiques actuels par rapport aux grands anciens, constat que malgré tout je partage !
En conclusion…
Il est temps pour moi de conclure. J’aimerais dire que je souhaite vraiment à Youssouf Fofana le footballeur le plus beau des avenirs professionnels et personnels possibles.
Me dire que j’aimerais tellement ne plus sursauter à l’avenir, quand son nom est prononcé.
Être certain que son homonyme barbare continue ad vitam aeternam à payer pour ce qu’il a commis – ses nombreux complices étant aujourd’hui libres.
Mais je sais une chose, et de ça je suis sûr : on n’oubliera jamais Ilan. Jamais !
© Geka
Vous êtes sensible, Geka mais votre réaction est normale. Le mauvais goût, à la limite du cynisme et de la provocation (à moins que ce ne soit de la bêtise), de Léa Salamé et consorts, saute aux yeux. Inviter un homonyme du tueur de Ilan Halimi, précisément le jour anniversaire de sa mort, il fallait oser !
Je reste persuadé que Lea Salamé n’avait pas invité le footballer homonyme de l’assassin dans un but provocateur. Mais soit elle avait oublié la date anniversaire de Ilan , soit elle pense que des millions de téléspectateurs ont entendu le nom de Fofana sans le relier à Ilan et qu’elle pouvait inviter le footballer . Mais quelle idée de voir Lea Salamé ?
@André Simon. Autre option : cela ne l’a pas trop marquée et elle n’a pas retenu le nom. Ce qui est tout de même étonnant de la part d’une professionnelle des médias s’agissant d’ un crime pareil qui a même fait l’objet d’un film d’Alexandre Arcady (24 jours). Je ne suis pas journaliste mais je l’ai retenu, ce nom, et ne suis sûrement pas la seule : nom cité à deux reprises, à propos de l’assassinat de Ilan Halimi et de celui de Sarah Halimi (le meurtrier de Sarah l’avait pris pour pseudo !). Ceci dit, je ne crois pas, je ne veux pas croire qu’elle l’ait fait par provocation, ce serait trop moche.
Bonsoir Carole. L’auteur n’insinue pas qu’il y ait eu provocation. Mais tout de même, que sur le plateau, pas un n’ait été alerté par la consonance de l’homonymie ( un grand malheur pour celui qui en hérite), que personne n’ait fait le rapprochement alors que c’était précisément le jour « anniversaire » de l’enlèvement, eh bien voilà qui témoigne a minima de désinvolture ou de désintérêt. Cordialement. Sarah Cattan
Bonjour Sarah,
Oui, il est vraiment plus que surprenant qu’aucun des professionnels présents sur le plateau télé n’ait « tilté » devant l’homonymie et la date vraiment tout à fait inappropriées, c’est le moins que l’on puisse dire, alors que des non professionnels en ont, eux, pris conscience. Comme vous le dites, il s’agit plutôt de désinvolture et de désintérêt, disons d’indifférence. Ils savent mais ils s’en moquent. C’est l’effet d’un manque de sensibilité évident.
Hasard ?…Non. c’est l’inconscient qui s’exprime…
Les journalistes français (à part Christine Kelly et une poignée d’autres) et américains sont des rebuts de l’humanité.
Quel manque d’égard et de considération pour la douleur de la famille d’Ilan et de respect pour la communauté juive!
Honte à Mme Salamé!
Changeons donc de sujet…enfin presque..
Que pense Roselyne Bachelot d’une retraite à 90 ans ?
Avec sa « légèreté », sa frivolité mal contenue, et son sens de la liberté de propose ça ne devrait pas lui faire peur non ?
Elle aura bientôt cet âge un jour prochain…