Entretien avec Lisa Mamou
L’Institut français de Tel Aviv accueille depuis le 15 décembre 2022, la jeune artiste française Nina Médioni dont l’exposition intitulée « Le voile » ( Commissariée par l’Israélienne Maayan Shellef) se tiendra jusqu’au 27 Janvier 2023. Médioni documente ses rencontres avec de jeunes israéliennes, des filles de sa famille mais aussi des inconnues. Lisa Mamou s’est entretenue avec Nina Médioni.
« La photographie c’est un médiateur entre moi et les autres », m’avoue-t-elle d’une voix douce.
« Le Voile » est comme elle, un mélange de pudeur et de grande intimité, un regard hésitant pourtant vibrant de sincérité.
Lisa Mamou: Vous êtes française et avec « Le Voile » vous exposez pour la première fois en Israël, est-ce que le choix de L’Institut Français de Tel Aviv était une évidence ?
Nina Médioni: Je suis nouvelle dans le paysage artistique en Israël et après avoir reçu une bourse publique du CNAP, j’ai été mise en contact avec L’Institut Français de Tel Aviv qui est le premier Institut à m’avoir accueillie en tant qu’artiste, à m’avoir guidée et conseillée en Israël ; quand son attachée culturelle, Laura Schwartz, m’a proposé d’y exposer, j’ai évidemment dit oui, c’était pour moi le lieu parfait ! D’autant plus que c’est un projet qui par son sujet soit « ma famille religieuse » doit rester un projet intime et ne pas être exposé à l’extérieur dans un parc sur des affiches de deux mètres sur trois comme on a pu me le proposer.
Pourquoi avoir choisi de photographier des membres de votre famille ?
En 2015 pour des raisons personnelles j’ai été amenée à me rendre régulièrement en Israël et un jour j’ai décidé d’aller à la rencontre de cette partie de ma famille à Bnei Brak, sans intention de les photographier, juste apprendre à les connaitre ; j’ai été fascinée par la manière que les enfants avaient de me regarder, par leur façon singulière de dessiner, eux qui ont grandi sans aucun modèle au niveau de l’image ; à la même époque je venais de commencer en France une école de photographie et j’ai eu envie qu’ils deviennent les sujets d’un de mes projets .
Comment avez-vous réussi à les convaincre ?
J’ai appelé ma cousine et je lui ai demandé si je pouvais venir quelques mois les photographier, je lui ai expliqué que j’étais étudiante en Art, en école de photographie et contrairement aux plus jeunes membres de la famille, c’était un milieu qui ne lui était pas totalement inconnu car elle a grandi dans une famille libérale ; elle m’a dit oui assez naturellement, évidemment je lui ai expliqué que je ne voulais pas être dans une position de paparazzi ; j’ai conscience que c’est un moment privilégié que ma famille m’a offert, j’ai essayé de trouver la balance entre les moments où je pouvais sortir mon appareil photo sans que ce soit intrusif et d’autres ou nous passions simplement du temps ensemble ; je crois aussi que le secret était qu’ils étaient autant curieux de moi que je l’étais d’eux.
Ce projet est-il encore en cours ?
Oui, car je veux suivre l’évolution de ma famille, voir les enfants grandir ; c’est cette jeunesse que je souhaite documenter, particulièrement cette période comprise entre l’enfance et la fin de l’adolescence comme un moment « d’hésitation » que je trouve très fort , surtout dans un pays comme Israël avec une société composée de bulles… J’ai eu la chance de circuler parmi ces bulles, le monde religieux, le monde laïque et dans chacun d’eux tellement de ramifications !
Est-ce pour cela que vous avez choisi de faire également en parallèle des portraits de jeunes femmes inconnues que vous avez rencontrées dans vos déplacements ?
Je ne vis pas à Bnei Brak, je vis à Tel Aviv et ce projet est sur ma famille mais aussi sur la relation que j’ai avec eux, cette relation se construit autour d’allers-retours entre un monde religieux et un monde laïque, je voulais que mes photos soient aussi un reflet de ce composite qu’est la jeunesse israélienne; à Tel Aviv mais aussi à Jérusalem, j’ai croisé une « autre » jeunesse avec qui des relations se sont créées, dans leurs portraits on peut parfois même voir une familiarité dans le regard qui contraste avec une certaine distance qui perdure dans ceux de jeunes filles de ma famille .
Qu’est-ce que ces rencontres vous ont apporté ?
J’ai grandi dans une famille fragmentée avec une mère catholique et un père juif mais d’une famille libérale, j’ai toujours eu l’impression de n’avoir pas vraiment d’appartenance, cela a été un peu le moteur de ce projet, aller à la rencontre de cette partie de ma famille mais aussi de ce pays dont je ne parlais pas la langue et sur lequel j’avais des idées un peu arrêtées. Pour moi la photographie c’est une manière d’aller à la rencontre des autres, de comprendre sur quel territoire je me trouve et comment m’y placer; faire des photos m’a rapprochée des gens, de cette partie de mon identité, de cette jeunesse aux multiples visages ; je cherchais à trouver un peu des figures de moi-même, des personnes qui sont aussi un peu comme moi en hésitation et dans un mode plutôt contemplatif.
Votre père, l’architecte Philippe Medioni, vous a aidée à adapter une structure qui ressemble un peu à une « soucca », qui avait été dessinée avec la commissaire Apolline Lamoril pour votre exposition « Les Cabanes » en 2021 et qui aujourd’hui abrite l’exposition parisienne qui se tient en parallèle de l’exposition « Le Voile » de L’Institut Français de Tel Aviv: pourquoi avoir choisi cette installation ?
« La Distance qui nous lie » est une exposition en duo avec la photographe Tchèque Marie Tomanova, proposée par la commissaire d’exposition Sonia Voss et qui a démarré le 3 Novembre, elle se tiendra jusqu’au 11 Janvier au Centre Tchèque à Paris ; cette installation que nous avons adaptée à ce projet me permet d’engager une réflexion sur cette série de photos qui est de l’ordre de la question du territoire puisqu’elle a été réalisée dans plusieurs villes ; cette « soucca » ouverte permet aux visiteurs de « circuler » entre Bnei Brak, Jérusalem et Tel Aviv.
Qu’allez-vous nous « dévoiler » dans un prochain projet ?
D’abord mes projets ont toujours été pour moi un moyen de me situer ; comprendre où j’évolue et par qui je suis entourée; je travaille sur un projet que je consacre à la maison atypique de mon oncle, un chalet qui date de l’exposition universelle de 1878 et qui a été déplacé du Champs de Mars au 19ème Arrondissement de Paris. Il a acquis cette maison il y a douze ans et l’a retapée, il est architecte comme mon père ; j’ai développé une certaine intimité dans cette maison familiale où pourtant vous vous réveillez chaque jour avec des badauds qui la contemplent, intrigués ; j’ai décidé, plutôt que d’éviter leurs regards, d’aller à leur rencontre et de comprendre leur fascination ; c’est finalement plus un projet sur la façon dont se construit l’imaginaire collectif et en particulier l’imaginaire d’un quartier.
© Lisa Mamou
Pour infos:
Dans le cadre de la publication prochaine du premier livre de Farah Keram, journaliste franco-tunisienne, Nina Médioni poursuit un travail de photographie qui l’amène avec l’auteur entre Tunis et Alger à la rencontre des femmes de sa famille. Ainsi naîtra un livre qui se veut un livre de recettes et une réflexion intime sur la place des femmes au Maghreb et porte parallèlement la photographe à poursuivre une série de portraits, de collectes de moments, singuliers et rare. Date de publication : octobre 2023.
Informations pratiques
« Le voile »
Une exposition de la photographe française Nina Médioni
Commissariat : Maayan Sheleff
Du 15 décembre 2022 au 27 janvier 2023
Espace d’accueil de l’Institut français de Tel Aviv | Rothschild 7
https://instagram.com/ninamedioni?igshid=YmMyMTA2M2Y=
https://paris.czechcentres.cz/fr/programme/photosaintgermain-marie-tomanova-and-nina-medioni
Vous devriez publier ceci:
https://taistoixiao.wordpress.com/2022/12/20/monuments-aux-collaborateurs-nazis-en-ukraine/
oups le titre m’a fait mal aux yeux et mal au ventre : « entrouve », je ne connais pas, seulement « entrouvre »