Aurore Lartigue. Djerba, l’île du « vivre-ensemble », hôte du sommet de la Francophonie

Chaque année, la synagogue de la Ghriba fait l’objet d’un pèlerinage qui draine des fidèles du monde entier.  © RFI/Aurore Lartigue

L’île touristique de Djerba, au sud de la Tunisie, a accueilli le sommet de la Francophonie. Au-delà des raisons pragmatiques de ce choix, l’événement est l’occasion de mettre en avant « la diversité culturelle » de ce territoire, en écho aux valeurs de la Francophonie. 

Croix, étoile, croissant. À Djerba, ce n’est « pas une seule foi, mais toutes les fois qui s’expriment », clame l’une des vidéos de promotion du XVIIIe sommet de la Francophonie. Dans sa communication, l’organisation n’a pas manqué de mettre en valeur le cliché djerbien : trois religions monothéistes qui cohabitent dans une relative harmonie depuis des siècles sur ce petit bout de terre et de palmiers entre Méditerranée et Afrique subsaharienne. Et surtout, l’une des dernières communautés juives du monde arabe. Une exception culturelle qu’elle fait résonner avec les principes fondateurs de la francophonie : paix, tolérance et solidarité. 

Mais l’historienne franco-tunisienne Sophie Bessis le rappelle d’emblée : « Djerba a d’abord été choisie pour des raisons sécuritaires. C’est une île, donc plus facile à sécuriser que la capitale. De plus, comme c’est un haut lieu du tourisme, les infrastructures étaient déjà là pour accueillir un tel sommet. L’aspect culturel est venu après, pour habiller ce choix. »

« La coexistence dont on parle n’est pas un slogan creux, elle est vécue au quotidien« 

De l’habillage peut-être, mais une réalité, assure-t-on avec force ici. En atteste la présence de quelque 300 mosquées, d’une dizaine de synagogues et même de l’église Saint-Joseph, au cœur d’Houmt Souk, le chef-lieu de Djerba, où un jeune prêtre italien officie pour une petite communauté catholique. « Mais cette identité plurielle, cette diversité culturelle et cultuelle ne s’apparente pas à un musée », insiste Naceur Bouabid. Professeur à la retraite et ancien guide, il a aussi travaillé à la candidature de l’île au Patrimoine mondial de l’Unesco. Il s’agit de lieux de cultes qui sont utilisés au quotidien ou chaque semaine. » 

L’église Saint-Joseph, dans le centre d’Houmt Souk, accueille toujours les quelques fidèles catholiques de l’île.  © RFI/Aurore Lartigue
À deux rues de l’église, El Thourk à Houmt Souk, l’une des 365 mosquées recensées sur l’île.  © RFI/Aurore Lartigue

Une image d’Épinal qui aurait presque tendance à lasser les Djerbiens tant elle s’apparente ici à une évidence. « La coexistence dont on parle n’est pas un slogan creux, elle est vécue au quotidien », souligne Naceur Bouabid. « Je comprends qu’il y ait une curiosité dans un contexte qui n’est pas forcément favorable à la coexistence, mais pour nous, c’est naturel. On travaille ensemble, il y a des cafés où les gens jouent, se mélangent, jouent aux dominos ensemble. Un exemple tout bête : pour la confection de nos trousseaux de mariage, on achète indifféremment les bijoux chez les artisans juifs comme musulmans. » 

Considérée comme la plus ancienne synagogue d’Afrique, la Ghriba abriterait une pierre du temple de Salomon. Chaque année, l’édifice, situé à Hara Sghira, l’un des deux « villages » juifs de l’île, accueille un important pèlerinage. Toujours sous haute surveillance depuis que les lieux ont subi deux attentats, l’un en 1985, lorsqu’un soldat chargé d’assurer la sécurité du site avait ouvert le feu à l’intérieur de la synagogue, faisant cinq morts. L’autre en 2002, quand un jeune franco-tunisien lié à Al-Qaïda avait tué 21 personnes à l’aide d’un camion piégé devant la Ghriba. L’année dernière, 6 000 fidèles venus d’Israël, mais aussi d’Europe ou des États-Unis s’y sont réunis. Des musulmans viennent parfois prendre part aux rites et prier aux côtés des juifs. « Tout le monde est le bienvenu, il n’y a pas de problème », souligne Perez Trabelsi. Responsable des lieux depuis 1966, il a vu la communauté s’amenuiser au gré des soubresauts du conflit israélo-arabe. « Avant, raconte-t-il, plein de juifs vivaient à Hara Sghira et le samedi, la synagogue était pleine. Mais après la guerre des Six Jours, en 1967, beaucoup sont partis. » Et d’autres vagues ont suivi. Selon les estimations, il ne reste qu’un millier de juifs en Tunisie – contre 100 000 au moment de l’indépendance en 1956 –, dont quelque 700 à Djerba. « Mais ils sont bien ici, ils vivent comme ils veulent et ne veulent pas partir », assure le vieil homme.

Perez Trabelsi est responsable de la synagogue de la Ghriba depuis 1966.  © RFI/Aurore Lartigue

L’entrée de Hara Kbira, le second « village » juif de Djerba, est sécurisée par des policiers. À l’heure de la sortie des cours, des groupes de garçons, kippas sur la tête, et de filles, jupe sombre au-dessous du genou, s’égayent dans les rues. Le quartier abrite deux écoles de filles et deux de garçons, ainsi qu’une yeshiva, où les garçons se rendent pour étudier la Torah. Ici, on parle arabe ou hébreu, le français est souvent rudimentaire. Quand on pose la question de la coexistence avec les musulmans, le sujet est vite balayé. Une discrétion qui rappelle l’équilibre fragile qui régit les relations entre les deux communautés.

Sara* (son prénom a été modifiée) travaille dans une crèche du quartier. Elle est allée à l’école laïque qui jouxte le quartier. Comme elle, une poignée d’enfants de confession juive continuent de partager les mêmes bancs que les petits musulmans. La jeune femme en garde un bon souvenir « On était deux filles juives pour 25 élèves, se souvient-elle. Certaines de ses anciennes camarades vivent toujours dans le quartier. Continue-t-elle de les côtoyer ? « Oui, on se dit bonjour, on se suit sur Instagram », témoigne-t-elle. Elle hausse les épaules. Leurs relations s’arrêtent là. « Juifs et musulmans vivent davantage côte à côte qu’ensemble, analyse l’historienne Sophie Bessis. Cette cohabitation est très ancienne, mais elle n’a pas été une relation sans nuages. Les juifs de Djerba ont toujours vécu dans leurs propres villages, une stricte endogamie étant la règle des deux côtés. »

Hara Kbira, l’un des deux quartiers juifs de Djerba.  © RFI/Aurore Lartigue
Un vendeur de brick à l’œuf, spécialité tunisienne, dans le quartier juif Hara Kbira.  © RFI/Aurore Lartigue

L’ibadisme, l’autre minorité de l’île

Mais Djerba abrite une autre minorité religieuse : l’ibadisme. Cette « école de pensée », ultra-minoritaire dans le monde musulman, est souvent considérée comme « la troisième voie de l’islam » au côté du sunnisme et du chiisme, explique Saïd Barouni, lui-même ibadite et conservateur de la bibliothèque Al Barounia, qui renferme de nombreux écrits sur ce courant. L’ibadisme professe un islam tolérant et pacifique, et s’oppose à tout prosélytisme. « Nous pensons qu’il faut vivre avec les autres religions et avec les laïcs ensemble. Avec les malikites (le courant musulman majoritaire à Djerba), on prie d’ailleurs ensemble et indifféremment dans les mosquées malikites ou ibadites », souligne Saïd Barouni. Un principe d’égalité s’applique entre tous les fidèles et le pouvoir doit revenir à celui qui en est le plus digne, ce qui fait qu’on les qualifie parfois de « démocrates de l’islam ». Ils sont souvent comparés aux protestants en raison de leur rigorisme et de leur droiture. Une austérité visible dans la sobriété architecturale de leurs mosquées.

La mosquée souterraine El Bardaoui, à Mezrane, a été récemment restaurée.  © RFI/Aurore Lartigue

C’est cette spécificité moins connue de l’île que Khaoula El Cadi, présidente de l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba, veut mettre en lumière. L’Assidje a participé à des programmes de restauration de plusieurs de ces mosquées ibadites, comme celle d’El Bardaoui, dans l’est de l’île. Certaines figurent d’ailleurs dans les circuits touristiques proposés par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à l’occasion du sommet, au côté des autres points d’intérêts de l’île. Une première étape qui, elle l’espère, contribuera à sensibiliser les tours opérateurs à la richesse de ce patrimoine.

© Aurore Lartigue  

Aurore Lartigue est l’Envoyée spéciale de RFI en Tunisie

https://articles.rfi.fr/fr/monde/20221118-djerba-l-%C3%AEle-du-vivre-ensemble-h%C3%B4te-du-sommet-de-la-francophonie

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4 Comments

  1. Cela fait très carte postale. Propagande. Il serait temps d’en finir avec cette « francophonie » qui du ridicule a sombré dans l’abjection totale avec Yseult et Macron. D’ailleurs dans le monde actuel connaissez vous un seul pays francophone qui ne soit pas pourri ?
    La langue de Moliere et Hugo est devenue la langue d’Annie Ernaux et Édouard Louis…

  2. La francophonie accueil 80 pays dont certains n’ont aucune relation avec la langue française. Par contre, Israel où pres de 800.000 personnes parlent français est exclu.Djerba, l’ile du vivre ensemble, sauf avec les israeliens. Foutaise

  3. Avec Yseult en plus…La aussi bel exemple de newspeak. Le terme « francophonie » est devenu aussi vide de sens que les mots « démocratie », « progrès », « liberté », « antiracisme » …L’expression « vivre ensemble » (des le titre !) est un parfait terme de newspeak ! On ne parle de « vivre ensemble » que dans les pays et les époques où la société est ghettoisée et où les gens ne peuvent plus vivre ensemble. Newspeak = langage du fascisme.

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