Aujourd’hui les portiques ne marchaient pas avec les tickets carton. Va savoir pourquoi. Toujours est-il que je suis passée en fraude pour ne pas louper mon train devant l’agent de la RATP qui m expliquait ne pas avoir la main pour me laisser entrer malgré mes titres de transport valides. Le fait que j ai une vie et un train à prendre n était pas son problème. Trois portiques entre entre le métro et le train, un risque d’amende. Un calcul coût-risque dont je me fous, étant capable de rédiger une contestation toute seule, et que je dois absolument régler des détails avec mon professeur avant une audition.
Arrivée en avance Gare du Nord, j’ai pu me payer le luxe d’aller me chercher un café. Depuis les restrictions budgétaires de la SNCF, certaines lignes jugées non rentables ne bénéficient plus de wagon bar. Reste la maison Pradel. C’est là que je suis tombée sur Soraya. Elle avait les yeux bleus océan et profonds attaqués de rougeur au niveau de la sclérotique, et la tête rasée court éparse de cheveux prématurément blancs. Une écharpe rose fushia d une mode surannée, une voix cassée. Un manteau.
On sentait son désespoir tempéré par la chance d avoir un manteau. Une junkie ? Une déclassée ? Une accidentée de la vie ? Les trois ? Je ne sais pas. Mais elle était française. J’ai d abord répondu que je n’avais pas d argent liquide sur moi. Elle s’est éloignée. Puis, frémissant à ce que cette nana devait subir toute la journée dans la rue, je lui ai demandé si elle voulait un café. Timidement, elle m’a répondu non… Puis a osé me demander un café au lait, polie. Deux boissons chaudes. 6.30 euros. Elle s’est ruée sur le gobelet au moment où je le lui ai tendu. Puis, machinalement, s’est saisie de tous les sachets de sucre à disposition avec ses mains caleuses et ses ongles bleus, peints sans doute avec un vernis volé dans des enseignes à bas coût.
J’ai compris plus tard dans la journée que je buvais un café noir pour me réveiller quand elle préférait un café au lait pour se nourrir un peu. « Merci Mademoiselle »… Nous devions pourtant avoir le même âge. Et elle m’appelait mademoiselle. Comme si ce mot avait l’écho de son usage social d’antan… C’était terrible. J ai couru prendre mon train.
Gare de Lille. Je m’offre un second café, un euro moins cher qu’à Paris, quand un monsieur à barbe jaune et grise et au nez rouge me demande de l argent. « Je ne peux pas vous aider monsieur »… La faute à pas de chance pour lui… Si je l’avais croisé en premier… « Jveux ça », me dit-il en pointant du doigt la salade de pâtes garnie de jambon et d’oeufs. Comme si j étais la bourgeoise du poème de Prévert. « Mademoiselle. (Encore?!) On m a volé mes chaussures », m’a-t-il dit en me montrant ses tongs et ses chaussettes. Le vendeur le menace d’appeler la sécurité s’il fait la manche. « Jvais te casser la gueule si t’appelles la sécurité » …
L’homme pour qui ces gens ne sont rien n’a-t-il de compassion que pour la pauvreté venue des mers ? Et faut-il forcer les côtes avec des associations et des bateaux pour obtenir la considération de l’Etat.
Je me suis toujours demandé pourquoi l’État ne faisait rien pour les pauvres. Eh bien ma réponse est : pour créer un climat morose de terreur. Pour que les gens vivants craignent d’avoir à survivre. Pour qu’un oeuf devienne objet de convoitise. Et si la pauvreté n’est qu’un outil de contrôle social, les bateaux sont au pouvoir ce tout destiné à ne devenir rien.
Le degré de cynisme de ces gens me débecte. La misère n’est pas un concept sorti de livres que les politiques ne lisent de toutes façon pas. Je prendrai au sérieux les grands discours sur l’immigration quand Soraya et cet homme seront dans un centre de réhabilitation sociale ou n’importe quoi d’autre qui fonctionne et sort les gens de la misère.
J’ai toujours préféré me faire appeler Mademoiselle. Les artistes se sont toujours fait appeler Mademoiselle. Non par infériorité, mais par travail de l’insouciance, par persévérance dans la légèreté. La légèreté est morte. Ce « Mademoiselle » là ne dit rien qui vaille.
© Laurine Martinez
Laurine Martinez est chanteuse lyrique en fin d études, diplômée de sciences pipo Paris, russophone.
Magnifique article. Moi aussi je connais des SDF qui survivent dans une misère effroyable mais sont bien trop français pour attirer la compassion des nantis bobos : ainsi l’odieuse LICRA 🤮 qui pleure à chaudes larmes devant le sort des migrants mais applaudit la politique de Macron🐷 et de l’UE jetant des Européens dans la misère. Par contre si l’Etat ne fait rien pour aider les pauvres ce n’est pas comme vous dites pour créer un climat de terreur, mais parce que les psychopathes qui nous gouvernent ont un mépris absolue pour les faibles (c’est l’une des caractéristiques du fascisme) quels qu’ils soient : les plus démunis, les retraités peu fortunés enfermés dans des mouroirs, les handicapés et même les victimes de crimes et d’agressions !… L’idéologie dominante est une idéologie de barbares.