Le matin du 17 juin 1944, un homme en civil a frappé à la porte… Il avait un mandat d’arrêt contre moi… Ils m’ont interrogée… Ils ont posé des questions sur les enfants, en particulier sur Hannah. L’enquêteur m’a demandé où elle se trouvait, alors en souriant, j’ai répondu qu’elle était dans une implantation agricole près de Haïfa. Il a secoué la tête et dit : « Elle est ici, dans la pièce voisine ». La porte s’est ouverte. J’étais stupéfaite. Aniko [Hannah] se tenait dans l’embrasure de la porte, tenue par quatre hommes. Ses cheveux ébouriffés ne cachaient pas les contusions bleues au-dessus de ses yeux. Elle a échappé à leur prise et sauté sur moi en sanglotant : « Mère, pardonne-moi ».
Ainsi se souvient Katherine Szenes (Senesh), la mère d’Hannah, comme elle le raconte dans le témoignage accordé à Yad Vashem en 1960. Jusqu’à ce qu’elle voit sa fille à la prison de Budapest, Katherine était sûre que ses enfants avaient trouvé un refuge sûr en Eretz Israël (Palestine mandataire).
Hannah-Anna (Aniko) Szenes voit le jour à Budapest, Hongrie, en 1921, dans une famille assimilée, imprégnée de culture hongroise. Son père Bela est journaliste, auteur et dramaturge. Il décède quand Hannah a six ans. Ses pièces continueront à être jouées après sa mort ; l’une d’elles fera l’objet d’un film, dont les droits d’auteur permettront à sa veuve Katherine de subvenir confortablement aux besoins des enfants.
Dès son plus jeune âge, Hannah fait preuve d’une certaine prédisposition pour l’écriture. Elle tient un journal intime et écrit des poèmes, d’abord en hongrois, puis, plus tard, quand elle devient une sioniste passionnée, également en hébreu. Elle a un frère, Giora, âgé d’un an de plus qu’elle.
En 1939, Hannah immigre en Eretz Israël. Elle fréquente l’école d’agriculture de Nahalal pendant deux ans, puis rejoint le kibboutz Sdot Yam en 1941. En 1943, elle s’enrôle volontairement dans l’armée britannique où elle suit une formation de parachutisme, devenant l’une des 37 parachutistes volontaires du Yishouv dans les rangs de l’armée britannique, et l’une des 3 femmes qui demandent à être parachutée en Europe occupée pour aider ses frères juifs.
En mars 1944, environ une semaine avant l’occupation allemande de la Hongrie, Hannah est envoyée en Yougoslavie, avec 3 autres parachutistes du Yishouv : Abba Berdichev, Reuven Dafni et Yona Rosen. Reuven Dafni se souvient de leur première rencontre avec les partisans de Tito, juste après leur saut :
Le fait qu’il y ait une femme avec nous, une parachutiste, a énormément impressionné les partisans… C’était assez rare, et le parachutisme n’était pas non plus ce qu’il est aujourd’hui, donc une parachutiste – la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre… Il y avait des femmes combattantes parmi les partisans, mais pas de parachutistes… Ils savaient que nous venions d’Eretz Israël, que nous étions juifs et ce que le peuple juif avait enduré ; ils nous ont très bien traités, et avec respect.Archives de Yad Vashem O.3/6988
Hannah restera environ 3 mois avec les partisans de Tito, essayant sans relâche d’atteindre, avec leur aide, la Hongrie. Elle est alors fermement convaincue que les parachutistes se doivent d’agir sans tenir compte de leur propre sécurité, car même s’ils ne parviennent à sauver des Juifs, leur sacrifice personnel constituera un symbole qui donnera force et foi aux Juifs d’Europe. Dafni raconte :
Je n’étais pas content des papiers d’Hannah [sa fausse identité]. Pas du tout. J’ai vu que le travail effectué par les partisans pour remplacer les photographies… n’était pas si mal au vu des conditions que nous avions en forêt, mais il était clair pour moi que quiconque, même peu expérimenté en la matière, pourrait voir immédiatement que la photo avait été falsifiée. J’ai tenté de convaincre Hannah de ne pas se déplacer avec ces papiers, j’avais peur… Nous avons eu une discussion très animée. Elle était extrêmement obstinée… Jusqu’à ce qu’elle me dise soudain : « Même s’ils m’attrapent – les Juifs seront avertis. Ils sauront que ne serait-ce qu’une personne a essayé de venir à eux. » Archives de Yad Vashem O.3 / 6988
Au début du mois de juin 1944, Hannah franchit la frontière hongroise. Elle sera arrêtée quelques heures plus tard, en possession d’un émetteur. Sandor Fleischman, l’un des hommes qui traverse la frontière avec elle, est également interpellé. Plus tard, il témoignera :
Nous avons dû traverser à la nage. Anna portait la radio et nous l’avons aidée… C’était une nuit noire… Aniko a fourni un énorme effort, car j’avais dit que je n’étais plus capable de traverser à la nage, car sinon je me noierai. Et elle, elle a encore fait cinq ou six aller-retours. Puis, à nouveau, il a fallu retourner dans l’eau, à nouveau faire passer des objets, transporter des fusils et d’autres choses que nous ne voulions pas mouiller… Nous avons enfoui l’uniforme de l’armée britannique d’Anna dans le sol et elle portait des vêtements civils. Archives Yad Vashem O.3 / 7393
Après son arrestation, Hannah est transférée à la prison de Szombathely, puis à celle de Budapest. Elle y est soumise à d’horribles tortures, à des menaces sur la vie de sa mère, mais se refuse à révéler les codes radio.
Yehuda Shaul Frankel, 14 ans, est arrêté à Budapest par la Gestapo, avec ses parents soupçonnés d’avoir aidé à faire passer des Juifs de Hongrie en Roumanie. La famille est incarcérée dans la même prison que Hannah Szenes. Le jeune homme se souvient :
Je ne sais plus comment, mais nous avions été informés de l’arrestation de Hannah Szenes. Je l’ai vu à plusieurs reprises, à l’étage au-dessus de nous… Elle était en train de coller des papiers à la fenêtre… Elle avait une énorme « Houtspa » [culot] juive, comme on dit. Elle collait toutes sortes de messages à l’attention des autres prisonniers, sur tout un tas de choses… Elle voulait leur dire qu’elle était là, et ce qui lui arrivait. Elle découpait du papier et le collait… Pendant une courte période, Peretz Goldstein [l’un des parachutistes du Yishouv] était lui aussi incarcéré dans la même prison, alors elle lui faisait passer des messages en les collant sur la fenêtre.Archives Yad Vashem O.3 / 7833
Quand Hannah est interpellée, sa mère Katherine est à Budapest. Elle raconte :
J’étais heureuse de savoir mes enfants dans un lieu sûr. Mais le destin a décidé de convoquer les souffrances de la guerre et mon inquiétude maternelle… Le matin du 17 juin 1944, un homme en civil a frappé à ma porte. C’était un détective de police avec un mandat d’arrestation. Il ne m’a pas dit de quoi j’étais accusée, je n’étais pas trop inquiète ; je savais qu’ils arrêtaient des Juifs tout le temps, je ne m’attendais à rien de fâcheux. Ils m’ont d’abord interrogée sur tout un tas de détails personnels. Ensuite, ils ont posé des questions sur les enfants, en particulier sur Hannah. L’enquêteur m’a demandé où elle se trouvait, alors en souriant, j’ai répondu qu’elle était dans une implantation agricole près de Haïfa. Il a secoué la tête et dit : « Elle est ici, dans la pièce voisine ». La porte s’est ouverte. J’étais stupéfaite. Aniko [Hannah] se tenait dans l’embrasure de la porte, tenue par quatre hommes. Ses cheveux ébouriffés ne cachaient pas les contusions bleues au-dessus de ses yeux. Elle a échappé à leur prise et sauté sur moi en sanglotant : « Mère, pardonne-moi ». Archives Yad Vashem O.3 / 1945
A l’issue de l’interrogatoire, Katherine est renvoyée chez elle. On lui demande de ne révéler à personne le motif de sa convocation. Après une courte période, elle est de nouveau arrêtée et cette fois, emprisonnée pendant près de trois mois avant d’être déportée au camp de concentration de Kistarcsa, le 11 septembre 1944. Deux semaines plus tard, elle est libérée du camp et renvoyée à Budapest. Pendant toute cette période, Hannah est en prison.
Au total, l’incarcération de Hannah Szenes durera cinq mois. Zipporah Hevroni-Razi, 11 ans, l’a, elle aussi, rencontrée en détention. Introduite clandestinement de Pologne en Hongrie par des membres du mouvement de résistance « Nasza Grupa » de Hanoar Hatsioni (la jeunesse sioniste), elle est arrêtée et emprisonnée dans la prison de Budapest. Elle se souvient :
En prison, ma sœur s’est soudain mise à siffloter une chanson en hébreu qu’elle avait apprise au mouvement de jeunesse. Chaque jour, nous sortions dans la cour une demi-heure pendant laquelle nous devions nous promener en rond, deux par deux. Seule une fille, Hannah Szenes, se tenait debout au milieu de la cour. A moi aussi ils m’ont permis de ne pas marcher avec tout le monde, car j’étais une petite fille, ce que les gardiens de prison ont pris en compte. Hannah s’est approchée de moi et m’a demandé qui j’étais, car elle avait entendu une chanson en hébreu. Bien sûr, ma sœur m’avait dit : Ne dit pas qui nous sommes ; nous sommes tous des prisonniers, mais même à eux tu ne dois pas leur dire, parce que nous nous faisons passer pour des Polonaises… Mais je lui ai dit. Je parlais un peu hongrois… Je l’ai rencontrée à quelques reprises dans la cour, même après qu’elle perdit ses dents. Elle a subi pas mal de tortures pendant cette période. Ils l’ont torturée et lui ont cassé les dents. Nous savions que c’était une prisonnière. Mais nous ne savions pas qu’elle était liée à Eretz Israel. Nous savions qu’elle avait des contacts avec les Britanniques… Une fois, des amis de l’extérieur ont réussi à nous envoyer un colis. Le paquet contenait de la confiture, des poivrons farcis, du beurre. … Nous avons demandé au directeur de donner une partie du contenu à Hannah Szenes… Elle fabriquait des poupées avec du papier et toutes sortes de chiffons. Elle a fabriqué des poupées de mariés et les a envoyées dans ma cellule… Ce n’est que quand nous sommes arrivées en Eretz Israël que nous avons alors compris qui était vraiment Hannah Szenes. Ma sœur a vu une photo d’elle en uniforme dans un livre.Archives Yad Vashem O.3 / 7068
Hannah comparaîtra pour trahison devant un tribunal militaire. Lors du procès, elle exprimera avec force et courage sa foi juive. Katherine raconte :
Le procès d’Aniko a eu lieu le 28 octobre. Il s’est déroulé à huis-clos et je ne pouvais y assister. Ils nous ont dit que la peine serait prononcée dans une semaine… Chaque jour, j’essayais de convaincre le juge militaire de me laisser parler à ma fille… Un jour, alors que je venais le voir, ses bureaux, d’habitude pleins de monde, étaient vides… Il m’a annoncé que la condamnation avait été exécutée la veille. Archives Yad Vashem O.3 / 1945
Le 7 novembre 1944, Hannah Szenes est exécutée par un peloton d’exécution, au motif de trahison contre la Hongrie. Elle a 23 ans. Yoel Palgi est l’un des parachutistes du Yishouv qui a lui aussi sauté en Yougoslavie. Après avoir traversé la frontière hongroise, il sera capturé et emprisonné. Il témoigne :
Soudain, un coup de feu retentit, un ou deux coups. Ils tiraient dans la cour. Que se passait-il ? Est-ce qu’ils exécutaient à nouveau quelqu’un ? Non, non, ce n’était pas possible… Cela devait être une balle perdue du fusil du garde… en ce début d’après-midi… « Que s’est-il passé ? », demandera Fleischman. Et voilà ce qu’on lui répond : « Les coups de feu que nous avons entendus, c’était une exécution… Ils ont exécuté Hannah, il y a une heure. » Nous étions pétrifiés, comme transformés en pierre. Hannah ? Impossible ! C’est une erreur, une erreur, une erreur ! Chaque goutte de sang en moi, chaque terminaison nerveuse se mit à rugir. Ce n’était pas possible ! Pourquoi elle précisément, et pas nous ?!… J’ai senti qu’il fallait que je dise quelque chose, mais les mots restaient étouffés dans ma gorge. Je voyais que tous les yeux étaient rivés sur moi. J’ai balbutié : « Elle était la personne la plus merveilleuse que j’ai rencontrée dans ma vie ! »… Nous nous sommes levés et sommes restés immobiles, en silence, pendant un long moment. Puis, nous nous sommes rassis sans pouvoir prononcer un mot… Les larmes qui ne trouvaient pas la sortie, comme congelées, engendrèrent une souffrance brûlante. Ils ont tué Hannah ! Je ne pouvais que répéter, hébété… Ils ont tué Hannah ! Ils ont tué Hannah ! Yoel Palgi, Un grand vent vient, 1978, p 194-196
Après l’exécution de sa fille, Katherine est contrainte à une marche de la mort par les Croix fléchées. Elle survit et rentre à Budapest. En octobre 1945, elle immigre en Eretz Israël où elle retrouve son fils Giora, parti s’y installer en janvier 1944.
Hannah Szenes, plusieurs fois commémorée par des auteurs et des dramaturges, est devenue un symbole de courage, de fierté et d’intégrité. Son propre héritage littéraire a également été publié et imprimé à maintes reprises et sous de nombreuses formes. Parmi ses poèmes les plus célèbres, sans doute celui d’Une Ballade à Césarée, plus connu comme Eli, Eli, She lo Igamer le Olam (Mon Dieu, Mon Dieu, que jamais ne finissent) mis en musique en 1945 par David Zehavi :
Mon Dieu, mon Dieu,
Que jamais ne finissent
Le sable et la mer,
Les eaux jaillissantes,
Le rougeoiement du ciel,
La prière de l’Homme.En 1950, la dépouille de Hannah est transportée en Israël et enterrée au mont Herzl ; l’implantation Yad Hannah a été baptisée ainsi en sa mémoire. En 1986, Katherine Szenes a rempli une Page de témoignage à Yad Vashem en souvenir de sa fille Hannah.
En 1993, la Cour suprême militaire hongroise rend une décision de justice qui annule la condamnation pour trahison de Hanna Szenes et l’innocente officiellement.
Le dernier poème en hébreu d’Hannah, « Bénie soit l’allumette », exprime son abnégation pour le peuple juif et sa volonté de se battre jusqu’à son dernier souffle. Elle confiera son texte à Reuven Dafni alors qu’ils se séparent, la veille de traverser la frontière hongroise. Elle lui demandera : « Si je ne reviens pas, donne ça à mes amis de Sedot Yam. »
Bénie soit l’allumette qui se consume comme du petit bois dans la flamme.
Bénie soit la flamme qui brûle dans la forteresse secrète du cœur.
Béni soit le cœur assez robuste pour arrêter de battre pour l’honneur.
Bénie soit l’allumette qui se consume comme du petit bois dans la flamme.
2 mai 1944Extrait de Hannah Szenes, l’étoile foudroyée, Martine Gozlan, 2014, p. 152
Archives Photos de Yad Vashem
Source: https://www.yadvashem.org/yv/fr/expositions/a-travers-lhistoire/index.asp
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