Je me souviens de la consternation de ma mère, quand j’avais répondu au conseiller d’orientation, au terme de ma seconde :
« Plus tard, j’aimerais être Arthur Rimbaud. »
J’avais découvert « Une saison en enfer », et l’étrange beauté des mots.
« Il plaisante », m’avait coupé ma mère, un peu gênée.
« Il veut faire médecine. »
Le conseiller d’orientation avait hoché la tête, pointé une ou deux notes sur mon bulletin scolaire.
« Un peu faible en Sciences Nat, quand même, pour des études médicales…C’est vrai qu’en français, il est meilleur… »
J’ai senti de l’affolement chez ma mère.
« J’ai prévu de lui faire travailler toutes les vacances de Pâques, ses Sciences Nat, Monsieur. Je demande une orientation en filière scientifique. »
Le conseiller a regardé avec condescendance ma mère, qui s’accrochait à son sac à main et qui portait son plus beau manteau.
« Tout le monde ne peut pas faire médecine, Madame. En classe scientifique, votre fils va droit dans le mur…Mais enfin, libre à vous… »
Il avait ricané, puis ajouté :
« Il pourra toujours écrire des poèmes ! »
…
En sortant du lycée, ma mère n’a pas dit un mot et gardait les lèvres serrées.
Je craignais le pire.
Qu’est-ce qui m’avait pris de parler d’Arthur Rimbaud ?
Puis, pas loin de la maison, elle s’est arrêtée puis m’a fixé de son regard à la fois tendre et sévère.
« Déjà, tu vas me faire le plaisir d’aller chez le coiffeur pour couper cette tignasse… Ensuite, je ne peux plus supporter cette veste en velours vert que tu portes… Elle est sale et informe.»
J’avais trouvé dans une friperie la même veste que Rimbaud. Je la quittais à peine pour aller dormir.
J’étais prêt à une confrontation dramatique avec ma mère.
Mais soudain, elle a récité :
« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. -Et je l’ai trouvée amère. -Et je l’ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice…
Après, je ne me rappelle plus.
Tu vois, moi aussi je connais Rimbaud.
Ça ne m’a pas empêché de vous élever et de faire à manger tous les soirs. »
…
Je ne suis jamais devenu Rimbaud, mais le soir j’aime parfois le lire.
Dans la journée, je soigne des gens.
© Daniel Sarfati
Il vaut mieux finir médecin que marchand d’armes !
Il a eu le soutien de sa mère qui a défait sans rancoeur les propos vexatoires de cet idiot de conseiller d’orientation; cet article de Daniel Sarfati aurait pu s’intituler « La gloire de ma mère ».