Entretien mené par Jacques de Saint Victor.
Franz-Olivier Giesbert: « Il vaut mieux être de gauche, c’est plus peinard«
« Le conformisme est de toutes les époques. Mais celui-là, avec sa moraline, puis son wokisme, a pris beaucoup d’assurance au cours des vingt dernières années », confie Franz-Olivier Giesbert
ENTRETIEN – Après le premier tome de son Histoire intime de la Ve République, consacré à de Gaulle, Franz-Olivier Giesbert évoque avec brio dans ce deuxième volume la période « libéral » des années Pompidou-Giscard, marquée par l’émergence à gauche du »camp du bien ».
LE FIGARO LITTÉRAIRE.- Après la mort du général de Gaulle s’ouvre une nouvelle époque
dans l’histoire de la Ve République. Peut-on parler d’une séquence libérale?
Franz OLIVIER-GIESBERT-. En ce qui concerne la présidence de Giscard, c’est incontestable, en particulier sur les mœurs. Mais VGE, en bon élève du Général, pour lequel il fut pendant six ans secrétaire d’État, puis ministre des Finances, croit en la force de l’État. C’est un libéral dirigiste alors que Pompidou, son prédécesseur, était plus dirigiste et antilibéral sur le plan sociétal, comme de Gaulle.
Le milieu intello-journalistique de cette époque est marqué par le gauchisme trotskiste et, surtout, maoïste. Comment définiriez-vous le terrorisme intellectuel qui régnait dans les années 1970 et qui frappe les plus lucides comme Simon Leys?
Ce terrorisme intellectuel est déjà très puissant. C’est pendant cette décennie que se met en place le camp du bien qui diabolise les esprits libres comme Simon Leys, sinologue génial dont le grand tort est d’avoir eu raison contre tant d’intellos stupides qui vénéraient Mao, pervers lubrique et narcissique qui restera, avec plus de 70 millions de morts à son actif, comme l’un des plus grands criminels de l’histoire de l’humanité. Rappelons, pour mémoire, que Simon Leys, auteur belge d’un des grands livres du XXe siècle, Les Habits neufs du président Mao, a été traîné dans la boue par la presse de gauche et méchamment saqué par l’université française, qui n’en a pas voulu, alors que Maria Antonietta Macciocchi, la Précieuse ridicule du maoïsme, y fut accueillie en fanfare avant de recevoir, en 1992, la Légion d’honneur des mains du président Mitterrand.
Diriez-vous que le camp du bien a plus d’influence aujourd’hui?
Oui, sans hésitation. Le conformisme est de toutes les époques. Mais celui-là, avec sa moraline, puis son wokisme, a pris beaucoup d’assurance au cours des vingt dernières années. Depuis quelque temps, il fait même des listes. Il y a des bons et des méchants, c’est-à-dire des maudits voués à la mort sociale, comme l’écrivain Richard Millet. Nous sommes revenus à une nouvelle forme d’inquisition. Si je prends l’exemple du Nouvel Observateur, il régnait alors une grande liberté d’opinion dans cet hebdo, qui pratiquait, sous la houlette de Jean Daniel, un journalisme de contradiction. Globalement, la parole est également moins libre aujourd’hui qu’hier avec ce qu’on peut appeler la «judiciarisation» des débats.
À cette époque, ne vous sentiez-vous pas bridé, brimé?
Non. On aimait le débat, la contestation. Moi-même, considéré comme un «droitier» au Nouvel Observateur, je pouvais y publier, par exemple, une longue et passionnante interview de Milton Friedman, prix Nobel d’économie et pape du monétarisme, sans que ça pose le moindre problème. Selon le mouvement sinistrogyre – toujours plus à gauche – que décrit si bien le politologue Albert Thibaudet, ce n’est plus la gauche mais l’extrême-gauche qui domine aujourd’hui beaucoup de nos grands médias. Elle est sectaire, inquisitrice.
Sartre est l’une des grandes impostures des années 1960 et 1970. À part « Les Mots », magnifique récit d’enfance, il n’a rien laissé
La figure de Sartre, que vous n’aimez pas, domine cette époque. Le Nouvel Observateur lui accorde beaucoup de place, car il fait vendre, alors qu’il dit beaucoup de bêtises. N’est-il pas l’incarnation de l’irresponsabilité d’une gauche qui, souvent, n’a pas su faire son mea culpa?
Sartre est l’une des grandes impostures des années 1960 et 1970. À part Les Mots, magnifique récit d’enfance, il n’a rien laissé, sinon des pièces indigentes, des romans rasoirs ou des essais indigestes. Sur le plan politique, il s’est rangé à gauche toute, à la Libération, pour qu’on ne lui demande pas de comptes sur son attitude pendant l’Occupation qui fut longtemps un secret bien gardé. Sa pièce Les Mouches a été jouée devant des officiers de la Wehrmacht. Pour le même grief, Sacha Guitry a fait soixante jours de prison avant d’obtenir un non-lieu. Il est vrai que Guitry, lui, n’était pas devenu, pour se protéger, un glorificateur du Parti communiste comme Sartre, qui enchaîna les combats douteux pour les pires régimes de la planète, pourvu qu’ils fussent marxistes.
Pourquoi Sartre n’a-t-il jamais fait de mea culpa?
Parce qu’il était de gauche et donc ontologiquement innocent! Plus encore que l’agneau qui vient de naître! C’est la grande force du camp du bien. Qu’il ait soutenu des massacreurs industriels comme les maoïstes, des prévaricateurs islamistes comme le FLN, des assassins homophobes comme Castro et tant d’autres, il n’avait pas à s’en excuser, puisqu’il le faisait pour notre bonheur à tous, pour les lendemains qui chantent. Sans oublier, comme disaient les marxistes à l’époque, qu’«on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs».
Être de gauche, est-ce toujours « un passeport pour l’innocence« , comme vous l’écrivez?
Oui, plus que jamais. C’est vrai dans tous les domaines, en particulier sur le plan judiciaire. Le parquet national financier est une machine à détruire la droite et elle seule. Pour le même délit, une personnalité de droite sera toujours plus inquiétée qu’une personnalité de gauche. Voyez comme les juges se sont acharnés contre Gaudin, à Marseille. Il vaut mieux être de gauche, on vous le dit. C’est plus peinard. Accusé d’emplois fictifs, François Fillon a été mis en examen à grand fracas en 2017. En 2022, ce ne fut, bien sûr, pas le cas du communiste Fabien Roussel. Deux poids, deux mesures. Observez les commentaires empathiques du camp du bien après que Louis Althusser, lui aussi communiste mais critique, eut étranglé sa femme sur un coup folie, en 1980. Il fallait le plaindre, le pauvre chat. C’est tout juste si ce n’était pas lui, la victime!
Qui, à l’époque, forge l’opinion? Les plus brillants ou bien la meute?
La meute ne comptait pas autant d’agents idéologiques qu’aujourd’hui. Elle n’avait pas cet effet marteau-pilon dont ont été victimes, ces dernières années, tant d’auteurs, comme Paul Yonnet ou, bien sûr, Michel Onfray.
Les Français ont fini par comprendre qui était Macron : un danseur étoile, souvent de talent, qui exécute des variations au gré de ses humeurs ou de l’actualité. Il n’a pas de desseins, ce ne sont que des marchepieds, il en change comme de chemise
Aujourd’hui, avec le recul, vous laissez transparaître un peu de honte sur ce que Le Nouvel Observateur, votre journal à l’époque, a pu faire. Que regrettez-vous le plus?
De ne pas m’être battu davantage, même si je fus en pointe contre le maoïsme ou contre la «folie des mollahs» qui submergea l’Iran en 1979 et que soutint une partie du journal, derrière le philosophe Michel Foucault. J’avais une excuse: on pouvait encore à peu près tout dire dans ce journal où cohabitaient des maoïstes, des trotskistes, des sociaux-démocrates ou des… chabanistes. C’est la culture de la contradiction qui nous a sauvés. Je n’en dirais pas autant du Monde, qui fut, avant de célébrer l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges, le journal officiel de la Chine populaire, sous la houlette d’un service étranger quasiment à la botte de Mao le massacreur.
Que pensez-vous de la situation actuelle? Le roi est-il nu?
Les Français ont fini par comprendre qui était Macron: un danseur étoile, souvent de talent, qui exécute des variations au gré de ses humeurs ou de l’actualité. Il n’a pas de desseins, ce ne sont que des marchepieds, il en change comme de chemise. J’espère pour lui qu’il se ressaisira vite, alors que la situation du pays devient de plus en plus grave. Sinon, il risque d’avoir une fin de règne atroce.
Montesquieu disait qu’il estimait les ministres parce que ce ne sont pas les hommes qui sont petits, mais les affaires qui sont grandes. Aujourd’hui, les défis ne sont-ils pas de plus en plus grands, et les personnes pour les traiter de plus en plus petites?
Leur cynisme et leur légèreté ne cessent de rapetisser nos gouvernants, tout comme leur absence de culture et de conviction.
© Franz-Olivier Giesbert, Entretien mené par Jacques de Saint Victor.
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