Les Apartés de Felie. Boulevard de l’Oubli

Les premières fraicheurs automnales. L’été a foutu le camp et il se passe tant de choses dans le monde, la guerre, la folie des hommes, cette société qui change sous nos yeux inquiets. Et, dans ce présent : Annie Ernaux a reçu le prix Nobel et de nouveau on s’insurge. On sait si bien condamner, c’est même devenu quasiment un oukase sur les réseaux. Je ne parlerai pas de la femme que je n’ai croisée que très brièvement une fois mais de l’auteure qui m’a fait comprendre comme fine était la ligne entre fiction et autofiction. Que l’on pouvait la traverser sans pour autant s’y perdre. D’autant que je me souvienne, j’ai toujours eu face à moi sur mon bureau, mon carnet noir et un stylo. Et, j’écris, j’écris, que sais-je faire d’autre ? Souvent, je me pose cette question. Je remplis mes carnets d’une écriture quasi illisible .

Écrire est cette mise en danger permanente, ce flirt parfois douloureux avec la subversion car le créateur est-il par essence même subversif ? N’est-ce pas même quasiment sa fonction ? Ce que l’on attend implicitement de lui ? Jusqu’où aller dans l’extrême, l’excès, la provocation ? Peut-on tout dire, tout montrer sous le couvert de l’art ? N’est-ce pas ainsi depuis la nuit des temps qui court. Maïeutique, mon amie, est le sujet. Le dialogue est ainsi ouvert. Mais, est-il, pour autant, aisé ? Je pose de naïves questions pour faire accoucher des incohérences, afin de comprendre les contradictions dans ce raisonnement de l’à peu près. J’ouvre le bal de l’indécence, du vice et de la vertu mêlés, démêlés, emmêlés.

L’écriture est comme une autre mémoire qui reste fixe. Elle ne va pas fuir dans les pertes de matière blanche de notre cerveau qui se décompose sous le poids de certaines maladies. Elle est sans faille, fidèle support et inaliénable et inconditionnelle amie.

Elle fleure doux le souvenir.
Je me souviens comme le disait si bien Perec.

C’était un mois de septembre, une semaine avant la rentrée du CP où je ne suis pas restée longtemps. Il me fallait des tabliers. À l’époque (je vieillis d’un coup de mots) on portait des tabliers. Ma grand-mère, ma mère et une vendeuse. Des tabliers bleus, blancs, roses. Les yeux verts qui se mouillent, le non qui se hurle et je montre un tablier noir à col blanc. Non me dit-on. Je m’enfuis dans les vêtements. Je n’étais pas rebelle, ni désobéissante (il aurait été impossible de l’être d’ailleurs). C’est ma grand-mère adorée qui a fait céder ma mère. Je me souviens des mots de la vendeuse qui m’aurait volontiers donné une gifle « elle va vous en faire voir de toutes les couleurs ».

Affirmant ma personnalité et mes goûts, j’étais déjà ostracisée. Mon désir n’était pas dans la norme. Je me souviens d’avoir répondu vous n’aviez qu’à pas le vendre. Le regard de ma grand-mère amusé, complice, Maman qui se retenait de rire. J’ai eu deux tabliers ce jour-là, d’autres vêtements et paires de chaussures et nous sommes allées toutes trois boire un chocolat chaud à la Rotonde.

Il aurait été plus simple d’aller au Lutetia mais c’était impossible. L’ancienne annexe des Allemands. Un jour peut-être j’expliquerai l’horrible lien qui attache mon histoire familiale (une partie) à cet hôtel qui vient tout juste d’être refait et où je n’ai jamais pu entrer sans ces souvenirs en tête.

Oui, je me souviens et les larmes sont au bord, mais elles ont la délicatesse de ne pas couler.
J’ai pris mes ciseaux et je me suis coupée une mèche de cheveux parce que cela fait sens pour moi.


J’ai sur ma table « Je ne suis pas sortie de ma nuit » d’Annie Ernaux, livre poignant qui m’a aidée pendant la maladie de ma mère.
J’écris et j’ai cette chance d’être libre, de ne pas subir de censure autre que la mienne qui est par ailleurs redoutable.
Publier est une espèce de douleur, c’est l’ultime lâcher prise, accepter de mettre le mot fin à un livre, un article, un court texte me donnent souvent la nausée.
J’ai pris ma mèche de cheveux et je l’ai rangée dans la boîte à souvenirs parce qu’il ne faut pas oublier, vous savez, jamais.

Cette femme iranienne Masha Amini. Morte parce que quelques mèches dépassaient de son foulard.
Non, il ne faut pas oublier. Jamais. Pouvez-vous vous le promettre ?

© Felicia-France Doumayrenc

Felicia-France Doumayrenc est autrice, critique littéraire, éditrice et peintre.

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1 Comment

  1. Chère Félie, je dois humainement reconnaître que vous Ecrivez remarquablement bien; essayant à mon modeste niveau de tenter d’écrire ma Biographie, ayant beaucoup de choses à raconter depuis ma tendre Enfance qui fut en vérité le début d’un parcours douloureux et chaotique à cause principalement d’un Père qui était un horrible Pervers Narcissique. Il a réussi à détruire mon enfance, mon adolescence alors qu’à 25 ans en épousant lia Femme de ma Vie, j’ai commencé à découvrir mon « Sacerdoce » défendre l’Autre et parfois même eau début de ma carrière quelques criminels, ce qui m’a permis de savoir comment ils étaient en vérité au fond d’eux-mêmes…..Je vous demanderai peut-être un jour des Conseils en matière Littéraire, envisageant bientôt de rejoindre la SGDL puisque mon premier livre a été publié à compte d’Editeur……BRAVO POUR VOTRE MANIERE D’ECRIRE………..Claude PUGNOTTI

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