Au commencement… Ces mots, qui font immanquablement penser à la Genèse et à l’hébreu Berechit, seront bientôt lus dans toutes les synagogues, à l’issue de Sim’hat Torah.
« Au commencement » (« In the begining »), c’est aussi le titre d’un livre, d’un grand livre, d’un épais livre (608 pages !), signé par un écrivain décédé il y a un peu plus de vingt ans – Chaïm Potok – qu’on ne cesse de redécouvrir à la faveur de l’adaptation de ses romans, au cinéma comme au théâtre.
De Potok, on sait le parcours éblouissant qui l’aura notamment vu couronné par de prestigieux prix littéraires de son vivant, devenir rabbin et exercer en tant qu’aumônier dans l’armée US pendant la guerre en Corée de 1955 à 1957. Mais on connait surtout, et on apprécie, l’œuvre puissante qu’il nous a léguée : son bouleversant « Elu », « La Promesse » également bouleversante, « Le Livre des lumières », directement inspiré de son vécu en Asie, le délicat « Je suis l’argile » et le sensationnel « Je m’appelle Asher Lev » qui a donné lieu en juillet dernier en Avignon, au Théâtre des Béliers, à une pièce d’Aaron Posner, adaptée et mise en scène avec talent par Hannah-Jazz Mertens.
Mais « Au commencement », paru aux Etats-Unis en 1975, est un petit chef d’œuvre qui mérite lui aussi le détour et quelques heures de nos vies de lecteur.
Réédité en 2021 aux éditions Les Belles Lettres, dans la collection Domaine Etranger dirigée par Jean-Claude Zylberstein, il bénéficie d’une traduction sensible de Nicole Tisserand et conte les débuts difficiles dans la vie du jeune David Lurie, fils ainé d’immigrants juifs polonais, à New-York dans les années 20 et au-delà. Un enfant qui tombe régulièrement malade et dont la santé fragile n’est pas un frein au développement intellectuel et à la sensibilité, bien au contraire !
Bien qu’entouré par des parents aimants, qui lui donnent un petit frère, il se retrouve confronté très tôt aux réalités, aux douleurs et hurlements du monde, à l’antisémitisme d’un petit voisin contrebalançant le melting-pot jovial new-yorkais qui existait alors.
Il entend, il sent, il vit les affres de son père, enrôlé un temps bien avant sa naissance dans l’armée polonaise pour lutter contre les hordes cosaques et résister aux pogroms qui déciment les shtetels. Il vit la souffrance de ses parents dont les familles sont restées, malgré tous leurs efforts et toutes leurs craintes, en Pologne. Il éprouve le désarroi de son père et celui de sa mère, confrontés à la crise de 1929 puis à l’accession au pouvoir d’Hitler en Allemagne et la barbarie nazie qui a suivi.
Et puis David, juif pratiquant et orthodoxe, se passionne à l’orée de sa bar-mitsva pour la Torah, pour la Guemara, pour les commentaires des grands érudits, de Rachi à Rambam, et bien d’autres. Il s’élève par la connaissance et cherche dans la remise en cause des enseignements qu’il reçoit, qu’il ne trouve pas assez approfondis, une remise en cause radicale de son existence, quitte à se trouver en rupture avec ses maitres et avec les siens, dont il cherchait jusqu’ici perpétuellement l’affection et la compréhension.
Je vous laisse découvrir la puissance de ce roman qui m’a ébloui. Je vous laisse apprécier la maitrise et la puissance évocatrice d’Herman Harold (Chaïm) Potok, né en 1929 quelques semaines seulement avant le grand krach de Wall Street, le jeudi 24 octobre ( « le jeudi noir » ). Un krach qui voit le père de David commencer à perdre pied…
Je vous laisse aussi sentir à quel point les ressorts dramatiques de l’ouvrage font écho à notre époque : la montée des périls nés de la crise économique, l’antisémitisme virulent, le fait religieux confronté au profane, la guerre en Europe et singulièrement en Ukraine avec les cosaques dont les descendants sont aujourd’hui frappés d’un Z, et tant de choses encore…
Lisez « Au commencement » de Chaïm Potok. Croyez-moi, vous ne le regretterez pas !
© Gérard Kleczewski
Gérard Kleczewski est Citoyen et Journaliste
Haim Potok, j’ai tout lu et relu de cet auteur aussi prolifique que talentueux. Ses œuvres sont des chefs-d’œuvre. Si je peux me permettre :lisez cet auteur, vous serez transporté dans un autre monde,que vous soyiez religieux ou pas.