L’hebdomadaire « L’Express » vient de révéler l’existence d’une note des services de l’État évoquant une mobilisation de la sphère islamiste sur les réseaux sociaux, ciblant la laïcité à l’école. Barbara Lefebvre y voit une conséquence logique de l’inaction de l’État pour combattre les partisans de cette idéologie.
Désespérant. Voici bien le seul mot qui convient pour commenter à chaud la note de service du CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation) adressée le 27 août dernier en interne et qui vient de « fuiter » dans l’hebdomadaire « L’Express ». Il y est fait état d’une énième offensive des mouvements fréristes et salafistes pour déstabiliser l’école publique en incitant les élèves, via des réseaux sociaux tels que TikTok et Twitter, à porter des vêtements religieux (hijab en classe ou en sortie scolaire, burkini en cours de natation) ou à imposer un certain nombre de pratiques cultuelles au sein des établissements scolaires (prières, jeûne collectif, chantage envers les élèves musulmans ‘«non conformes»).
Certains médias s’affolent, titrant par exemple avec une fausse naïveté : « École : la laïcité en danger ? », comme si la réponse n’était pas actée depuis la rentrée de 1989 au collège de Creil.
Désespérant pour ceux qui témoignent depuis près de deux décennies de cette offensive islamiste dans l’école publique, symbole de la République laïque à défaut d’être demeurée ce lieu de l’émancipation individuelle (en particulier des classes populaires) par la transmission d’un socle culturel commun de qualité.
Notre école « des compétences et des savoir-faire » est en phase avec le slogan de la chaîne de malbouffe américaine « Venez comme vous êtes »: un progressisme hyper- individualiste qui révèle notre aliénation à tous les standards de la sous-culture consumériste américaine.
Les islamistes l’ont bien analysé et n’ont cessé depuis les années 1990 d’améliorer leur discours, de l’adapter à l’évolution sociétale et aux nouvelles générations.
Ainsi depuis les attentats de 2015, ils ont nettement mis en sourdine la dimension djihadiste violente préférant un discours centré sur l’individu et sa liberté à pratiquer sa religion dans un État de droit. Le port du hijab, élément central du patriarcat islamique et pierre angulaire de l’islam politique contemporain, est devenu en Occident un signe d’émancipation féministe.
Chapeau les artistes! L’actuelle idylle entre ces barbus talibanisés et nos néo-féministes n’est pas sans rappeler les œillades énamourées de Sartre et Foucault envers l’ayatollah Khomeiny en 1979.
Répondant à la quête identitaire d’une part de la jeunesse française musulmane – à l’instar d’une large part de la jeunesse – qui ne se reconnaît pas dans la société occidentale liquide du XXIe siècle, les islamistes leur parlent de fierté, de projet collectif, de racines communes. Ils leur parlent aussi de l’ennemi qui entrave leur projet d’une vie conforme aux principes islamiques : la France laïque, celle qui sépare le politique du religieux, qui distingue le citoyen du croyant, qui considère la femme comme l’égal de l’homme. Un pays qui a connu le poids étouffant de la religion sur les individus, sur les institutions politiques, sur la culture, et s’en est émancipé avec fracas, dans une forme de longue guerre de libération, ciment de la nation républicaine.
On sait que d’autres identitaires « bien français » ont en commun avec les islamistes cette haine de la France, que leurs aïeuls appelaient la Gueuse.
L’offensive anti-laïque est multiforme, mais à l’école ce sont les islamistes qui tiennent la corde. Car eux ne souhaitent pas fonder des écoles hors contrats intégristes où se ghettoïser, ils veulent changer la société française, la fragmenter, l’atomiser de l’intérieur.
Miner l’école publique, c’est faire exploser la France. Parce qu’ils connaissent parfaitement son histoire, sa culture, ses imaginaires, leur objectif a toujours été double : s’attaquer à l’école de la République d’une part, à la liberté de la femme d’autre part. Mais, alors que depuis 1989 tout semblait se dérouler sans encombre, ils ont enragé quand la loi de 2004, bien que tardive, a fait obstacle à leur entrisme dans l’école. Le renforcement au fil des années du discours laïque institutionnel a également contribué à ralentir leurs progrès, mais il ne faut pas être
naïfs : les actes n’ont suivi que modestement. La note du CIPDR le souligne d’ailleurs : encore trop d’enseignants préfèrent se taire et laisser faire, quand d’autres encouragent l’entrisme islamiste par bienveillance envers les pseudos « victimes de l’islamophobie d’État ».
Désespérant lorsqu’on a participé en 2002 à un livre collectif d’enseignants sous la direction de Georges Bensoussan dont le titre est aujourd’hui servi à toutes les sauces sans que ceux qui le citent ne l’aient lu: « Les territoires perdus de la République ».
Tout ce que dit cette note du CIPDR, tout ce que contenait le rapport Obin de 2004, tout ce qui est relaté dans les rapports parlementaires, les notes de service etc., sans prétention excessive, nous devons l’affirmer: tout était déjà dans nos témoignages en 2002. Et si nous demandions une clarification sur l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école qui est arrivée en 2004, nous proposions d’autres mesures contre les réseaux islamistes qui auraient exigé un courage politique qu’aucun exécutif n’a eu à ce jour, par clientélisme électoral, par naïveté, ou par désinvolture.
Depuis notre livre, la situation n’a cessé d’empirer, dans l’école et hors de l’école. La susceptibilité identitaire n’a jamais été aussi puissante et généralisée dans la société : les faiseurs d’opinion nous répètent que des « catégories » de gens sont exposées à des centaines d’insoutenables petites vexations quotidiennes. Les islamistes jouent sur la corde sensible de l’individualisme occidental, éternellement en quête d’une micro-oppression, d’une micro-agression. Ils le retournent comme un gant pour servir leur objectif d’islamisation de masse des Français musulmans sur le modèle fréro- salafiste.
Et gare à celle ou celui qui refuse de se conformer à la norme frériste d’autant que l’aveuglement et le cynisme électoraliste (voire l’intérêt financier) de nos dirigeants politiques, de gauche comme de droite, n’ont cessé depuis trente ans de donner des gages à des personnages issus de la mouvance frériste qu’ils ont laissé paisiblement s’installer à la tête de pratiquement toutes les institutions islamiques françaises, qu’elles gèrent le cultuel ou le culturel.
Ils ont laissé des puissances étrangères, promouvant l’islamisme, investir en France dans le sport, le luxe, l’industrie, etc.
En 2012, François Hollande mettait en œuvre le «fond banlieue» du Qatar initié par son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Lorsque dans les années 2000, nous alertions sur le tapis rouge déroulé à des mouvements comme l’UOIF par les pouvoirs publics, on nous répondait «ce sont des modérés». Lorsque le CCIF déployait ses activités d’encouragement au séparatisme, il était accueilli dans les cabinets ministériels et auditionné dans les cénacles parlementaires en France et à Bruxelles. Sa dissolution il y a quelques mois n’aura aucun effet, depuis la Belgique il reste actif en France où il a paisiblement tissé pendant des décennies, son puissant réseau.
Depuis les années 1990, les politiques, malgré les lanceurs d’alerte, n’ont pas agi alors qu’ils disposaient de puissants leviers. On exige, en revanche, que les enseignants en première ligne soient au rendez-vous pour gérer la catastrophe annoncée !
Sur ces sujets, comme tant d’autres, les enseignants s’épuisent à vider la mer à la petite cuillère. En 2010, j’ai bataillé contre une élève et ma hiérarchie pour qu’elle retire son abaya. J’ai refusé de l’accepter dans ma classe quand mes collègues prétendaient ne pas savoir que l’abaya était un signe religieux. Reçus par la principale du collège embarrassée par ma détermination, les parents l’ont remerciée d’interdire le port de l’abaya à leur fille car ils étaient désemparés par sa soudaine dérive islamiste et avaient besoin du soutien de l’école pour éviter à cette banale quête adolescente de virer au cauchemar. Quelques semaines plus tard, cette élève finissait par quitter le voile noir dont elle s’était couverte du jour au lendemain.
De la même façon, en vingt ans d’enseignement, je n’ai jamais accepté d’adapter mes cours à la pratique religieuse de mes élèves, aussi épuisés soient-ils pendant le mois du Ramadan, je n’ai jamais déplacé une évaluation ou une sortie scolaire.
Je n’ai jamais craint de leur dire que je n’avais rien à savoir de leurs activités cultuelles, qu’ils devaient les assumer en silence, que l’école de tous n’avait pas à s’ajuster à leur foi qui relevait de l’intime. Dans le même temps, le principal du collège acceptait que les élèves qui jeûnaient se réunissent – au moment de la demi-pension dans une salle – à eux seuls réservée – où ces derniers ne se gênaient pas pour prier.
Nous étions dans les années 2000, et je pourrais écrire un livre d’anecdotes de cet acabit. Aussi lorsqu’en 2022 des notes viennent « révéler » des situations connues et banalisées, on est en droit de se demander s’il y a vraiment un pilote à la tête du paquebot France. À moins qu’il ne s’agisse du Titanic.
© Barbara Lefebvre
Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, est l’auteur de « Génération j’ai le droit ». Ed. Albin Michel. 2018.
Analyse tres juste.Mais n est on pas entrain d ecoper avec une epuisette,alors que le Titanic est deja touche ?
Analyse très juste en effet, comme le dit Lamponeon, mais, contrairement à son approche, il importe de réagir à toute occasion possible.
Rendons donc inconfortable la vie de ceux de nos politiques soumis aux voix islamistes dans les urnes ou ailleurs.