De la Rafle du Vel d’Hiv à aujourd’hui, L’antisémitisme en France
Citant un passage du discours présidentiel prononcé le 17 juillet 2022 pour commémorer le 80e anniversaire de la Rafle du Vél d’Hiv, Alain Finkielkraut ouvre la discussion avec ses invités, Laurent Joly et Georges Bensoussan.
Le 16 juillet 2017, à l’occasion de la commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv, « en ce jour sombre et solennel », le Président, Emmanuel Macron, prononçait un important discours à Pithiviers, dont voici un extrait. « Je récuse les accommodements et les subtilités de ceux qui prétendent aujourd’hui que Vichy n’était pas la France, car Vichy ce n’était certes pas tous les Français, vous l’avez rappelé, mais c’était le gouvernement et l’administration de la France. Les 16 et 17 juillet 1942 furent l’œuvre de la police française, obéissant aux ordres du gouvernement de Pierre LAVAL, du commissaire général aux questions juives, Louis DARQUIER DE PELLEPOIX et du préfet René BOUSQUET. Pas un seul allemand n’y prêta la main.
Je récuse aussi ceux qui font acte de relativisme en expliquant qu’exonérer la France de la rafle du Vel d’Hiv serait une bonne chose. (…) C’est parce que Vichy dans sa doctrine fut le moment où purent enfin se donner libre cours ces vices qui, déjà, entachaient la IIIème République : le racisme et l’antisémitisme. Je voudrais en ce jour que ces deux mots que l’on galvaude parfois résonnent de tout leur métal. Je voudrais qu’on entende bien le poids d’abomination et de malheurs qu’il porte, car ces enfants dont nous avons vu il y a quelques instants le prénom, le nom, l’âge inscrits sur le mur du square des enfants du Vel d’Hiv ne furent victimes de rien d’autre que du racisme et de l’antisémitisme (…). Seulement ni le racisme ni l’antisémitisme n’étaient nés avec le régime de Vichy, ils étaient là, vivaces, présents sous la IIIème République. L’affaire DREYFUS en avait montré la virulence. Les années Trente lui rendirent un élan nouveau par l’émergence d’intellectuels, de partis, de journaux qui en avaient fait doctrine. C’est la France de Je suis partout, de Bagatelles pour un massacre, c’est la France où Louis DARQUIER DE PELLEPOIX, déjà lui, peut sans être inquiété une seconde proclamer en 1937 : « Nous devons résoudre de toute urgence le problème juif, soit par l’expulsion, soit par le massacre ». C’est la France où l’antisémitisme métastasait dans l’élite et dans la société, préparant insidieusement les esprits au pire. « (…)
Avec nos invités, nous nous interrogerons sur les leçons que le Chef de l’Etat entend tirer de ce crime, en commençant par la question de savoir si ce discours leur paraît juste, aux deux sens du terme : justesse et justice.
« Ce qui m’a frappé dans ce discours en le relisant, c’est son souffle, le lyrisme qui l’habite, et lorsqu’il dit : « Vichy n’est pas la France », ce n’est pas nouveau. C’était la thèse du Général de Gaulle et celle de François Mitterrand, mais il ne faut pas oublier que ce discours de 2017 advient à un moment d’émergence de toute une extrême droite française dont Eric Zemmour est l’incarnation qui dit la même chose, mais Il y a trois choses que je retiens : Sur le plan de la généalogie, il est parfait – quand il relie cela à l’affaire Dreyfus, il a mille fois raison ; ensuite, il mentionne dans ce discours – mais c’est plus loin – l’antisionisme comme forme d’antisémitisme – on y reviendra peut-être ; enfin, ce qui est frappant dans ce très long discours bien plus long que celui de 2022, c’est que les Allemands sont totalement absents – en fait, c’est une opération uniquement française, bien sûr, mais une opération française voulue par les Allemands ; jadis il n’y avait absolument pas de complicité française, aujourd’hui, les Allemands ont disparu. » Georges Bensoussan
« Le mot « Allemand » n’apparaît qu’une fois dans l’ensemble du discours, pour nous dire « pas un seul Allemand », c’est-à-dire qu’on va nous parler de la Rafle du Vel d’Hiv, sans aucune allusion au génocide des Juifs, c’est quand même incroyable – il y a une politique nazi qui vise à exterminer, ce sont des Juifs d’Europe, ce n’est pas évoqué, il y a un occupant qui n’est pas évoqué, là c’est un problème – là où je ne serais pas complètement d’accord avec Georges Bensoussan, c’est sur le plan de l’antisémitisme. Dans le discours de Macron, le grand bonhomme, c’est Darquier de Pellepoix, évoqué trois fois, pour Bousquet, on parle du Préfet Bousquet, or, ce qui me frappe dans la Rafle du Vel d’Hiv c’est qu’elle a été décidée par des gens qui n’étaient pas forcément des antisémites. Laval et Bousquet sont tout simplement des opportunistes. Laurent Joly
« Au tout début de juillet 1942, quand ces décisions criminelles sont prises, c’est un moment précis de la guerre. Sur le front russe, les Allemands ont amené une offensive spectaculaire.
« Les dirigeants de Vichy se disaient l’Allemagne va gagner la guerre, ils demandent 40 000 Juifs, il faut les leur donner »
Laval et Bousquet voulaient occuper le pouvoir à tout prix, ces ressorts-là d’opportunisme, de collaboration, de soumission, ce sont des ressorts fondamentaux de ce qui s’est passé, il n’y a pas que l’antisémitisme. (…) » Laurent Joly
« Il n’y a rien à faire devant une passion qui s’apparente à la folie ». (Theodor Mommsen, spécialiste de la Rome antique du XIX e siècle)
« L’antisémitisme a un boulevard devant lui dans cette société en désaffiliation », concluront nos historiens, après avoir dénoncé la diabolisation d’Israël ou encore la polémique « Godard ».
Répliques – par : Alain Finkielkraut – De la Rafle du Vel d’Hiv à Paris en 1942, à l’antisémitisme en France aujourd’hui, débat avec deux historiens – invités : Georges Bensoussan Historien et ancien responsable éditorial du Mémorial de la Shoah; Laurent Joly Historien, directeur de recherches au CNRS
Pour écouter l’émission
Sources bibliographiques
Laurent Joly. « La rafle du Vel d’Hiv, Paris Juillet 1942 » éd. Grasset
Georges Bensoussan. « Un exil français, Un historien face à la Justice » éd. L’Artilleur
Maurice Garçon. « Journal 1939-1945 » éd Les Belles Lettres
Simone Veil. « Une vie » éd. Le Livre de poche
Renaud Meltz. « Pierre Laval, Un mystère français » éd. Perrin
Jean-Pierre Obin. « Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école ». éd. Hermann
A paraître: Georges Bensoussan, Les origines du conflit israélo-arabe 1870-1950. Janvier 2023 éd. PUF, coll. Que sais-je ?
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