Maxime Tandonnet. Lecture: « Femmes d’Etat ou l’art du pouvoir, collectif », dirigé par Anne Fulda, Perrin 2022

La rentrée littéraire historique est dominée par la sortie d’un ouvrage passionnant intitulé Femmes d’Etat ou l’art du pouvoir, ouvrage collectif dirigé par Anne Fulda, journaliste au Figaro et essayiste. Ce livre est composé de chapitres synthétiques, d’une vingtaine de pages, rédigés dans un style simple et abordable. Il nous fait revivre différentes époques de l’histoire, de l’antiquité à nos jours à travers les portraits de femmes de pouvoir qui ont marqué l’histoire de l’humanité. 

Attention: il ne faut pas y voir un livre féministe au sens idéologique du terme. Il ne cherche pas à montrer à tout prix que les femmes d’Etat seraient forcément meilleures que les hommes – plus pacifiques ou moins guerrières ou plus indulgentes, dans l’exercice du pouvoir. Souvent bien au contraire… 

Les contributions sont toutes différentes à cet égard et certaines sévères… Historiquement, l’accession des femmes au sommet du pouvoir relève de l’exception. Aujourd’hui, elle a tendance à se banaliser en Europe mais demeure rarissime dans le reste du monde. 

Existe-t-il un art féminin spécifique de l’exercice du pouvoir? Sans doute, à travers l’usage fréquent de la séduction et de l’image maternelle. Certaines ont merveilleusement réussi à laisser une trace positive dans l’histoire de leur pays, d’autres ont échoué, mais chacune avec un style différent. Ce sont des noms qui nous parlent et tout le mérite de ce livre est de leur donner un esprit et une chair. 

Le portrait de la reine Elisabeth II est particulièrement saisissant alors que les médias du monde entier convergent en ce moment sur l’événement de sa disparition à 96 ans. A travers le récit de sa vie, Anne Fulda explore les raisons d’une ferveur qui dépasse largement les frontières du Royaume-Uni, envers « la monarque la plus célèbre de la planète [et] la plus photographiée […] l’un des derniers mythes vivants, une personnalité qui demeure dans l’inconscient collectif comme un repère immuable… » Dans un pays qui fut la première grande puissance du monde il y a environ un siècle et demi, déchiré, profondément déstabilisé et incertain face aux transformations du monde et morcelé par le multiculturalisme, elle a permis d’incarner, par un effet de miroir inversé, la permanence et l’unité du royaume. Car le pouvoir ne réside pas seulement dans la capacité à prendre des décisions, mais aussi dans la puissance des symboles. Publicités

Mais revenons au début l’ouvrage qui commence logiquement avec le portrait de Cléopâtre (69-30 av JC), celui d’une séductrice qui tente de sauver l’indépendance de son pays, en envoutant Jules César puis l’un de ses deux successeurs, Antoine et en magnifiant les rituels de l’Egypte ancienne. Son règne s’achève par une tragédie personnelle autant que collective. 

Puis vient celui de Brunehaut (543-613), reine mérovingienne la maudite, de sinistre réputation, bien injustement diabolisée comme le montre l’auteur qui balaye en quelques pages limpides une image détestable forgée notamment par les historiens de la IIIe République. 

Aliénor d’Aquitaine (1124-1204), une autre séductrice et femme de caractère, dont les passions amoureuses et les scènes de ménage, avec son premier mari le capétien Louis VII et le Plantagenêt Henri II ont bouleversé le cours de l’histoire de France et de l’histoire européenne. 

Isabelle la Catholique (1451-1504), la reine des reines parvenue sur le trône par un incroyable concours de circonstance, dont l’influence sur l’émergence de la nation espagnole, par la réunion de la Castille et l’Aragon et l’achèvement de la Reconquista fut décisive. 

On retiendra aussi le formidable portrait de Catherine de Médicis (1519-1589). Au cœur de la période épouvantable des guerres de religion et de chaos au cours de laquelle se succèdent quatre souverains, son mari le roi Henri II et ses trois fils, elle aura cherché pendant longtemps a exercer un rôle de modératrice et pôle de stabilité et d’unité avant de céder à la violence et de prendre part au massacre de la Saint Barthélémy. 

Extraordinaire histoire de Catherine II (1729-1796), originaire d’une famille de la noblesse allemande, mais élevée dans le culte de la pensée et de la littérature françaises, appelée à régner sur la Russie au côté d’un époux médiocre qu’elle contribue à faire éliminer avant d’exercer une autorité de fer sur l’immense empire russe avec l’ambition de le réformer. 

Après le portrait glorieux de Marie-Thérèse (1717-1780), impératrice d’Autriche, celui de sa fille Marie-Antoinette 1755-1793 est sans concession et souligne comment son influence auprès d’un Louis XVI devenu dépressif (après avoir longtemps résisté à ses désirs) et son double jeu entre Paris et Vienne ont fortement contribué à la chute de la monarchie.

On s’attardera sur le récit de la vie de Victoria (1819-1901), amoureuse éperdue de son mari le prince Albert dont elle va porter le deuil tragique tout en incarnant dans sa robe noire l’empire britannique dans toute sa splendeur. 

Pour les temps moderne, les portraits de Margaret Thatcher (1925-2013) et d’Angela Merkel (1954…) deux personnalités emblématiques de l’Europe contemporaine retiennent l’attention. Publicités

La première fut la dame de fer venue d’un milieu populaire qui a révolutionné le Royaume-Uni en lui imposant une sorte de libéralisme autoritaire et une image d’intransigeance (affaiblissement des syndicats tout-puissants, répression de l’IRA, guerre des Malouines). Mais pas question de l’idéaliser non plus. Madame Thatcher ne s’est jamais départie d’une réputation de sécheresse de cœur à l’image de l’une de ses premières décisions emblématiques: supprimer au nom du dogme libéral la distribution gratuite du lait dans les écoles primaires… 

Tel n’est pas le cas de la seconde dont l’épopée donne à réfléchir. Jeune physicienne douée venue d’Allemagne de l’Est, ayant régné 16 ans sur l’Allemagne, poussée par Helmut Kohl (qu’elle a ensuite renié) pourvue d’une popularité phénoménale (80% de confiance) qu’a-t-elle vraiment accompli? Certes, son succès en termes d’image est phénoménal, incarnation de la « mère » des Allemands, simple, modeste, bucheuse, généreuse, consensuelle. Que lui doivent réellement les Allemands, au-delà du mythe? Bien sûr elle a su préserver (et non initier) l’extraordinaire puissance industrielle allemande. Mais après? La sortie du nucléaire? L’accueil d’un million de migrants en 2015? 

Décidément un livre exceptionnel, qui combine la passion du récit historique et la réflexion sur le pouvoir – avant tout symbole ou véritable outil d’action au service du bien commun?

Cléopâtre : Robert Solé 
Brunehault : Bruno Dumézil 
Aliénor d’Aquitaine : Martin Aurell 
Isabelle la Catholique : Joelle Chevé
Catherine de Medicis : Jean-François Solnon 
Christine de Suède : Guillaume Frantzwa 
Elisabeth d’Angleterre : Sophie Cassagne Brouquet
Anne d’Autriche : Simone Bertière
Catherine II : Lorraine de Meaux
Marie-Antoinette : Hélène Delalex
Marie-Thérèse d’Autriche : Jean-Paul Bled 
La reine Victoria : Edmond Dziembowski 
Cixi : Valérie Niquet 
Indira Gandhi : François Gautier 
Aung San Suu Kyi : Sébastien Falletti 
Golda Meir : Georges Ayache 
Margareth Thatcher : Emmanuel Hecht 
Angela Merkel : Viviane Chocas
Ellen Johnson Sirleaf : Vincent Hugeux 
Elizabeth II : Anne Fulda 

Maxime Tandonnet

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