La mer est une culture qui ne s’improvise pas. Tel Aviv lui tourne le dos. Idem à Oran où Camus s’ennuyait tant… A New-York, où il est plus agréable de monter les avenues vers Central Park que les descendre vers d’Hudson… Quel que soit l’endroit, l’homme a toujours eu du mal à dompter l’océan, seuls les insulaires y parviennent.
Quoi qu’il en soit, Tel Aviv tourne bel et bien le dos à la mer. Illustration que l’on retrouve dans le film The Bubble du réalisateur Eytan Fox, au moment où Noam (Ohad Knoller) et Ashraf (Yousef Sweid) se retrouvent autour de ce que l’amour suggère d’approfondir la connaissance de Dieu. La scène est courte. C’est pourtant ici, au cœur de Tel Aviv, que les deux jeunes gens apparaîtront dans la mémoire du spectateur une fois le film achevé.
Nous sommes du côté de Sheikin. Quartier centre-ville. La nuit est irrespirable. Moite. Épaisse malgré une lointaine brise marine. Noam et Ashraf se retrouvent sur la terrasse de la maison. L’Israélien parle. Le Palestinien écoute. Fascinés l’un par l’autre de ce qu’ils ne seront bientôt plus qu’un seul corps, et de ce qu’ils sont déjà, sans le savoir, unis pour le reste du film.
Noam fait les présentations… Tel Aviv-Ashraf / Ashraf- Tel Aviv… Puis explique.
L’histoire de Tel Aviv remonte au début du XXe siècle. Les constructeurs étaient des Juifs ashkénazes, c’est dire s’ils n’avaient aucune culture maritime, et moins encore méditerranéenne. Ils ont bâti sans tenir compte des éléments. La ville fait aujourd’hui dos à la Méditerranée. Les rues principales sont parallèles au front de mer plutôt que d’y mener. Ensuite, la spéculation et les promoteurs ont favorisé de grandes constructions entre lesquelles l’air ne circule pas. Chaleur. Suffocation. On a toujours le sentiment d’étouffer.
(Certains m’opposeront des raisons culturelles à la construction d’artères parallèles à la Méditerranée, afin d’améliorer le système de défense en cas d’attaque maritime, il est alors plus facile d’utiliser les constructions comme remparts défensifs. On retrouve ce phénomène en Grèce et dans de nombreuses pays méditerranéens. Ce n’est toutefois pas l’explication qui prévaut pour Tel Aviv.)
Revenons aux explications de Noam qui, cependant cinq mille ans d’histoire, ne s’embarrasse pas de la domination romaine ni de la période byzantine. Rien non plus sur Jaffa et le califat arabe. Pas davantage sur les Croisés. Impasse totale sur la présence ottomane. Il oublie même le siège napoléonien à propos duquel Antoine-Jean Gros consacre une œuvre magistrale peinte en 1804, Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa (musée du Louvre)illustrant la visite de l’empereur aux pestiférés de Jaffa. Noam est dans l’urgence et qu’importe les colons protestants…l’église luthérienne… le début du nationalisme arabe à l’aube du XXe siècle… Oui, qu’importe le soleil… l’énergie telavivienne… les adolescents bronzés le long des plages… les surfeurs et maîtres-nageurs… la frime au volant des grosses voitures… Noam veut séduire le plus vite possible et n’évoque surtout rien de politique. Ici, chaque coin de rue mène à Jérusalem et un banal désaccord assassine la paix. Aucune mégalopole n’a jamais été aussi proche du Temple et si loin de Dieu. Voilà ce que tait Noam afin de conduire au premier baiser du film. Il élague l’Histoire au bénéfice deses amours.
Que l’on ne s’y méprenne toutefois guère. Malgré la jovialité et l’optimisme du film, la condition des Juifs ne s’améliore guère en-dehors d’Israël. Pas davantage que celle des homosexuels au Moyen-Orient. Des quatre frontaliersavec Israël, trois comptent parmi les plus redoutables pour les homosexuels. La Jordanie, la Syrie et l’Égypte. Quant au Liban, son image gay friendly mauresque est régulièrement ponctuée d’incidents homophobes faute d’un réel changement de mentalités. Raison pour laquelle les Gay Pride israéliennes n’ont pas la même résonnance qu’ailleurs. Celle de Tel Aviv est légendaire. On se bouscule du monde entier afin d’y participer. La ville est pour les homosexuelsmoyen-orientaux une véritable « terre promise ». De nombreuses plages hissent les couleurs du rainbow flag. Quelques encablures plus loin, les femmes sont intégralement voilées.
Etoile jaune. Triangle rose. Parfois les deux se superposent. Alors ! Mieux-vaut-il être Juif en France ou homosexuel en Israël ? Noam à Tel Aviv ou Jérôme à Paris ? On peut brûler un homme, on ne brûle pas ses idées. Ni son âme.
Jérôme Enez-Vriad
© Septembre 2022 – J. E.-V. & Tribune Juive
Jérôme Enez-Vriad, Producteur et chroniqueur culturel, est auteur, notamment de Berlin : La frontière de nos jours, et Shuffle: journal devenu roman
Puedes quemar a un hombre, no quemar sus ideas, ni los sentimientos que encierra su alma. Que tu voz suene siempre alta y clara, Jérôme Enez-Vriad!!!