Dans un mois tout juste Roshashana, Roschochoyne….
Et puis bientôt Septembre, mois des mélancolies, des souvenirs….
En septembre, en Tichri, à Roschochoyne, on compte le temps, on compte les jours, on se compte…
Quelque part en septembre cela fera une soixantaine d’années que ma mère nous aura quittés, je ne puis pas trop me départir de ce souvenir, de cette pensée…
Elle m’a appris à rire, à jouer, à lire, à donner au pauvre qui a besoin, à écouter le musicien des rues, à rêver aux steppes de Russie, à aimer fourrures et soieries, sans doute à aimer.
D’elle j’ai hérité le goût de la cuisine gourmande et du bonheur de la partager, fût-ce avec chats et oiseaux.
J’ai aussi hérité d’un gros et vieux livre de cuisine française qui appartenait déjà à sa mère, livre tout dépenaillé et qui a voyagé, j’ai hérité d’une planche à pâtisser qui avait déjà été celle de sa mère et peut-être même de sa grand-mère (hélas, j’ai perdu lors de quelque déménagement le rouleau à pâtisserie qui allait avec), j’ai hérité d’un mortier et de son pilon, et j’ai hérité d’un hackmesser, sorte d’âme secrète de notre cuisine depuis le temps que se hachent l’oignon et le persil et que se font le vendredi ou pour les jours de fête des boulettes, des farces de viande, de volaille, de poisson: point de gehakhte leber, point de eier mit tsibeless, point de foie haché, d’oeufs aux oignons, point de klops farcis aux oeufs, point de gefillte fisch, sans notre hackmesser sur sa planche à hacher.
J’ai aussi de ma mère hérité la première édition française en 1950 du « Journal d’Anne Frank ». Je me souviens encore de ce jour où avec moi à la main, faisant les courses, elle le vit en vitrine chez le papetier-libraire, je la vois l’acheter, s’en emparer, lire debout quelques pages, le glisser dans son grand sac de roseaux tressés acheté à quelque gitan, quelque part entre le pain et les poireaux pour la soupe du soir. Je la vois presque haletante rentrer à la maison, ouvrir le bureau de mon père, dire: « Daniel, Daniel, j’ai Le Journal d’Anne Frank », je la vois, assise là, son vêtement pour sortir à moitié ôté, elle même à moitié assise sur une chaise de cuisine tirée à moitié dans l’antichambre, je la vois lisant, s’essuyant les yeux avec n’importe quoi, je crois bien un essuie-verre tiré de la cuisine, qu’elle passait à mon père, mon père qui avait interrompu son travail et debout derrière elle, sur son épaule, lisait aussi.
Jacques Neuburger
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