Pendant des années j’ai habité la résidence avant le cimetière, maintenant j’habite celle d’après. Un jour viendra où je ferai mon trou dans celle du milieu. Il y a déjà Tino Rossi, je suis pas sûr d’avoir autant de monde. En attendant il m’arrive, par nostalgie pure, d’aller dans mon ancien super marché, le Spar. Plus localement connu comme “chez Momo”. Je ne sais pas comment il s’appelle Momo. Sans faire de délit de faciès, l’homme est arabe, du Maghreb et probablement, comme beaucoup de résidents corses, marocain d’origine.
On l’appelle Momo, j’en connais qui, connaissant le première syllabe, spéculent sur son prénom, personnellement je m’en fous, j’aime bien Momo. Il pourrait aussi bien s’appeler Modeste, Moloch-Baal, ou Mogul que ça n’y changerait rien. A l’accent en tout cas, l’homme est corse, pire : ajaccien. Je vous parle de lui parce qu’il est une sorte d’archétype d’épicier méridional. En surpoids, le geste vaste, haranguant la foule en scannant derrière sa caisse les rognons de veau et les gressins au sésame, joufflu et rigolard, il nous fait souvent part (pardon Spar) de ses visions du monde.
C’est une analyse de règlement par carte bleue, donc beaucoup plus brève que celle de comptoir. On dira que c’est au tapis de caisse ce qu’est Twitter aux réseaux sociaux. Momo se plaint du coût de la vie, des touristes mal élevés, des charges sociales, de la météo, 37 euros 50, s’il vous plaît madame. Les vieilles gens l’adorent parce qu’il est gentil comme un petit-fils (il les aide à remplir le cabas) , les jeunes ricanent un peu parce qu’il les branche, et fait des clins d’oeil, les gens à chiens l’estiment car il a toujours un mot pour Youki, bref tout le monde sourit parce que Momo fait le show. C’est Raimu en version Rif.
Son magasin me ressemble et donc me convient. Soit il commande trop soit il n’a pas d’entrepôt. Toujours est-il que le stock est devant les rayons. Bien rangé derrière, empilé devant. Pour naviguer dans le magasin on active son GPS et parfois on tire une fusée de détresse. Lucien la truffe, mon fils, a établi un relevé des lieux pour concevoir un jeu de rôle sur le principe du labyrinthe. Si vous rencontrez au rayon vin le minotaure, c’est moi. Le malheureux qui renverse une bouteille en fera choir quatre cents.
En fouillant, et en travaillant chaque jour au niveau du rayon condiment, j’ai réussi à creuser un tunnel. J’arrive avec ma lampe frontale discrètement et je rampe. Je suis à peu près certain que d’ici la fin de l’été je trouverai de la moutarde, le graal en quelque sorte, ce qui fera de mois le dealer le plus respecté d’Ajaccio. Et je parle d’Amora ou même de Maille, pas des moutardes ouzbeks qui ont le goût d’essence de pneu sucré.
Un truc me tarabuste, comme disait la Vénus de Milo, pourquoi dans les supermarchés met-on de la musique datant des mérovingiens ? C. Jérome, Clo-Clo, Alain Barrière, au mieux Polnareff du temps de la poupée. Les sixties françaises dans leur splendeur décadente. Chez Momo, aussi, c’est sa seule faute de goût. Je suis volontaire pour leur faire une play-list, je suis sûr que le chiffre d’affaires va augmenter. « 44 euros 30 monsieur, c’est pas trop cool James Brown hein, com’on babe, please, please, please ». Danser dans le labyrinthe de Momo, ça c’est un vrai été au funking Spar.
Denis Parent
La Chronique de Denis Parent « Les bras m’en tombent », que tous ses lecteurs assimilent à ses humeurs, est née il y a trente ans dans « Studio Magazine », où l’auteur nous entretenait de cinéma.
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