Jacques Neuburger. La mort. Et le « Vivant qui me voit »

Finalement, pour moi (et pour tous les autres à mes yeux) je n’envisage plus du tout la mort avec indifférence ni aucunement avec sérénité.
Je l’avoue.
Jeune, la mort est lointaine, la sienne si lointaine, si théorique que comme improbable et le stoïcisme philosophe est aisément fait nôtre.
Mais voilà: l’âge est là, la mort se rapproche, devient concrète, palpable. Elle a déjà frappé tant d’aimés, tant de proches.
Puis, si l’on n’a pas la chance d’être en une très bonne santé, cette santé qui permet le détachement des contingences physiques, on a déjà frôlé de si près la mort, on en  a senti le vent sec, brûlant, assoiffé ou froid, humide, presque gluant, collant, selon les jours. On a eu peur. Oui: peur. On a ressenti l’extrême solitude de la mort qui s’en vient, la sécheresse du caveau aux nuits de canicule  l’humidité d’hiver qui détrempe les boues, on s’y est vu, on en a perçu l’imminence désormais et pour toujours non improbable. On a connu ces salles de soins intensifs où l’on soigne, certes, où l’on gagne sur la mort bien souvent, certes, mais aussi où l’on perçoit si proche, le temps qu’on y est, avec comme une solidarité instinctive de bête apeurée, la mort des autres, la détresse, la solitude, la souffrance béante et sans espoir, la déchéance insupportable du corps et de l’intelligence.

Et l’on revient de ce voyage avec comme quelque chose de difficilement définissable, difficilement nommable comme accroché au ventre et qui pèse.

Face à ce vide, face à cette détresse sans réponse, face à ce silence, alors ne demeure que quelque chose de fou comme une passion amoureuse, quelque chose de vif, insaisissable, soudain vif comme la vie même, frais comme la pluie, lumineux comme les gouttes de la cascade dans le soleil, toujours miracle telle une source, beau comme la naissance d’un enfant ou le regard d’amour du chien ou du chat qu’on a sauvé, demeure alors la foi, la croyance en dieu, la foi en ce Vivant qui me voit, comme dit la bible en une expression saisissante pour évoquer celui qui fait jaillir une source devant la femme assoiffée perdue dans le désert.

Jacques Neuburger

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