Témoignage
Cinquante ans après le massacre des 11 athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich, l’Allemagne décide d’offrir aux familles des victimes de nouvelles compensations. Des proches des athlètes ont longtemps critiqué la manière dont les autorités allemandes ont géré l’attaque meurtrière et ses conséquences.
Au-delà de l’attitude révoltante des autorités munichoises, les chancelleries et l’opinion internationale, particulièrement en France, avaient minimisé et même justifié les actes terroristes palestiniens en ignorant le rôle d’Abou Daoud, le « cerveau » de l’opération, et celui de l’actuel président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas qui fut l’administrateur et le financier principal des attentats terroristes contre les Israéliens.
Cinquante après, Abbas n’a pas modifié en réalité sa position puisqu’il verse toujours des salaires et des indemnités aux familles des auteurs des attentats.
Depuis l’ouverture à Paris d’un bureau d’information de l’OLP en 1975, les Palestiniens deviennent très actifs et le gouvernement français laisse faire. Au Quartier latin, ils ouvrent une librairie et exposent des centaines d’ouvrages, une documentation importante et plusieurs brochures de propagande.
La guerre intestine entre les différentes factions de l’OLP se déroule désormais dans les rues de la capitale. Plusieurs représentants palestiniens sont assassinés, certains par le Mossad. Le dernier en date est Mohamed Ould Saleh, directeur de la librairie située au 2 de la rue Saint-Victor dans le Quartier latin. Il était né à Nouakchott en Mauritanie et avait poursuivi ses études à Beyrouth.
Le samedi 8 janvier 1977, au cimetière du Père-Lachaise assistent à ses obsèques des diplomates de toutes les ambassades arabes représentées à Paris, des fonctionnaires du Quai d’Orsay ainsi que des délégués palestiniens venus du Liban et de Jordanie.
L’un d’eux est Mohamed Daoud Odeh. Le Mossad fait part au SDECE de la présence de cet homme venu en France avec un faux passeport irakien. Une heure plus tard, des agents de la DST se présentent discrètement à la « Résidence Saint-Philippe », faubourg Saint-Honoré, et l’arrête. La DST vient d’arrêter, en fait, l’instigateur du massacre des onze athlètes israéliens aux jeux Olympiques de Munich en septembre 1972.
Une grande première : jamais auparavant les Services français n’avaient osé arrêter un ressortissant arabe soupçonné d’actes de terrorisme. Tout s’est donc passé très vite sans avertir les responsables de la police et le gouvernement. C’était le week-end, rien ne pressait, on pouvait donc attendre lundi…
Les Israéliens, satisfaits de la bonne prise, piaffent d’impatience, et exigent une extradition immédiate. Les Allemands mis au courant sont également demandeurs : le massacre s’est passé chez eux, à Munich. Les diplomates du Quai d’Orsay sont très embarrassés par la requête d’extradition légitime et d’autant que leur ministre se trouve à l’étranger.
Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, apprend la nouvelle après coup par le patron de la DST, Marcel Chalet. Sur les instructions de Raymond Barre et avec Olivier Guichard, le garde des Sceaux, il accélère la procédure. Les documents officiels concernant les demandes d’extradition allemande et israélienne peuvent attendre.
Lundi matin, Abou Daoud est amené au Palais de Justice. Une heure plus tard, entouré d’un impressionnant dispositif policier, il quitte le sol français par un vol régulier d’Air Algérie. Il est libre.
En Israël, on crie au scandale. « Paris a capitulé ; elle vient de libérer un terroriste pour du pétrole ».
L’ambassadeur Gazit est rappelé à Jérusalem pour manifester un désaveu. Une première dans les annales de la diplomatie israélienne.
Le chef de la diplomatie israélienne Ygal Allon déclare tout furieux devant les membres de la Knesset : « La France n’a pas pu soutenir une épreuve élémentaire entre le respect de ses propres engagements internationaux et une violation grossière de ces engagements pour des commodités passagères… Plutôt que de montrer un minimum de courage, la France a fait preuve d’un maximum de lâcheté
Après avoir accusé le gouvernement français de n’avoir respecté ni ses engagements envers Israël ni ceux qui le lient, dans la lutte contre le terrorisme, avec le Conseil de l’Europe, Allon a tenu à indiquer que ce n’était pas la première fois que la France se comportait de la sorte envers Israël.
La presse française critique vivement le gouvernement. Dans le Figaro, Raymond Aron écrit : « La France aujourd’hui paie-elle encore les ruses de Vichy et la grandeur solitaire du général De Gaulle » ? Jean Daniel dans le Nouvel Observateur, a une explication : « les dirigeants palestiniens, comme tous les chefs des résistants du monde, ont tous du sang sur les mains ; un résistant n’est jamais qu’un terroriste qui acquiert une légitimité ».
Des magistrats français critiquent vivement la libération d’Abou Daoud. L’avocat socialiste Roland Dumas prendra la défense du Palestinien ; il est spécialiste de droit international et il avait déjà défendu à Jérusalem l’évêque Hilarion Capucci, convaincu d’avoir transporté dans sa voiture des armes pour l’OLP.
Le gaulliste Maurice Couve de Murville déclare que la France « a perdu la face ».
Cet ancien ministre des Affaires étrangères et Premier ministre du général De Gaulle incarne la haute société protestante. Il s’était rallié au Mouvement de Jacques Chirac après que ce dernier eut fait ses preuves dans son propre cabinet. Couve de Murville avait d’excellents rapports avec les ambassadeurs d’Israël à Paris. Grand connaisseur des affaires du Proche-Orient, il me confia un jour que Jacques Chirac était un « sincère ami du peuple juif et d’Israël » et que souvent il suivait ses conseils.
L’affaire Abou Daoud se transformait très rapidement en une campagne anti-française.
Les Etats-Unis accusent la France d’encourager le terrorisme international.
Les juifs américains réagissent avec véhémence et boycottent la France dans tous les domaines, culturel et scientifique. Des milliers de bouteilles de beaujolais et bordeaux sont répandues sur le sol des Etats-Unis.
Le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), Alain de Rothschild, est reçu par Raymond Barre ; il lui rappelle que les problèmes les plus préoccupants pour la communauté juive sont la résurgence de l’antisémitisme et les attentats palestiniens. Il déplore la mollesse des réactions des autorités. Le Premier ministre promet de mettre tout en œuvre pour que les juifs de France vivent en paix comme les autres.
Raymond Barre justifie la décision de relâcher Abou Daoud : « Nous avons appliqué les lois et les conventions internationales, et la justice française a assumé ses responsabilités ».
Giscard d’Estaing ne s’attendait pas à un déchaînement aussi virulent contre son pays. Il réunit à l’Elysée une conférence de presse. Il a étudié avec beaucoup de soin le dossier et s’attendait à des questions sur ce sujet.
Les quatre cents journalistes réunis dans la salle des fêtes hésitaient à poser des questions sur l’affaire Abou Daoud car Giscard avait décidé de ne pas répondre aux questions de politique étrangère.
Assis au bout du troisième rang, je saisis le micro et pose la question. Elle surprend toute l’assistance et le président de la République ne cache pas son irritation. Mais une avalanche de questions sur le même sujet va s’ensuivre.
Giscard se lance dans un long plaidoyer en faveur de sa politique et d’un ton très gaullien nous dit :« La France n’a de leçons à recevoir de personne, et j’invite ceux qui souhaitent être amis à s’abstenir de nous donner des leçons ».
Les explications fournies par Giscard ne sont pas très convaincantes aux yeux des Israéliens. Pour la France cartésienne, les impératifs juridiques comptaient, et il fallait les appliquer à la lettre.
Pour apaiser les esprits et favoriser le retour de l’ambassadeur Gazit à Paris, Giscard ordonne à ses ministres « de ne plus faire des déclarations hasardeuses et de ne plus parler d’Etat palestinien. »
Quarante-huit heures plus tard, Giscard effectue une visite officielle en Arabie Saoudite et contrairement aux déclarations antérieures il n’est fait mention ni de l’OLP, ni de Jérusalem, ni d’un Etat palestinien. Fallait-il cette affaire Abou Daoud pour pouvoir normaliser les relations avec Israël ? Cette politique hypocrite n’a-t-elle pas porté atteinte à l’image de la France ?
En mai 1999, 22 ans après avoir été arrêté à Paris et expulsé vers Alger,
Abou Daoud, est refoulé vers Tunis par les autorités françaises. Il était venu pour la promotion de ses mémoires « Palestine de Jérusalem à Munich ». Un ouvrage écrit en français avec le journaliste Gilles du Jonchay.
Dans ce livre, il revient en détail sur l’opération de Munich, en révélant qu’elle avait été financée par Mahmoud Abbas.
Le 3 juillet 2010 Abou Daoud est décédé à Damas, son fils est l’un des chefs du Hamas…
Freddy Eytan, Le CAPE de Jérusalem jcpa-lecape.org
Hélas, rien n’a changé.
La France et le Quai d’Orsay sont et resteront pour toujours antisémites.
ROSA