Chronique du vingtième jour du mois de juillet de l’an de très très grande décrépitude vingt-deux.
Où il est question de grands et terribles incendies et d’une non moins grande et terrible supercherie.
Une chaleur des plus infernales avait à nouveau sévi dans le Royaume. Des forêts brûlaient en Gironde et en Armorique. On était en période de grande sécheresse. L’eau manquait mais on en trouvait cependant en grande quantité pour rafraîchir les routes sur lesquelles passait le Tour en Draisienne. Parmi les Riens et les Riennes, on s’alarmait de cet état de fait. La Première Grande Chambellane, la grande-duchesse de la Très-Bornée avait fait savoir que le peuple se devait d’avoir un « bon comportement » afin d’éviter les incendies mais il ne fut point question de rétablir ce que la vieille République comptait autrefois de machines et d’hommes pour lutter contre ces fléaux. En Startupenéchionne, chacun et chacune était tenu pour responsable de son malheur. La chose publique n’existait plus.
Notre Génital Glandeur, après qu’il eût fait savoir à son peuple que « duas habet et bene pendentes »- ce qui avait été jugé fort trivial au point de donner à beaucoup l’idée de les lui faire rendre– avait demandé qu’on lui apportât une panoplie de sapeur afin qu’il se rendit en aéroplane dans la province de la Gironde. Les incendies y faisaient toujours rage et l’odeur âcre de la fumée se répandait jusque fort loin. Sa Juvénile Tartarinade se plut fort à presser et papouiller les poitrails virils des pauvres soldats du feu, lesquels quoique harassés et fourbus, avaient du se mettre en rang afin de Lui complaire.
Dans les chaumières, les Riens et les Riennes assistèrent par le truchement de leurs lucarnes magiques au divertissement royal. Quelques jours auparavant, lors de la fête du du 14 juillet, ils avaient vu le Roy recevoir en grande pompe dans les jardins du Château deux gazetières, Madame de la Roue et Madame du Cou-Raide, toutes deux confites en dévotion comme il siéyait aux dames de la Cour. Notre Poudreux Phénix se compara à Vulcain avant que d’user encore des mots de Monsieur Maurras, un Haineux dont il affectionnait fort la pensée et les théories. Il fut ainsi question de la «conception organique de la Nechionne ». Le Roy délivra aussi ses plans pour en finir avec la pauvreté : si les gueux dans le besoin voulaient recevoir quelques subsides, il leur faudrait se louer à la journée, faute de quoi ils crèveraient. Il était aussi entendu qu’il serait interdit à tous les Riens et les Riennes de se réchauffer pendant l’hiver. Ce luxe serait le seul apanage de la Cour. Le Château, qui était un vrai palais des courants d’air continuerait d’être pourvu de calorifères , cependant que Sa Commerçante Mesquinerie se préparait à vendre du combustible gazeux à la Germanie.
L’Insoumise Madame Panotus, qui n’avait point sa langue dans sa poche, s’avisa par un cuicui – lequel fut largement commenté- de ce que la commémoration d’une grande rafle contre les Juifs commise pendant la terrible période de l’Occupation quatre vingt années auparavant fût quelque peu entachée par la présence des Haineux à la Chambre Basse et par la grande affection que portait Notre Poudreux Foutriquet à Monsieur Petun, lequel avait bel et bien ordonné cette rafle. Les Dévots clouèrent la belle Insoumise au pilori. Des gazetiers dont on se demandait ce qui les différenciait des premiers réclamèrent sa tête. On les eût écoutés que ce monsieur Petun – qui avait été déchu de tous ses grades militaires et condamné à mort- eût été réhabilité sur-le-champ et élevé au rang de héros de la Startupenéchionne.
La ChatelHaine de Montretout et ses comparses joignirent leurs suffrages à ceux des Dévots de la Rhainaisance et de la Faction des Raipoublicains afin que les gages et les émoluments ne fussent point augmentés. Les Riens et les Riennes devraient se contenter de quelques aumônes distribuées au bon vouloir des Maîtres des Forges.
Les gueux et les gueuses s’avisèrent fort amèrement de ce que la toilette que la Reine-Qu-On-Sort arborait pour la fête du Quatorze Juillet, quoique fort laide, avait coûté si cher qu’elle représentait quasiment trois mois de labeur d’une pauvre ouvrière.
Ainsi en allait-il au Royaume du Grand-Cul-par-dessus-Tête en cet infernal été de l’an vingt deux.
Texte Julie d’Aiglemont
Illustration Bridget Jaune
J’adore. Digne de Saint-Simon
ROSA