L’édito de Valérie Toranian. Les godillots, les brutes et les truands : Elisabeth Borne dans l’arène

French Prime Minister Elisabeth Borne addresses French Senators during her general political declaration at the Senate in Paris on July 6, 2022. Photo by Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM | 816730_044 Paris France

Le compromis, est-ce du courage ou de la lâcheté ? Un Allemand ou un Italien répondrait du courage… et beaucoup de sueur. Un Anglais dirait que le compromis est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres. Un Américain trouve absolument naturel que son député ne vote une loi que s’il a négocié, en contrepartie, une mesure intéressante pour les administrés de son État. Le Français, lui, est hanté par le spectre de la compromission. Notre pays révolutionnaire n’a pas la culture du compromis, se lamentent nos hommes politiques. Qui ont par ailleurs sacralisé l’idée de l’intransigeance et du front républicain contre l’extrême droite… mais pas contre l’extrême gauche : les idées radicales sont toutes égales, mais certaines sont plus égales que d’autres.

Doit-on être intransigeant sur ses principes dans tous les domaines ? Ou conciliants et prêts au compromis ? Le bon sens nous souffle que cela dépend du sujet. On pourrait faire des efforts de part et d’autre sur le pouvoir d’achat ou la réforme des retraites. Et pas sur la laïcité, dont on pense qu’elle fait partie de nos vertus cardinales. Bizarrement, on assiste depuis plusieurs années à l’inverse. La laïcité renégociée, « inclusive », est à la mode. La laïcité tout court, c’est-à-dire fidèle aux origines, est quasiment devenue une insulte : intransigeante, identitaire, réactionnaire, quasi fasciste… Rogner la laïcité, relativiser son principe, c’est être moderne et tolérant. L’idée de faire des concessions sur la réforme des retraites, en revanche, est devenu un point de rupture, une impasse, un blocage.

« La motion de censure ne servait à rien, mais depuis quand la politique de l’extrême gauche doit « servir » à quelque chose ? Elle est une force d’empêchement. Trotskyste un jour, trotskyste toujours. »

Autre exemple, l’égalité : son principe est inscrit au fronton de toutes nos écoles. Donner ses chances à chacun est l’essence même du programme républicain. Mais le refus idéologique de l’excellence au nom d’un égalitarisme intransigeant  a conduit à creuser le fossé entre les plus privilégiés et les plus démunis. L’enseignement public s’effondre, les plus riches envoient leurs enfants dans le privé, en commençant par le ministre de l’Education nationale. La méritocratie offrait plus de chances aux plus pauvres. Mais c’est devenu un gros mot. L’obsession de la défense de nos valeurs est un paradoxe : on n’en a jamais autant parlé et on ne s’est jamais aussi peu accordé sur le sens à leur donner.

Elisabeth Borne affrontait cet après-midi la motion de censure de la NUPES, rebaptisée « motion de défiance ». La défiance est un principe. L’obstruction, une vertu. Plus une posture est inutile, plus elle est noble. La motion de censure ne servait à rien, mais depuis quand la politique de l’extrême gauche doit « servir » à quelque chose ? Elle est une force d’empêchement. Trotskyste un jour, trotskyste toujours.

La France insoumise se moque d’être « débraillée ». Elle est « venez comme vous êtes », le slogan de McDonald’s. Alexis Corbière devrait se souvenir que son maître politique, Maximilien de Robespierre, montait à la tribune de la Convention avec sa perruque poudrée, vestige aristocratique de l’Ancien Régime. La NUPESest tonitruante, elle assume de se donner en spectacle, de bloquer les débats, de faire le show. Les « ennemis » du peuple se nomment Macron et Borne et on ne va rien faire pour les aider. En politique, le « toujours plus » est l’ennemi du « c’est déjà bien ». Mais comment oser faire des compromis alors qu’on s’érige en voix du peuple ? Le peuple est sublime, le peuple est tout, le peuple ne fait pas de marchandage. Bref, le parti de Mélenchon  aurait tendance à privilégier le niveau sonore de ses interventions plutôt que le niveau de vie de ses électeurs.

« Emmanuel Macron a fait un contresens. Il a cru qu’il rassemblerait une majorité autour de sa personne (péché d’arrogance) plutôt qu’autour de son programme. D’ailleurs, quel programme ? Il s’est trompé. Sa personnalité ne fait plus consensus et les deux tiers du pays, soit ne vote pas, soit vote contre lui. »

La voix, voilà ce qui compte. On aime l’éloquence, les tribuns (Ah… Mélenchon). Comme si on confondait avoir du coffre et avoir des idées. Elisabeth Borne, se lamente-t-on, est sans charisme, inodore, insipide, sans saveur, elle parle comme un robot. Elle n’a sûrement pas gagné le prix de charisme, mais elle n’a pas failli lors de son discours de politique générale, le 6 juillet. Elle avance sur sa ligne tout en promettant de faire des compromis, sauf avec l’extrême gauche et l’extrême droite. Elle a des sourires en coin. Elle ironise, à juste titre, sur « les questions cons » des journalistes. Macron devrait se méfier. Les bonnes élèves ne sont pas des boute-en-train, mais elles détestent perdre. Elles s’obstinent et progressent. Pas avec la flamboyance du lièvre mais avec l’obstination de la tortue.

Emmanuel Macron a fait un contresens. Il a cru qu’il rassemblerait une majorité autour de sa personne (péché d’arrogance) plutôt qu’autour de son programme. D’ailleurs, quel programme ? Il s’est trompé. Sa personnalité ne fait plus consensus et les deux tiers du pays, soit ne vote pas, soit vote contre lui. Avec Elisabeth Borne, le président s’est peut-être imaginé qu’il déléguerait les tâches ingrates à une « techno » et continuerait à macroner avec Alexis Kohler, les yeux dans les yeux, dans leur tour jupitérienne. Mais Elisabeth Borne pourrait être une pierre dans son olympe. Elle ne serait pas la première des chefs de gouvernement maltraités. Rocard, Fillon, Chirac : tant d’autres ont subi le même sort. Mais le mépris dont elle est l’objet pourrait la stimuler.

« Pendant que l’extrême gauche espère rallier la France à son intransigeance, les députés du RN, cravatés et silencieux, attendent leur heure. Ils sont ceux qui pourraient tirer le plus de profit du chaos qui règnera à l’Assemblée. »

L’objectif de la France Insoumise est de la dégager. Par son obstruction systématique, l’extrême gauche peut bloquer le travail de l’Assemblée. Mélenchon et ses clones rêvent d’une dissolution et de nouvelles élections législatives qui, enfin, leur donnerait une majorité à l’Assemblée. Ils rêvent debout. Les dernières élections ont prouvé que les Français avaient préféré faire sauter le barrage républicain contre le Rassemblement national, dans de multiples circonscriptions, plutôt que de se soumettre aux Insoumis. C’est Mélenchon qui a fait sauter le barrage républicain, souligne Marcel Gauchet dans Le Figaro. Pendant que l’extrême gauche espère rallier la France à son intransigeance, les députés du RN, cravatés et silencieux, attendent leur heure. Ils sont ceux qui pourraient tirer le plus de profit du chaos qui règnera à l’Assemblée.

Car contrairement à ce qu’écrit Le Monde, ce n’est pas parce que certains médias ont ouvert leur porte à l’extrême droite, qu’ils l’ont fait progresser. La droite populiste progresse en France depuis 40 ans, indépendamment du traitement médiatique. En revanche, les médias du camp du bien ont indéniablement contribué à la dédiabolisation de l’extrême gauche depuis des années. Jusqu’à faire passer l’extrême gauche pour la gauche. Mais les Français ne sont pas dupes de la Nupes. Entre le rejet de « l’arrogance » macronienne et la méfiance envers le programme foutraque de la France insoumise, le Rassemblement national, normalisé, respectabilisé, cravaté, apparaîtra de moins en moins comme une option impossible. La bascule aura-t-elle lieu en 2027 ? Et le RN pourra dire merci à la Nupes. Ce sont tous ces enjeux qu’Elisabeth Borne aura en tête et devra affronter. Un poids bien lourd pour une « techno sans charisme ». À bord d’un radeau de la macronie en perdition. À moins que…

© Valérie Toranian

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4 Comments

  1. Analyse tout à fait hors sol puisqu’en réalité LREM et la FI sont les deux faces d’une même médaille.
    Les deux faces de l’auto destruction et du suicide collectif.
    Il serait grand temps de cesser d’honorer nos ennemis.

  2. D’accord avec Judith R. Les membres de LREM sont indéfendables. TOUS les membres de LREM au même titre que la FI. La nomination de Pap Ndiaye n’est pas un malencontreux hasard : les fascistes indigénistes, décoloniaux, salafistes, les racistes et les antisémites (y compris nombre de ceux dont TJ dénonce les agissements) ont très majoritairement voté Macron, qui doit sa réélection à l’apport des voix de tout ce qui existe de pire dans cette société. Faut-il également rappeler le bilan de Macron en terme de casse sociale, casse économique, politique européenne et étrangère lamentable etc ayant achevé de ruiner ce qui restait de la France ? Faut-il rappeler les mensonges éhontés de LREM pendant cette campagne présidentielle (campagne anti Zemmour qu’on l’aime ou pas) ? Le pas de vague après les meurtres de Sarah Halimi, Jeremy Cohen, René Hadjadj, Alban Gervaise et tant d’autres horreurs ? La gestion calamiteuse du covid ? La désinformation de masse, la censure et les atteintes permanentes a la liberté d’expression ? Sa politique anti israélienne ? Liste non exhaustive.

    Elizabeth Borne pratiquera le pasdevague comme les autres membres de LREM à la prochaine affaire Sarah Halimi : que vous imaginez vous donc ?

    Je n’en reviens toujours pas de cet aveuglement : on ne peut pas défendre ce que l’on dénonce quotidiennement. Il faut un minimum de cohérence.

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