Robin Verner. « Ensemble! », « Reconquête! »: Pourquoi les mouvements politiques se mettent au point d’exclamation

Eric Zemmour et ses partisans, le 10 avril 2022, sur scène. – Bertrand Guay

La tendance a connu une spectaculaire accélération ces dernières années. Désormais, lorsqu’un nouveau mouvement apparaît, ses dirigeants semblent se sentir obligés d’accoler un point d’exclamation à son nom. Un lexicographe et un expert en communication politique expliquent le phénomène à BFMTV.com.

Il y a aujourd’hui « Ensemble ! » et « Reconquête ! », ou encore le micro-parti de Valérie Pécresse, « Libres ! ». Il y eut, hier, « Hé Oh, la gauche ! », et « Ecologistes ! ». Et la liste est non-exhaustive, comme le montrent encore les élections législatives, dont le second tour est programmé ce dimanche.

Dorénavant, le point d’exclamation semble un passage obligé au moment d’accoucher du nom d’un nouveau mouvement politique ou de baptiser une coalition. Enthousiasme ou colère, doctrine ou marketing: que faut-il voir derrière ce phénomène qui s’épanouit aussi bien à droite qu’à gauche ou au centre? Deux spécialistes l’ont analysé pour BFMTV.com.Play Video

Un point d’exclamation « érigé comme un drapeau »

« C’est intéressant de voir que pour rassembler politiquement derrière une bannière, on érige le point d’exclamation comme un drapeau », remarque d’entrée Jean Pruvost, auteur notamment de La story de la langue française, ce que le français doit à l’anglais et vice versa et L’histoire de la langue française, un vrai roman. Le lexicographe distingue une nécessité linguistique en préambule.

« À mon sens, si son usage s’est accru aujourd’hui – il est bien plus fort qu’il y a 30 ans – c’est qu’il témoigne à la fois d’un appauvrissement du langage et de la volonté de lutter contre celui-ci », explique-t-il.

« Comme on n’est plus aussi sensible aux mots, on sent le besoin d’ajouter le point d’exclamation: c’est un peu comme mettre un mot en gras dans un texte, ou, à l’oral, faire le geste des guillemets. »

Arnaud Mercier, professeur en communication politique à l’Université Paris Panthéon-Assas, voit dans le succès du point d’exclamation « la convergence de deux phénomènes ». D’une part, « un désir de renouvellement des noms de partis », avec l’abandon de termes comme ‘union’ par exemple, « qui appartenaient à un appareillage politique né de la IIIe République ». D’autre part, « l’importation d’une pratique sociale née du SMS et très répandue sur les réseaux sociaux ».

« Beaucoup de messages sur ces réseaux ont placé des ponctuants pour renforcer ce message », note l’universitaire. « On met un point d’exclamation, et parfois plusieurs, pour dire la force de son indignation, de sa colère. »

« C’est comme un micro tendu: on peut mettre n’importe quoi derrière », prolonge pour sa part Jean Pruvost.

De la souplesse à la détresse

Le point d’exclamation a l’avantage de la souplesse et se retrouve d’ailleurs partout. « C’est un signe très universel. On le voit dans les textes, la BD, la musique – il semble d’ailleurs qu’il soit né comme signe musical – en mathématique, où il désigne la factorielle, en informatique, aux échecs où il symbolise un très bon coup », liste le lexicographe.

Mais le spécialiste de la langue française en distingue un usage plus significatif encore: « On a tous inconsciemment en tête la signalétique routière où il signifie ‘attention, danger’. C’est donc un point d’attention, d’appel, de détresse. » Une détresse qui est avant tout celle des politiques en ces temps de crise et de défiance envers la chose publique.

« Les personnalités politiques veulent à tout prix qu’on les écoute, qu’on les regarde. Face à l’abstention, on peut comprendre la nécessité d’un point d’appel », concède alors Jean Pruvost.

Confrontés à un manque d’intérêt grandissant de l’électorat, ou à l’attention de plus en plus limitée de ce dernier, les responsables politiques doivent donc faire simple et efficace. C’est pourquoi le point d’exclamation appelle de lui-même une autre innovation: avant de ponctuer, on se contentera d’un mot unique.

Désigner l’ennemi

« Depuis très longtemps, les experts en marketing politique étudiant le wording testent les connotations des mots », pose Arnaud Mercier, avant de prendre l’exemple du nom retenu par la majorité sortante: « On sait que le mot ‘ensemble’ est connoté très positivement. » « Il y a donc des mots connotés très positivement dont on s’empare et, pour leur imprimer une force d’entraînement supplémentaire, on leur accole le point d’exclamation », conclut-il.

L’idée ici n’est pas d’imposer un sens, mais de revendiquer la « valeur » dont la famille politique en question se dit porteuse, au détriment des autres. « C’est aussi un jeu de postures. Le point d’exclamation, c’est quand même la volonté d’affirmer une forme de rupture », reprend Arnaud Mercier. « Ça ressemble aussi à ces campagnes violentes qu’on vit désormais », plussoie Jean Pruvost.

Par ce signifiant si lapidaire, il s’agit en effet moins de dire que de désigner ce que l’on ne nomme pas, en l’occurrence l’ennemi.

« L’implicite du point d’exclamation, c’est l’affirmation, en creux, de ce qu’il faut rejeter », analyse-t-il.

« ‘Reconquête!’, c’est l »islamisation’, ‘Ensemble!’, c’est contre ‘l’esprit de division’ ‘Libres!’, c’est contre ‘l’État interventionniste' », illustre le professeur en communication politique.

La fin des noms à rallonge?

Le point d’exclamation ne se suffit donc pas tout à fait à lui-même. Mais plutôt que de préciser son discours, on propose un marché de dupes à l’électeur. Tel est en tout cas l’avis de notre lexicographe, Jean Pruvost: « En fait, ça suppose qu’on ait tenu un message politique fort avant le point d’exclamation – ce qui n’est pas le cas – ou qu’il y ait une explication après, mais cette explication n’est pas donnée non plus. »

C’est toutefois pour une bonne raison qu’on entretient ce flou, et celle-ci tient à une autre bascule. Les idéologies qui nourrissaient les anciens partis politiques et se lisaient jusque dans leur nom ont perdu beaucoup de leur superbe au cours des dernières décennies.

Un rapide panorama des sigles et acronymes politiques du XXe siècle nous donne un aperçu du chemin parcouru. À droite par exemple, de l’UNR à l’UDR puis au RPR et à l’UMP. « Ce qui me paraît flagrant, c’est qu’il fallait le mot ‘union' », remarque Arnaud Mercier. « Jacques Chirac, pour montrer qu’il renouvelait le gaullisme à sa main, avait pris ‘Rassemblement’, mais l’idée est la même. » À gauche, « il fallait le ‘P’ du Parti », rétorque notre interlocuteur, qui en relève les connotations d’encadrement, de discipline, voire d’endoctrinement.

Changer l’étiquette, changer les structures

Des traits qui apparaissent comme de lourds fardeaux pour la classe politique actuelle, dont le changement d’étiquette s’accompagne d’un bouleversement des structures partisanes. Adieu les « partis », on parle à présent de « mouvement ». Au moment de lancer sa France insoumise en 2017, Jean-Luc Mélenchon avait même célébré un « mouvement gazeux », théorisant son caractère fluide et diffus par opposition aux hiérarchies trop rigides et pesantes d’hier.

Pourtant, la même France insoumise vient de générer avec ses partenaires de gauche un acronyme long comme le bras: cette Nupes – pour « Nouvelle union populaire écologique et sociale ». Au milieu de ces exclamations et de ces noms-slogans claquant comme des coups de poings, le label dénote. « La volonté d’union des différents partis a imposé que chacun puisse s’y reconnaître, et a donc de s’appuyer sur un mot-clé. D’où une composition qui aboutit à quelque chose très à l’ancienne », analyse Arnaud Mercier.

On pourrait presque croire à une faute de com’. « Pour moi, ce n’est pas si mal vu : ils essaient de capitaliser sur la vieille mythologie du Front populaire », s’inscrit en faux l’expert en communication .

© Robin Verner

Robin Verner

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