Boolie. A.B.Yehoshua est mort. Nombreux, Nous lui rendons hommage

Aujourd’hui, une tristesse partagée par les amoureux de la Littérature: A.B. Yeoshoua est mort.

Nombreux, ils prennent la plume pour lui rendre hommage, souvent partageant avec nous un moment avec Lui.

Michael Grynszpan se souvient. « Les Larmes d’un géant »

« Juste quelques mots sur le grand A.B. Yeoshoua qui vient de partir. J’ai eu la chance de le rencontrer et de le filmer plusieurs fois, chez lui à Haifa ou à Tel Aviv.

Il m’est même arrivé de le croiser dans la rue et discuter avec lui sur le trottoir. Israel est un tout petit pays…
Il m’a dédicacé son fameux essai « Pour une normalité juive » et je dois dire que je partage certaines de ses positions…

Tout le monde journalistique va aujourd’hui parler du grand écrivain engagé. On parlera de son talent littéraire. Mais je me souviens aujourd’hui d’un moment particulier lors d’un tournage avec lui, un moment rare, un moment de grâce auquel j’ai assisté et qui m’a profondément marqué.

Il faut d’abord savoir qu’AB Yeoshua était un homme fort au caractère bien trempé. Il n’avait pas peur de prendre des positions controversées sans se soucier des conséquences, il menait de nombreux combats politiques et intellectuels. Il a naturellement acquis une image d’homme à la carapace bien épaisse.

Mais soudain lors d’un entretien chez lui en 2016, il s’est mis à pleurer. Oui l’homme fort n’a pas hésité à pleurer devant nous comme un enfant.

Le contexte était pourtant bien serein. On lui demandait simplement quels étaient les thèmes principaux de ses romans. Alors pourquoi pleurer ? Il nous a alors expliqué qu’un de ses thèmes centraux était le couple, le mariage. Et il venait de perdre sa femme quelques mois plus tôt. La blessure était encore ouverte. Sa femme était une psychanalyste très intelligente avec qui il partageait tout, elle le conseillait avant publication, il lui a dédicacé tous ses livres et ils s’aimaient depuis 56 ans. Oui 56 ans de mariage. Mais il y avait bien plus qu’une douleur d’endeuillé. On touchait ici à l’âme de son œuvre.

En pleurs, A.B. Yeoshua a enfin révélé son message, un message qui venait du fond du cœur :

« Nous étions très attachés l’un à l’autre. Elle était une excellente compagne et je souhaitais décrire le mariage dans son côté positif. Parce que le mariage est tellement attaqué dans les romans. Les écrivains parlent tellement de conflits dans le mariage… ils écrivent à propos des divorces, à propos des déceptions… Et moi je voulais montrer la lumière qu’il y a dans le mariage. Et cela est un élément important dans mon écriture.« 

Voilà, j’espère vous avoir transmis un peu des frissons que j’ai ressentis en assistant à cette confession d’AB Yeoshua.

Que sa Mémoire soit bénie. »

En photo, AB Yeoshua lors du moment de grâce.

L’UEJF aussi…

 « Je suis un juif entier, moi qui vit en Israël. Vous, vous êtes des juifs partiels.« 

Combien de fois cette phrase de AB Yehoshua a été débattue, contestée, a animé les étudiants juifs lors de la rencontre annuelle dans le cadre des Universités d’été de l’UEJF en Israël.

Son humour, son engagement total dans chacune de ses interventions. Son goût de la provocation aussi. Celle qui remet en cause les certitudes et amène à la réflexion. AB Yehoshua représentait tellement pour tellement d’étudiants juifs qui l’ont rencontré.

C’est une grande voix d’Israël qui s’est éteinte aujourd’hui avec le décès de AB Yehoshua, immense écrivain israélien, humaniste, défenseur et amoureux de la langue hébreu et de la paix

La littérature israélienne et mondiale perd un de ses plus éminents représentants.

C’est avec le cœur lourd et triste que nous pensons à ses proches et à tous les amoureux de la culture israélienne qui le pleurent aujourd’hui.

Baroukh Dayane Haemet »


Valérie Perez et Esti Gerber se souviennent…

« Être israélien, C’est… » Série réalisée par Esti Gerber pour i24

« Cette rencontre était émouvante, même si je ne partage pas ses idées politiques », me dit Esti…


Eliana Gurfinkiel aussi…

Béni soit le juge de la vérité. A. B. Joshua n’est pas parti.

« Il y a 3 ans, j’ai eu le privilège de l’interviewer, un grand écrivain israélien, en français !
Il avait un coin chaleureux dans son cœur pour cette langue qui était « d’abord une langue d’amour » entre ses parents. Sa mère était marocaine et elle a parlé en français au père de Joshua, fils d’une vieille famille de Jérusalem.
De plus, lui et sa femme ont vécu quelques années en France, et Paris, France française et historique et sa culture étaient importants pour lui.

Dans l’interview je ne voulais pas entrer dans des questions politiques, ça ne m’intéressait pas. Nous avons parlé culture et écriture. Et je dois dire qu’il m’a surpris avec ce qu’il m’a dit Nous avons parlé de la façon dont un écrivain trouve son inspiration pour ses écrits, et il y a répondu, bien sûr, de sa vie. « Et c’est l’humiliation, a-t-il poursuivi, que je ne veux pas écrire sur les couples qui se séparent, qui se trahissent, qui transforment l’amour J’ai été marié pendant 56 ans avec ma femme que j’aimais beaucoup, et c’est ce que je veux écrire. La plupart des gens sont mariés et amoureux. Voici l’histoire que je veux raconter. « 


Et puis, Gidi, son fils…

« Père. Pour moi il est avant tout un père. Papa qui m’a appris à nager, faire du vélo, jouer aux échecs. Un père qui m’embarrassait dans mon adolescence et qui me grondait pour être rentré tard le soir, un père dont les conversations, les révélations d’idées, les disputes et les rires que nous avons partagés étaient des heures merveilleuses pleines d’intérêt.

Et papa, ces dernières années de maladie (principalement après la mort de ma mère), est aussi devenu un ami proche et intime. Un ami des conversations d’âme, des voyages partagés, de partagé en regardant les infos (y compris toutes les malédictions demandées), un ami dont les visites quotidiennes chez lui chaque soir à 7 heures n’étaient pas des moments de devoir mais des moments de plaisir et d’amour.

« Les amis, ça suffit. J’ai vécu une vie bonne, riche et bien remplie, et même réussi, laissez-moi partir tranquillement, ne soyez pas trop désolé. Soyez sages », a-t-il dit juste avant-hier avec un grand sourire fatigué à l’hôpital. »

Funérailles mercredi à 17h30 au cimetière kibboutz ein carmelAssis

Shiva dans sa maison, 258 rue David Ben Gurion Appartement 2106 Givatayim Entre 10:00-13:00, 16:00-22:00

Tu me manques.« 

Photo : père et fils quelque part dans les années 70


Michel Zlotowski pour AKadem avait reçu « le Faulkner israélien »


Je suis un séfarade ashkénaze

« Je suis un séfarade ashkénaze« 


A TJ, nous l’aimons

Nous relisons nos interviews. Celles des amis. Ses livres. Les questions sur lesquelles il fit débat. Celles où il nous interrogea tous. Lorsqu’il s’interrogea, à 75 ans, sur la persistance du désir. Relire Rétrospective. Comment, à la faveur d’une rencontre avec un tableau, il découvre la Charité romaine – en latin caritas romana -, ce mythe antique dans lequel une jeune fille nourrit secrètement son père condamné à mourir de faim. C’était une nuit, à Saint-Jacques-de-Compostelle. Avraham B. Yehoshua venait de recevoir un prix littéraire. Il rentrait dans sa chambre d’hôtel, lorsque son regard, soudain, fut attiré par un étrange tableau au-dessus du lit. « Imaginez, raconte-t-il, une très jeune femme allaitant un vieil homme. Elle est penchée sur lui et tient entre deux doigts le sein que tête le vieillard. Du lait perle sur ses lèvres. Sa barbe caresse le téton qu’il a dans la bouche… Il y avait dans cette scène un ressort très profond. Comment vous dire ? Elle me choquait et m’attirait simultanément. J’ai pris une photo du tableau puis, une fois rentré en Israël, j’ai immédiatement consulté un expert en histoire de l’art. Je me suis aperçu que de très nombreux artistes, Rubens, Caravage, Vermeer…, s’étaient emparés de ce thème. Il y a d’ailleurs une Charité romaine au Louvre. Vous ne la connaissez pas ? C’est que je suis devenu un spécialiste ! Cette histoire m’a frappé à un point tel que j’ai fini par en faire un roman ! »

Ce roman, c’est Rétrospective, pour lequel il reçoit le Prix Médicis étranger 2012.

Yehoshua s’exprimait avec nous en français, langue maîtrisée pour avoir vécu 4 ans à Paris.

Né en 1936 à Jérusalem, Avraham « Boolie » Yehoshua appartient, dit-il, à « la 5e génération de juifs séfarades installés en Israël ». Enseignant, il se met à écrire. Ses romans – L’Amant (1979), Monsieur Mani (1992), La Mariée libérée (2003), Le Responsable des ressources humaines (2005)… lui valent d’être considéré aujourd’hui comme l’un des chefs de file de la littérature israélienne.

Il est aussi l’auteur d’essais : Pour une normalité juive (Liana Levi, 1992) ou Israël, un examen moral (Calmann-Lévy, 2005), dans lesquels il traite de l’identité juive, ( Le Tunnel ), du sionisme, de la religion, de la morale de la paix dont il est un défenseur ardent.

La Paix ? « On peut encore y arriver. Et, si la paix est conclue, quelle raison aura l’Iran d’attaquer Israël ? »

Critique sur son peuple qui a « viré très à droite » et sur une gauche israélienne « absente sur le terrain social comme sur celui de la solidarité avec les Palestiniens« .

Déconcertant, opposant sa théorie du « juif total » (celui qui vit en Israël) au « juif partiel » (qui n’y vit pas).

Intransigeant avec le fanatisme religieux et nostalgique des premières années d’existence d’Israël où, dit-il, le pays était laïc de manière naturelle.

Passionné par le problème de la rencontre, au sein de la population israélienne, entre les juifs venus des pays chrétiens et ceux qui viennent des pays musulmans. Ils résument aussi la question Orient-Occident qui m’obsède et constitue peut-être le fil rouge de mon oeuvre.

Engagé en faveur du processus de paix israélo-palestinien, Avraham Yehoshua a remporté le Prix Bialik, le Prix Israël, le Los Angeles Times Book Prize en 2006.

Son engagement pour la paix ne l’empêchera pas d’appeler Israël à cesser de fournir de l’électricité et de faire passer de la nourriture, bref d’agir à Gaza comme avec un pays ennemi. Ni d’ajouter : Il faut faire la paix avec « nos voisins de Gaza. Il faut ouvrir la frontière pour que les Gazaouis puissent venir travailler en Israël.

Et puis il y a sa femme, Ika, disparue en 2016.  A qui il dédie Le Tunnel. Oui, elle n’a eu le temps d’en lire que 70 pages avant d’être emportée en un mois et demi par une maladie du foie. C’était elle, la première lectrice de tous mes romans. Dina, l’épouse de mon héros, ressemble d’ailleurs à ma femme. Elle forme un couple très aimant et très complice avec Zvi. J’avais déjà imaginé ce type de relations dans La Mariée libérée. Il y a trop de romans qui parlent de couples qui se déchirent, qui divorcent, se trahissent. Le secret d’un bon mariage, c’est l’égalité. Ainsi, je n’ai jamais mis ma carrière devant celle de ma femme, qui était psychanalyste.

La question palestinienne

La question palestinienne est à mes yeux une question majeure. Ici, l’un de mes personnages est un Palestinien très particulier, puisque résident sans identité [RSI]. Il a dû fuir la Cisjordanie après avoir vendu frauduleusement des terrains afin de financer une transplantation cardiaque pour sa femme. En Israël, la propriété est un sujet brûlant, car, dès les premiers temps, les sionistes ont tenté d’acheter les terrains des Palestiniens. En fait, ces terres appartenaient à de grands cheikhs du Liban et de Jordanie, et les pauvres paysans palestiniens ont été chassés de chez eux. Voilà pourquoi l’État est désormais propriétaire du sol.

Ces cinquante dernières années, nous sommes allés nous installer parmi les Palestiniens, là-bas en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et nous avons créé cette terrible situation qui fait que l’on ne peut plus séparer les deux peuples. Impossible de déloger 400 000 colons ! Les partisans de l’évacuation invoquent la France et son million de Français d’Algérie. Mais de Gaulle n’avait cure de ce million de Français, et l’Algérie n’était pas une terre sacrée, comme l’est la Cisjordanie, le coeur historique d’Israël.

En outre, beaucoup de colons sont des religieux fanatiques, prêts à mener une guerre civile. C’est pour cela qu’aujourd’hui la solution passe par un État binational. Ce qui signifie qu’il faut donner petit à petit le droit de résidence, c’est-à-dire la possibilité de voter aux élections municipales et non au Parlement. Cela serait un premier pas, on ne peut pas maintenir la sorte de régime d’apartheid qui existe en Cisjordanie. Il ne s’agit pas d’une colonie comme l’Inde ou le Vietnam. Nous allons vivre avec les Arabes pour l’éternité, et nous devons penser aux générations à venir.

Il se désole que la loi de l’État-nation juif, votée par la Knesset en juillet 2018, ait retiré à l’arabe son statut de deuxième langue officielle. C’est honteux et inutile. La droite israélienne devient de plus en plus extrême et abominable. J’ai vécu la guerre d’indépendance [en 1948] dans un abri pendant deux mois. Les Arabes, les Jordaniens, les Égyptiens voulaient nous liquider, mais jamais autant qu’aujourd’hui je n’ai senti un tel niveau de racisme et de haine envers les Arabes.

C’est dû, je pense, au fait qu’ils sont faibles : c’est le chaos dans le monde arabe. Et puis Israël a de bonnes relations avec l’Egypte, la Jordanie et avec – ça, c’est dû à Netanyahou, le malin – Bahreïn et des pays islamistes en Afrique. Enfin, comme nous nous sentons coupables, nous attaquons. Cela me rappelle, toutes proportions gardées, les pogroms des Polonais fin 1945 contre les juifs. Ils compensaient leur sentiment de culpabilité en taxant les juifs de tous les maux. 

Il loue des actions humanitaires et des initiatives israéliennes, comme Road to recovery [La voie de la guérison], une association composée de volontaires qui convoient au poste de contrôle des Palestiniens malades vers des hôpitaux d’Israël. Il y a aussi des chefs de clinique et des médecins à la retraite qui viennent le samedi soigner les patients dans les camps de réfugiés palestiniens en Cisjordanie. L’endroit où tous les Israéliens et tous les Palestiniens se rencontrent, c’est l’hôpital. Et ça, c’est formidable. A ce propos, il faut souligner que nous avons un exemple de coexistence magnifique avec les Arabes israéliens, qui ont reçu la citoyenneté en 1948. Ils étaient 150 000, ils sont maintenant 2 millions et démontrent tous les jours que l’on peut vivre ensemble. 

Je souhaite, ajoute-t-il, briser les barrières. Nous vivons dans une politique identitaire. Laïques, religieux, homosexuels, femmes, hommes… En Israël, l’identité devient une sorte de secte. Il faut construire des tunnels entre ces différentes identités. Le tunnel permet de ne pas détruire le paysage et de favoriser les rencontres.

Son identité ? Il se définit comme Israélien, pas juif. Israélien, c’est le nom original du peuple juif. C’est le juif total. 

Il faut construire demain, répète-t-il :  Dans un camp comme dans l’autre, il y a trop de mémoire. Les juifs sont obsédés par la Shoah, invoquée dès que quelqu’un dessine une croix gammée. La Shoah est devenue une sorte de culte, s’insurge-t-il. Quant aux Palestiniens, eux aussi sont esclaves de leur mémoire. À la télévision, on voit des jeunes se jeter sur les barrières à Gaza et crier : “Aouda”, c’est-à-dire “retour”. Mais retourner où ? À 10 km de là, dans une maison que leur famille a perdue il y a soixante-dix ans, qu’ils n’ont jamais connue et qui de toute façon n’existe plus ? Il faut construire demain.


A lire

Trois jours et … un enfant, nouvelles israéliennes, trad. de l’anglais par Claire Malroux, Paris, Denoël, 1974.

L’Amant (HaMeAHev), Calmann-Lévy, Paris, 1977.

Un divorce tardif, roman, Calmann-Lévy, Paris, 1983.

Au début de l’été 1970 : nouvelles, Calmann-Lévy, Paris (traduit de « Bi-teḥilat ḳayits–1970 »).

Deux nouvelles, Jérusalem, World zionist organization.

Monsieur Mani (Mar Mani), roman, Calmann-Lévy, 1990.

Voyage au bout du millénaire, 1997.

La Mariée libérée (Hakala Hameshakhrereth), 2001.

Voyage vers l’An Mil, Librairie générale française, Paris, 2003.

Comment construire un code moral sur un vieux sac de supermarché : éthique et littérature, Ed. de l’Eclat, Paris, Tel Aviv, 2004.

Le responsable des ressources humaines : passion en trois actes, Paris : Librairie générale, 2007.

Un feu amical, traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen, Paris : Librairie générale, 2008.

Israël : un examen moral, recueil d’essais, Calmann-Lévy.

Le Directeur des ressources humaines, roman, Calmann-Lévy.

Rétrospective, roman, Grasset, 2012 – Prix Médicis étranger – Prix du Meilleur livre étranger.

La Figurante, roman, Grasset, 2016.

Le Tunnel, Grasset, 2019. Avraham B. Yehoshua a également écrit la préface de l’ouvrage d’Emile H. Malet : Freud et l’homme juif : la claire conscience d’une identité intérieure, suivi d’un petit catalogue de citations à propos de Freud et le judaïsme, Paris, CampagnePremière, 2016.

Michael Grynszpan. UEJF. Valérie Perez. Esti Gerber. Eliana Gurfinkiel. Gidi Yehoshua. Michel Zlotowski pour AKadem. Florence Noiville pour Le Monde. Emmanuel Hecht pour L’Express.

Sarah Cattan

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