Quand Raphaële Billetdoux a intitulé son livre : « Mes nuits sont plus belles que vos jours « , ce n’est certainement pas à moi et ni à tous mes camarades d’insomnie qu’elle s’adressait.
Un peu provoquant ce titre d’un livre que je reconnais n’avoir jamais lu pas plus que je n’ai vu le film de Zulawski lors de l’adaptation de l’ouvrage.
Pourtant, quand je fais appel à ma mémoire qui fonctionne assez bien encore, je revois l’écrivaine et le metteur en scène buvant un verre d’alcool fort à la Rotonde. Vodka ou gin, le liquide était transparent et je n’ai jamais su.
Ils étaient à quelques tables de moi et comment aurais-je pu imaginer qu’il parlait d’un de mes sujets de prédilection : la nuit ?
Que j’ai aimé la nuit ! Noctambule, je ne vivais pleinement que la nuit tombée. Telle une alcoolique, scrutant la pendule, pour s’autoriser à boire ce premier verre tant désiré, je ne me sentais parfaitement bien qu’au crépuscule.
La nuit m’appartenait et j’aimais ce qu’elle soulève. La pénombre, les lumières tamisées, un lieu calfeutré, incitent au lâcher prise, au dévoilement de l’intime.
Je n’ai jamais su si tous les chats étaient gris mais j’ai constaté que les âmes sont souvent blanches et à nue.
Si nues que l’on se retrouve, très souvent, entre la rue des dépressifs et l’avenue de la tristesse.
Difficile de se cacher à l’heure où les gens sont tous dans leur lit et que l’on s’oublie dans une nouvelle nuit sans sommeil ou si tardive quand on se couche avec le premier métro.
Sortir le soir et vivre la nuit a ses avantages et ses inconvénients.
Jeune femme, je n’y voyais que des moments hors d’une temporalité imposée et me sentais quasiment rebelle en vivant à contre-courant mon crawl le plus rapide.
Mais, face à la puissance du temps, j’ai failli me noyer.
En ne sortant plus toutes les nuits, je faisais face à ma meilleure ennemie : l’insomnie.
Et, une de celles qui finit par faire haïr la chambre, le lit, la lampe de chevet qu’il faut éteindre, celle appelée insomnie d’endormissement. Tourner et se retourner dans son lit.
Mettre la tête sous les draps ou enlever en un geste de colère, cette couverture qui devient si chaude qu’elle provoque des dérèglements thermiques.
Après tant de vaines tentatives, prendre en dernier recours, le somnifère prescrit mais à ne consommer qu’avec modération bien évidemment.
On veut, en effet, dormir et non mourir d’ennui.
Et l’on s’endort prisonnier d’une camisole chimique qui très vite prend le vilain masque de l’accoutumance.
Mais, parfois, un miracle se produit.
On s’endort sans le cachet poison.
Lumières allumées, toutes les lumières allumées (la chambre est devenue Versailles, le château, pas la ville).
Car les nuits sans sommeil nous écartèlent de fatigue.
Et l’on cherche des approches pour apprivoiser ce dernier.
Le sommeil est devenu un pôle fixatoire, une hantise telle que la seule idée de retrouver chambre et lit nous pétrifie.
Une insomniaque parle à un autre insomniaque.
Ici, Radio Insomnie.
Si je devais lui donner un titre, en faire un livre, ce serait Le sommeil d’à côté.
Oui, à côté de moi. Le voisin. Il vivrait dans une maison, moi dans une autre. Nos rencontres seraient secrètes et fugaces. Et non quotidiennes.
Ce serait une passion, ce sommeil d’à côté. Dissimulée aux yeux de tous, même parfois aux nôtres : le sommeil et moi. J’emploie le « nous », couple illégitime traversant de nombreux drames, des ruptures, des séparations brutales. Mais il nous est impossible de nous séparer. On revient toujours l’un vers l’autre. Champions du monde de l’addiction.
Comment se passer du sommeil ? Surtout quand il se trouve à côté. La tentation est si grande, le désir impérieux. Les retrouvailles brûlantes. Et quand on s’endort dans les bras l’un de l’autre, il arrive que nos nuits soient pleines, complètes, sans interruption, sans cauchemar, sans rêves. C’est la paix totale. Le repos avant la tempête.
Mais nous ne sommes plus dupes, le sommeil d’à côté et moi. Nous savons que des nuits blanches sont en perspective, que d’autres seront hachées. Non, nous ne nous faisons aucune illusion mais un simple constat : nous sommes inséparables.
Condamnés à errer ensemble dans une éternité où le paradis c’est d’enfer.
© Felicia-France Doumayrenc
Felicia-France Doumayrenc est autrice, critique littéraire, éditrice et peintre.
Superbe aparté. L’insomniaque que je suis y retrouve tant de sensations partagées. Parce que l’insomnie c’est aussi la solitude. Surtout quand on a été noctambule. Je le fus aussi.