Jean Mizrahi. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer

Jean Mizrahi

Les français vivent sur un petit nuage, formé de vapeur d’eau, de vapeurs d’alcool, voire d’émanations de haschich. Depuis des décennies, et encore plus depuis quelques années, les pouvoirs politiques qui se succèdent flattent le peuple français en le laissant vivre globalement au-dessus de ses moyens. Je dis globalement car il est évident que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, mais dans leur ensemble, les français se sont accoutumés à vivre dans une forme d’insouciance qui les conduit en tant que nation à dépenser plus qu’ils ne gagnent.

Je ne parlerai pas ici de l’insouciance liée au devenir de la planète, les français ne sont pas les seuls à gaspiller l’avenir commun, il y a plus fort qu’eux dans ce domaine, à commencer par les américains, dont la production de carbone nuisible atteint des sommets, avec un refus obstiné de changer de modèle de consommation et de mode de vie.

Je fais plutôt ici référence à une insouciance économique. Emmanuel Macron a probablement poussé à son extrême la politique menée par les Présidents français depuis Mitterrand, avec son « Quoi qu’il en coûte ». Rien que cette expression aurait de quoi faire hurler tout ministre de l’économie qui se respecte, mais apparemment Monsieur Le Maire ne se respecte pas.

Alors que dans d’autres pays, les aides durant la crise du COVID ont été calculées au plus juste, le gouvernement français a versé des tombereaux d’argent de manière indifférenciée et parfaitement absurde (par exemple à des entreprises quasiment sans salariés mais avec un gros chiffre d’affaires de trading – c’est toute la beauté des « PGE » ou Prêts Garantis par l’Etat).  600 Milliards d’Euros de dette supplémentaire en cinq ans, Macron a battu Sarkozy.

Les élections venant, la fuite en avant s’est poursuivie, avec des subventions de toutes sortes (100€ par ci, 25 centimes le litre par là, etc.), qui auront eu pour effet de masquer temporairement l’inflation en France et de laisser les français vivre dans une illusion de continuité.

Macron se glorifie de maîtriser l’inflation, je ne parviens pas à comprendre l’inculture des médias français qui refusent de voir que cette « maîtrise » s’effectue moyennant un subventionnent massif de la consommation. Quand certains pays européens voient leur inflation flirter avec les 10% (pratiquement tous sont au-dessus de 7%), la France reste proche de 5%.

Quelle excellente performance, me direz-vous ! Mais regardez bien d’où vient cet argent: de la dette qui ne cesse de gonfler.

Il se passe ces dernières semaines comme un effet grossissant de ce qui s’est passé depuis 40 ans: on a voulu préserver un semblant de « paix sociale » en endettant massivement le pays. Le mécanisme est très simple: la France consomme plus que les richesses qu’elle produit, et ce sont les prêteurs internationaux qui financent cette insouciance nationale.

Aujourd’hui, l’Etat français est endetté à hauteur de 115% environ du PIB. Cela pourrait n’être pas trop grave (mais grave quand même). Notre dette publique est de 2800 milliards d’euros environ. Nos recettes fiscales sont aujourd’hui d’environ 400 Milliards d’Euros (https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381416#tableau-figure1).

Il faudrait donc que l’intégralité des impôts collectés en France soit affectée pendant sept années entières au remboursement de la dette pour revenir à la situation d’il y a six décennies, c’est à dire un bilan équilibré.

Problème: les recettes fiscales ne suffisent même pas à financer les dépenses publiques, puisque l’Etat a généré un déficit de 161 Milliards en 2021, soit près de 40% des recettes fiscales.

La première étape serait de mettre l’Etat à une diète sévère, puis de ponctionner les recettes fiscales pour commencer à rembourser la dette. Donnez-moi le 06 du sieur Hercule.

Qu’est-ce qui nous attend dans ce contexte ?

L’inflation n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour se manifester, partiellement du fait des tensions sur la supply chain mondiale, mais plus fondamentalement du fait de l’explosion de la masse monétaire. La guerre ne fait qu’accentuer la tendance inflationniste en mettant la pression sur les matières premières, à commencer par les hydrocarbures. Ceux qui pensent qu’il suffit d’ajuster les salaires pour compenser cette évolution se mettent le doigt dans l’oeil: l’inflation est liée à l’excès de monnaie, et nous payons aujourd’hui les largesses excessives des banques centrales occidentales qui ont imprimé de la monnaie pendant bien trop longtemps pour soutenir des économies structurellement chancelantes. N’importe quel étudiant en économie sait qu’un excès de masse monétaire finit tôt ou tard par engendrer de l’inflation : on y est.

Les banques centrales ne peuvent plus maintenir une politique aussi laxiste: elles doivent affronter l’inflation en remontant leurs taux directeurs. C’est ce qu’a commencé à faire la banque centrale américaine (la Fed) de façon relativement ferme, dans un mouvement qui est appelé à se poursuivre.

La banque centrale européenne joue actuellement les équilibristes : alors que la guerre est à nos frontières, remonter les taux promet d’étouffer la machine économique qui en Europe a déjà tendance à patiner (baisse du PIB en Allemagne fin 2021 et en France début 2022). Mais les hésitations de la BCE à remonter les taux ont une conséquence directe actuellement: la chute de l’Euro face au dollar car ce dernier promet de meilleurs taux d’intérêt.

C’est cependant une politique du pire: en laissant l’Euro filer, nos importations libellées en dollars ne cessent de se renchérir, elles viennent nourrir une inflation qui n’avait pas besoin d’un tel coup de pouce.

C’est au choix: laisser s’envoler l’inflation avec des conséquences dommageables qui sont bien connues, ou bien remonter les taux.

Il ne faut pas douter que c’est la seconde option qui devra être prise, car les allemands ne tolèreront pas indéfiniment une évolution des prix qui réveille de vieux traumatismes. Actuellement les taux d’intérêt réels sont fortement négatifs, mais de façon déraisonnable: quand l’inflation dépasse les 5%, les taux d’emprunt d’Etat sont autour de 1% en Allemagne et en France. Certes, cet écart a pour mérite de spolier les épargnants au bénéfice des Etats endettés, mais la maîtrise de l’inflation va devenir un vrai problème et cette forme de spoliation prend trop de temps. Les taux vont donc remonter, et fortement, avec les conséquences prévisibles: moins d’investissement (entreprises et ménages), difficulté pour les Etats endettés à maîtriser le coût de leur dette, effondrement du prix des actifs, à commencer par l’immobilier, les actions et bien sûr les obligations dont les prix dépend directement des taux. Il y aura un effet d’appauvrissement des classes moyennes et même des plus fortunés.

Les tares du système français vont apparaître comme les rochers apparaissent quand la neige se met à fondre

Tout cela pour dire que, quel que soit le choix qui sera fait par les autorités monétaires européennes, notre économie est actuellement en train d’entrer dans une phase de crise aiguë. Les belles promesses électorales vont se transformer en potion amère, et les tares du système français (que le monde entier nous envie comme chacun sait) vont apparaître comme les rochers apparaissent quand la neige se met à fondre.

Malheureusement, les plus faibles sont très exposés – ce sont toujours eux qui trinquent les premiers, les épargnants vont voir fondre leurs économies, le chômage que notre bon gouvernement a camouflé derrière les catégories B, C ou D va littéralement exploser.

Les français ne comprendront pas tout de suite que le pays est au bord de la faillite, ils descendront dans la rue pour réclamer qu’on soutienne leur pouvoir d’achat (thème principal de la campagne présidentielle), et ce « quoi qu’il en coûte ».

Le carnet de chèque est vide, la foule voudra la tête de Macron comme elle a eu autrefois celle d’un roi

Mais le carnet de chèque est vide, une réponse positive ne pourra pas venir. La foule verra rouge, ne comprendra pas qu’on l’ait ainsi bernée, elle deviendra folle et voudra la tête de Macron, comme elle a eu autrefois la tête d’un roi.

Si la situation sociale et politique dérape, les prêteurs internationaux ne seront plus d’accord pour prendre le risque d’aider la France à refinancer sa dette (en bon français, on appelle ça faire de la « cavalerie »), l’Etat ne pourra pas rembourser une de ses échéance, fera défaut et le pays sera cette fois ruiné. Ou bien sera sous tutelle de l’Allemagne, à la schlague.

Au choix. Renseignez-vous sur ce qu’on subi les Chypriotes, les Grecs, les Argentins, et j’en passe.

Je vous le dis, tout va bien se passer.

https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381416

© Jean Mizrahi

Jean Mizrahi est Chef d’Entreprise

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6 Comments

  1. « Qui réveille de vieux traumatismes » : il faudrait cesser ce genre de formules rappelant la propagande selon laquelle le nazisme serait une simple conséquence de la crise des années 20. Historiquement c’est du révisionnisme. Les racines du national socialisme allemand remontent au moins au début du dix-neuvième siècle. Et en l’occurrence c’est bien l’Allemagne qui est un traumatisme pour la France et l’Europe depuis 2 siècles. Donc ceux qui supportent l’existence du « couple » franco allemand ont au mieux la mémoire très courte.

    Et les gens qui n’ont pas de mémoire votent tous pour Macron.

    • L’Allemagne a fait un énorme travail d’introspection et de critique de ses erreurs, contrairement à d’autres pays comme l’Autriche (Il a fallu beaucoup de temps à la France pour faire ce travail…). Cette critique de l’Allemagne moderne n’est pas justifiée, et en revanche, le traumatisme des années 20 est une réalité, et non de la « propagande ». Je connais bien ce pays, j’y ai une cinquantaine de salariés, c’est bien méconnaître l’Allemagne d’aujourd’hui que de parler comme vous le faites. Pour ce qui est de l’économie, qui m’intéresse dans cette publication, le rejet viscéral de l’inflation par l’Allemagne est une réalité qu’il n’est pas possible d’ignorer, et qui trouve bien ses racines dans les années 20-30 et qui n’a rien à voir avec le nazisme: ne mélangez pas les deux sujets. L’hyperinflation allemande est une réalité qui a été étudiée par de nombreux économistes, je vous conseille par exemple la lecture de « Hyperinflation, a world history » de Liping He. L’hyperinflation allemande est un cas d’école dans la plupart des livres sur l’hyperinflation. Cela a marqué tous les économistes allemands. Et donc leur banquiers centraux, ce qui explique la démission récente du patron de la banque centrale allemande du fait de la politique laxiste de la BCE.

  2. Il ne faut pas etre grand clerc pour savoir que le prochain round se passera dans les rues en France ,
    Les chevaux se battent quand il n y.a plus de foin

  3. Et pour completer le tableau, Merluchon actionnera ses votants porteurs de babouches…Bonjour les troubles ou attentats dans les « territoires pourris » de la Raie publique… du 93 et autres  » beaux quartiers « ….
    Vive la Fronsse….!!!

  4. @jean mizrahi Je ne pense pas, non. Premièrement il ne s’agit pas d' »erreurs » : le mot est quand même faible pour parler d’invasions militaires, crimes de guerre en pagaille et génocides (génocide des hereros et Shoah). Deuxièmement on constate au contraire depuis l’arrivée au pouvoir d’un retour à la volonté hégémonique de l’Allemagne en Europe . Travail d’introspection dites vous ?

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