Figaro Vox: Emmanuel Macron a indiqué, ce mercredi 27 avril, qu’il allait nommer un Premier ministre « attaché à la question sociale, environnementale et productive », lors d’une visite à Cergy, dans le Val-d’Oise. Que vous inspire ces propos ?
Maxime Tandonnet: Ma première réaction est de trouver cette déclaration plutôt vague. Quel homme politique n’est pas attaché à la question sociale, environnementale et productive ? Ensuite, elle ne peut concerner qu’un Premier ministre et un gouvernement à titre temporaire. En effet, le choix du Premier ministre doit forcément tenir compte de la composition de l’Assemblée nationale. Or, celle-ci est aujourd’hui aléatoire. Certains experts considèrent que dans la logique pure de la Vème République issue du quinquennat, les élections législatives, comme en 2002, en 2007, en 2012 et en 2017, devraient forcément déboucher sur une majorité présidentielle de soutien au chef de l’Etat. Possible. Mais nous savons que la situation actuelle est très particulière. Le chef de l’Etat a été réélu par défaut face à une candidate repoussoir dont la présence au second tour devait quoi qu’il arrive assurer sa réélection. Au paroxysme de la décomposition politique et de l’effondrement des repères traditionnels de la politique française, une forte majorité de Français estime que la réélection du président Macron est une mauvaise chose. Une très forte majorité des deux tiers ne veut pas qu’il dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée. Dès lors, nous sommes aujourd’hui dans le brouillard. La logique autocratique du quinquennat va-t-elle prévaloir ou bien allons-nous vers la situation inédite d’une Assemblée plus diversifiée qui fonctionnera sur des majorités d’idées loin d’une logique de soumission inconditionnelle ? Nul ne peut le dire aujourd’hui, mais le choix du Premier ministre après juin en dépendra.
Emmanuel Macron ne semble pas faire des questions sécuritaires et identitaires une priorité de son prochain quinquennat. N’y a-t-il pas un décalage avec le verdict des urnes ?
A ce stade le président est dans une situation où il privilégie la tactique politique justement en vue d’obtenir une majorité absolue aux législatives – ce dont il est loin d’être assuré. Un échec sur ce point serait un désaveu terrible du pays qui aurait pour effet d’annihiler en partie l’effet de sa réélection. Il va donc tout faire pour éviter une situation qui serait vécue comme une grave humiliation et aurait pour effet de l’affaiblir fortement en transformant son étrange victoire des présidentielles en étrange défaite aux législatives… Or, on sent bien que ses craintes en ce moment viennent davantage de la gauche mélenchonniste que de la droite. Il estime que le compte de la droite LR est largement réglé avec l’effondrement de Valérie Pécresse à la présidentielle et les multiples trahisons ou ralliements de la droite en sa faveur qui ont eu pour effet, à ses yeux, d’achever la désintégration de LR qu’il pense avoir cassé. Il ne craint pas non plus la droite lepéniste dont il sait que l’effet repoussoir rend peu probable une poussée en nombre de sièges aux législatives. Dès lors, il se retourne délibérément vers la gauche en laquelle il voit la vraie menace susceptible de le priver d’une majorité absolue. C’est pourquoi il insiste sur des thèmes plutôt connotés de gauche dans le choix de son futur Premier ministre (social et écologie) et fait silence sur les thématiques de droite (sécurité, identité). On peut imaginer que le choix du Premier ministre, acte suprême de communication, se portera dans ce contexte vers une personnalité à image plutôt progressiste.
Pendant l’entre-deux-tours, le président candidat n’a cessé de s’adresser aux électeurs soucieux du changement climatique. Quid des autres ?
En effet, je pense que le chef de l’Etat a constaté comme tout le monde que la grande masse de son électorat est désormais formée des milieux retraités, plus de 65 ans, conservateurs et privilégiés. Cette évolution de son image est liée à l’histoire de son quinquennat. La réélection du Président Macron ne semble pas être liée à une image favorable de son bilan économique, social, sécuritaire, sanitaire ou écologique, mais (outre l’absence de concurrent sérieux) à un réflexe légitimiste de milieux qui votent plutôt à droite en général et qui ont vu en lui une sorte de « sauveur national » dans la lutte menée contre les gilets jaunes, les non vaccinés et autres parias de la société… Mais il est vraisemblable que le président Macron ne peut pas se satisfaire de cette image – d’ailleurs totalement artificielle ou surfaite – de protecteur de la bourgeoisie âgée et privilégiée. C’est pourquoi il a complétement réorienté son discours sur le « climat » qui est de loin la première préoccupation des jeunes. Reste à savoir quel sera le résultat de cette volte-face… L’opération peut réussir mais elle peut aussi avoir pour effet d’indisposer les milieux conservateurs qui ont voté pour lui sans pour autant lui regagner la confiance de la clientèle de gauche qu’il cherche à séduire.
Les récentes déclarations d’Emmanuel Macron posent, aussi, la question du rôle du premier ministre
Encore une fois, on est dans l’incertitude. Les élections présidentielles se sont déroulées d’une manière que de nombreux Français ont ressentie comme peu démocratique : cinq années de conditionnement intense des esprits au duel le Pen Macron et à la réélection inéluctable de ce dernier, occultation complète des débats sur le bilan du quinquennat, absence de toute réflexion sur l’avenir de la France, avalanche de trahisons et naufrage de cette élection dans une logique purement plébiscitaire… Le taux d’abstentionnisme et de vote blanc a atteint un niveau record de près d’un tiers. Le déroulement assez indigne de cette élection souligne les limites de la présidentialisation outrancière du régime. Dans l’hypothèse de l’élection d’une Assemblée suffisamment hétérogène pour conserver son libre arbitre, il est possible que la fonction de Premier ministre redevienne centrale dans les institutions. L’élection d’une Assemblée nationale qui serait autre chose qu’une assemblée godillot asservie à l’Elysée, déboucherait forcément sur la nomination d’un Premier ministre de caractère qui serait amené à gouverner la France de manière plus autonome par rapport au chef de l’Etat, c’est-à-dire en parfaite conformité avec la lettre de la Constitution (articles 20 et 21) et la tradition républicaine antérieure aux années 2000 et au quinquennat.
© Maxime Tandonnet
Fin observateur de la vie politique française et contributeur régulier du FigaroVox, Maxime Tandonnet a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019). A paraître le 3 mar: Georges Bidault, de la Résistance à l’Algérie française. Maxime Tandonnet. Perrin Editions.
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