D’abord, un soulagement. Imaginons un autre résultat aux élections présidentielles et le scénario épouvante d’un Jean-Marie Le Pen, devenu grand-père de la nation et interrogé sur ce qu’il avait appelé un « détail de la guerre », l’un des plus abjects commentaires jamais prononcés sur l’assassinat de plus de cinq millions de Juifs.
Ensuite, pour Israël, un rappel historique. Après l’Indépendance, malgré l’arrivée massive des survivants, David Ben Gourion ne tenait pas à commémorer le cataclysme que certains commençaient à appeler Shoah, en utilisant un mot assez mystérieux, trouvé ici et là dans les textes des prophètes et des hagiographes. Pour lui, et il n’était pas le seul, commémorer signifiait célébrer. L’extermination des Juifs confirmait les avertissements des premiers sionistes politiques mais son rappel risquait d’engendrer un état d’esprit morbide, dangereux pour Israël. Plutôt que de commémorer spécifiquement la tragédie, le souvenir se limitait au 10 Tevet, jour de deuil classique proposé par le Rabbinat et lié à la destruction du Temple.
Le 27 Nissan, « Jour de la Shoah et de la Guevoura
Mais la pression pour une date spécifique devenant trop forte, le Parlement israélien vota en 1951 le choix du 27 Nissan comme « jour de la Shoah et de la Guevoura ». La Guevoura, cela signifiait qu’on allait aussi célébrer l’héroïsme des Juifs et en particulier le symbole de leur lutte, la révolte du ghetto de Varsovie. Le 27 Nissan, parce que les 2000 policiers et SS suréquipés étaient entrés dans le ghetto le 19 avril 43. C’était le premier soir de Pâques, fête de la Liberté, et cette date ne pouvait pas être choisie. Le 27 Nissan se trouvait suffisamment à distance des huit jours de Pessah, mais parce qu’il survenait au cours du mois de Nissan au cours duquel les manifestations publiques de deuil sont globalement interdites, il n’a pas été accepté facilement dans le monde religieux. Ce n’est qu’en 1959 qu’il est entré officiellement dans le calendrier israélien.
Depuis lors, au Yom Hashoah, le soir puis le matin, la sirène met pendant 2 minutes Israël à l’arrêt. En Diaspora, divers rituels mémoriels se sont développés. Chez nous, c’est la lecture des noms des victimes en France, dont l’impulsion revient au Rabbin Daniel Fahri sur la base des travaux de Serge Klarsfeld, qui est le marqueur le plus connu de la journée.
En Israël, le Yom Hashoah coïncide avec la publication de statistiques sur le judaisme. Les vides persistent. Il y aurait un peu plus de 15 millions de Juifs dans le monde, à comparer aux près de 17 millions en 1939. A cette époque, dans la Palestine mandataire sous blocus du Livre Blanc, vivaient 3% des Juifs du monde, aujourd’hui ils sont 45% installés en Israël. Parmi eux, 165 000 survivants de la Shoah.
L’imam Khomeiny a institué pour le dernier vendredi de Ramadan, et ce sera demain vendredi 29 avril, un « jour de Jérusalem ». Israël a prévenu du risque de cyberattaques d’origine iranienne. Je ne m’étendrai pas sur les menaces génocidaires des Iraniens. les Israéliens ont aujourd’hui des moyens que les Juifs contre les nazis n’avaient pas.
C’est aussi au cours d’un mois d’avril qu’ont commencé les deux génocides majeurs du XXe siècle, en dehors de celui perpétré contre les Juifs et les Tziganes .
Le 24 avril 2015, c’est la rafle des personnalités arméniennes de Constantinople, qui marque le début du génocide des Arméniens, entre 1 million et 1,5 millions de morts.
C’est le 7 avril 1994 qu’a commencé le génocide des Tutsi au Rwanda, qui fit 800 000 victimes en 100 jours et dont le cerveau, le colonel Théoneste Bagosora, est mort en prison au Mali, il y a quelques mois.
Le Président Macron a reconnu l’an dernier au Rwanda les responsabilités de la France dans le génocide des Tutsi. Ce n’étaient pas des responsabilités par action, comme ce fut le cas de l’Etat français de Vichy à propos duquel la déclaration de Jacques Chirac en 1995 reste dans les mémoires, mais des responsabilités par inaction. Et c’est une démarche juste, car le témoin d’un génocide est coupable s’il détourne le regard.
La réconciliation des Juifs avec l’Allemagne, inconcevable encore au temps de ma jeunesse, a été le fruit de cette reconnaissance de responsabilité. Et la position de la Turquie qui persiste à nier le génocide arménien est un triste contre-exemple.
Et aujourd’hui 28 avril 2022? Nous pensons évidemment à l’Ukraine. Malgré les allégations du Président ukrainien, la situation ne peut absolument pas se comparer avec celle de la Shoah et son extermination systématique, mais il est vrai que l’élimination d’un groupe national entre dans la définition du génocide. Il est notoire que pour Poutine la nation ukrainienne n’existe pas. Les experts trancheront. Mais nous sommes les spectateurs d’une guerre dont le responsable unique laisse planer la menace d’un conflit nucléaire, donc d’un génocide généralisé, si ses objectifs ne sont pas atteints.
Certes, la réaction de la communauté, non pas internationale, malheureusement, mais des nations européennes et du bloc occidental, a progressé depuis l’indifférence qui a marqué le génocide des Tutsi, sans parler de ceux plus anciens des Juifs ou des Arméniens. Est-ce suffisant?
Quelle sinistre ironie de l’histoire! Le fait que le bataillon d’Azov contienne des éléments -un peu, beaucoup, je n’en sais rien- qui déploient des insignes nazis ne m’empêche pas, en écoutant les déclarations des défenseurs de Marioupol, de penser aux appels des combattants du ghetto de Varsovie.
Mais cette ville, ou plutôt cette usine, portion de ville, Poutine décidera peut-être de l’affamer dans une guerre de siège à l’ancienne. Ce sera alors en rétorsion du siège épouvantable que ses parents ont vécu à Leningrad pendant la guerre et dont le récit a hanté son enfance, en fermentant son désir de vengeance contre les nazis.
Mais attention, pour Poutine les nazis ne sont pas seulement les ultra-nationalistes ukrainiens. Ce sont les Américains, les Occidentaux, les Européens, c’est vous et c’est moi. Il n’en démordra pas.
Les leçons de la Shoah n’ont pas été les mêmes pour tous….
© Richard Prasquier
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