Ça fait des années que je l’entends cette petite musique. Il m’est arrivé de débattre même à la télévision ou à la radio avec des interlocuteurs qui la faisaient entendre. Elle consiste, par exemple, à jouer sur la polysémie des mots afin de faire passer, de façon clandestine, l’inacceptable pour du légitime.
Ainsi, j’ai entendu parfois le fait que la violence symbolique justifiait la violence physique et notamment politique. La manipulation du langage, en faisant croire qu’une différence de nature ne pourrait être qu’une différence de degré, ouvre la porte à la compromission morale.
Dans le même ordre d’idées, je peux comprendre la lassitude qu’il y a à « faire barrage » politiquement en désespérant de voir un jour une vraie alternative politique mais je vois depuis plusieurs années l’ambiguïté atteindre ce qui devrait être défendu inconditionnellement.
Ainsi NON – même répété trois fois – : dire qu’aucune voix ne doit se porter sur le Rassemblement national ne suffit pas. La répétition en ce cas n’apporte aucune clarification, au contraire, elle n’est qu’une procédure rhétorique pour tenter de dissimuler une ambiguïté que l’on n’assume pas vraiment.
Et, des Républicains à La France Insoumise, on autorise implicitement l’abstention, comme si elle était un acte politique aussi fort que voter contre, comme si elle ne nous faisait pas prendre un risque immense.
Ce tour de passe-passe cherche, là encore, à travestir une différence de nature pour la faire passer pour une simple différence de degré.
Si certains ne peuvent pas dire « Il faut voter Macron », on peut toujours utiliser la formule élégante de Fabien Roussel : « J’appelle ce soir à battre l’extrême droite, en se servant du seul bulletin à notre disposition ».
Il me semble que c’est quand la lassitude nous gagne qu’il y a de la grandeur à défendre ce qui doit l’être inconditionnellement.
© Gérald Bronner
Sociologue, professeur de sociologie, Gérald Bronner est l’auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques portant sur la formation et la disparition des croyances collectives (rumeur, idéologie, religion, magie etc.) et sur la cognition humaine.
Il est membre du comité de rédaction de L’Année Sociologique, ainsi que de l’Institut universitaire de France, de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie des technologies.
Combattre l’extrême droite en 2022 c’est combattre les indigénistes et les islamistes, pas l’épouvantail MLP. Pas un fascisme fantasmé mais celui qui existe réellement et qui agit réellement sur la société. Et qui menace directement nos vies et nos libertés.
Mais la sociologie n’est pas plus une science que l’astrologie ou les « cultural » et « gender studies ». Ou le platisme.
La sociologie moderne est une inversion du réel et une inversion des valeurs.