André Markowicz. Pourquoi ils font ça ? Ou l’avenir de Poutine (Encore une fois, avec Jean-Marc Adolphe)

C’est la seule question qu’on se pose, pourquoi ils font ça, parce qu’on n’imagine pas que des gens puissent en être capables. Ils tuent et ils pillent. Ils pillent n’importe quoi, pas que des téléphones ou des télés, — ils chargent des frigidaires sur des chars, et ils essaient de filer, ils volent des corbeilles en osier, des jouets d’enfants (même des jouets cassés), ils volent, aussi invraisemblable que ce soit, des sous-vêtements, — ils pillent les appartements, ils fouillent partout, ils fouillent dans le linge sale (que les gens chassés ou tués n’ont pas eu le temps de laver), et ils volent, et ils envoient ça en Russie, dans leur famille, qui, visiblement, accepte ça, tranquille.

Ils tuent, comme ça, comme ça leur vient. Des témoignages incroyables, on pourrait croire. Ils démontent toutes les portes d’un immeuble, absolument toutes les portes, extérieures et intérieures, ils tuent ou mettent les gens dehors, ou bien ils prennent les femmes, les jeunes filles, les fillettes, ils les violent, ils les exécutent, et ils vivent là, à côté des cadavres, pendant une semaine ou plus.

Les survivants racontent ça, comme s’ils n’arrivaient pas à croire eux-mêmes (et ce n’est que trop vrai), les journalistes qui recueillent les témoignages n’en croient pas leurs oreilles, et c’est pourtant comme ça.

Et ils font ça, visiblement, partout. Où qu’ils arrivent, ils font la même chose.

Il y a, d’abord, l’idée, expliquée par Poutine et ses théoriciens (dont ce Timoféï Serguéïtsev) qu’il faut les tuer, ou en tuer le plus possible, parce que ce sont des nazis, censément, et que, donc, on peut faire avec eux tout ce qu’on veut — exactement ce que les nazis eux-mêmes disaient des Juifs, dans cette même Ukraine et partout dans l’Est, — juste, on peut faire comme on veut. On peut violer, on peut tuer, si ça te chante, c’est bien comme ça.

Et c’est une raison suffisante : en fait, ils ne violent pas des êtres humains, ils violent, je ne sais pas quoi, — juste rien. Et donc, si c’est rien, il n’y a pas de crime, — il y a juste rien.

Ils sont, eux-mêmes, comme je l’ai vu écrit sur un mur, en anglais, un « MEAT TEAM » , ils cherchent de la viande, et ils sont de la viande, de la chair à canon.

Eux-mêmes, ils ne sont rien. Ils ne sont rien parce qu’ils sont traités comme rien par leurs officiers, lesquels, eux-mêmes, sont traités comme rien par leurs supérieurs, et, de toute façon, ils doivent se nourrir, comme on dit, sur la bête, c’est-à-dire sur les gens. Il faut bien, n’est-ce pas, qu’ils se dédommagent.

Il y a ça. Il y a la misère, sans nom, dans laquelle ils vivent, eux, en Russie — pas, généralement, dans les villes, mais dans les campagnes les plus reculées, avec aucune loi qui les protège, eux, ni leur famille, parce que la Russie n’est pas « la Russie unie » du parti de Poutine, mais un conglomérat de potentat locaux. Poutine a livré le pays à des seigneurs de la guerre, des chefs de mafias, qui ont pour charge de s’engraisser à condition qu’ils envoient régulierement des « cassettes », c’est le mot, je crois, à Moscou, où il y a le service de l’administration du Président qui s’occupe de ça, de ramasser les « cassettes », de tout le pays, parce que, oui, c’est exactement comme les sous-chefs mafieux qui reversaient leur pourcentage au chef de la famille. Et c’est ça, la Russie.

Eux, les violeurs, les assassins, ils n’ont jamais vu que ça — et l’alcoolisme, dans des proportions qu’on n’imagine pas ici. Et ils arrivent en Ukraine : pour eux, dans l’Eldorado, et là, c’est la haine qui les prend, et ils se déchaînent, et ils s’amusent, ils se donnent du bon temps. Et la violence de l’armée en tant que telle, — qui est une des armes essentielles du grand décervelage, cette violence endémique, qui tue, même en années de paix, un bon millier de jeunes gens par an. Juste parce qu’ils ne supportent plus ce qu’on appelle la « dédovchtchina » — le système de bizutage.

Mais il y a autre chose. Plus ils tuent, plus ils sont à l’abri, et plus ils peuvent continuer la guerre. Parce que, dès lors, après ces paroxysmes-là, quelle paix possible ? D’abord, quelle paix dans un pays totalement dévasté, un pays dans lequel il faudra des années rien que pour déminer (je ne parle pas de reconstruire), c’est-à-dire pour que les gens puissent revenir chez eux ? — Quelle meilleure façon de détruire le pays que faire ça ?

Et pire encore : plus ils font ça, plus ils se sentent en sécurité. Ils se cacheront en Russie, et, en Russie, quoi ? Il faudrait envahir la Russie pour les chercher — même si, avec des techniques qui nous semblent toutes bêtes, on peut les connaître tous, par leur nom et prénom, avec, oui, géolocalisation en temps réel.

Que voulez-vous faire contre ça ? Ils font ça, parce qu’ils veulent gagner la guerre qu’ils perdent, juste pour détruire. Parce qu’ils ne savent faire que ça, et ils ne veulent que ça.

Et c’est pour ça qu’il faut, tous, les détruire. Pour ça qu’il faut, oui, le plus vite possible, — je ne sais pas combien de temps ça pourra prendre, — il faut que ça change en Russie, que ce régime de terreur mafieuse s’effondre définitivement.

Et c’est une autre face de l’épouvante : comment est-ce que ça pourra s’effondrer ? Par la guerre extérieure ? Non, sans doute, même si la Russie perd militairement cette guerre-ci. Par une guerre intérieure ? Peut-être. Par des milliers et des milliers de morts encore. Parce que c’est là que Poutine, même détruit, gagnera, comme Hitler a gagné, se suicidant au fond de son bunker : il aura fait régner sa mort sur des générations et des générations.

Et c’est ça, l’avenir de Poutine.

Et, attendant, aux Ukrainiens, il faut des armes offensives — pas seulement des armes qui leur permettent de se défendre.

Plus vite cette armée de maraudeurs sera anéantie, mieux ça vaudra.

© André Markowicz

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André Markowicz. Photo F. Morvan

André Markowicz, né de mère russe, a publié plus d’une centaine de volumes de traductions, d’ouvrages de prose, de poésie et de théâtre, parmi lesquels l’intégralité des œuvres de fiction de Fiodor Dostoïevski, le théâtre complet de Nikolaï Gogol, les oeuvre d’Alexandre Pouchkine, et, en collaboration avec Françoise Morvan, le théâtre complet d’Anton Tchekhov. Il a publié quatre livres de poèmes.  Ses quatre derniers livres sont parus aux éditions Inculte : Partages (chroniques Facebook 2013-2014, et 2014-2015)Ombres de Chine et L’Appartement.

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« Partages »

« Partages est le journal d’un écrivain qui se retourne sur son travail de traducteur, sur ses origines, sur ses lectures, sur la vie qui l’entoure. C’est une tentative, aléatoire, tâtonnante, de mise en forme du quotidien, autour de quelques questions que je me suis trouvé pour la première fois de ma vie en état de partager avec mes lecteurs, mes « amis inconnus ». Quelle langue est-ce que je parle ? C’est quoi, parler une langue ? Qu’est-ce que cette « mémoire des souvenirs » ? Qu’est-ce que j’essaie de transmettre quand j’écris, mes poèmes et mes traductions ? – C’est le reflet, que j’espère partageable, d’une année de ma vie. » André Markowicz

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2 Comments

  1. En 1999 les 10 millions de Serbes ont eu l ‘ avantage d ‘ être attaqués par l ‘ Otan, représentant 900 millions d ‘ habitants. Pas un seul soldat de l ‘ Otan n ‘ a mis les pieds en Serbie. Nous ne sommes pas des sauvages, nous. On s ‘ est contenté de les bombarder jusqu’à se qu’ ils lâchent le morceau, en l ‘ occurrence le Kosovo, province Serbe qui sera un peu plus tard transformé en pays indépendant.
    Les bombardements n ‘ ont fait aucun morts parmi les civils. La preuve : personne ne nous en a parlé.

  2. Il n’y a pas de « russie unie » en effet, cette guerre a révélé qu’il n’y a pas de peuple russe mais un conglomérat de populations qui pour la plupart ont été russifiées de force, comme les mandchous responsables du massacre de Boutcha. D’ailleurs Poutine lui-même, avec ses petits yeux bridés, a certainement un ancêtre issu de ces hordes barbares qui ont fondu sur ce continent et ont copieusement pillé, violé et massacré les populations locales. Les seuls authentiques « russes » (de la Rus) sont les ukrainiens.
    C’est sans doute la raison profonde de la rage démente de Poutine.

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