Sarah Cattan. « Les uns contre les autres ». Noémie Halioua est retournée à Sarcelles

Tous on s’est déjà dit à propos d’un lieu où nous vécûmes enfant qu’un jour on reviendrait. Noémie Halioua, elle, elle l’a fait.  Elle est revenue à Sarcelles bien des années après,   et la ville n’était plus ce qu’elle était jadis : Qu’étaient-ils devenus, ces juifs, ces chrétiens et musulmans qui la peuplaient alors et rêvaient d’une société qui brasserait les cultes et les cultures et dépasserait les barrières des langues et des coutumes.

Sarcelles n’est plus Sarcelles

Sarcelles n’est plus Sarcelles. Où donc est-elle, la ville multiculturelle qui fait ad nauseam fantasmer tous ceux qui n’y habitent pas et en habitent fort loin, n’y ont jamais mis les pieds ni ne les y mettront, Où donc est-il passé, ce melting pot que racontait déjà La Petite Jérusalem de Karin Albou, ce destin comme tout tracé et auquel voulaient échapper -tout en l’aimant- les Ely et Lila héroïnes de Tout ce qui brille  ?

Sarcelles a laissé la place à une ville faite de frontières invisibles régissant le vivre-séparé de communautés parlant chacune sa langue et devenues incapables aujourd’hui de partager fût-ce une même cage d’escalier, vivant en vase clos, dans des îlots construits selon des logiques de séparatisme et d’entrisme, […] vivant côte à côte mais où la moindre étincelle peut agir comme de la dynamite.

Un livre sur la banlieue et sur la disparition du commun, m’avait dit Noémie

C’est à la Classe de 4e IV de l’école Ozar Hatorah de Sarcelles que Noémie dédie son ouvrage : Année 2003 – 2004, précise-t-elle. 15 ans après en être partie, ajoutera-t-elle plus loin.

Convoquant la première personne qu’elle a interviewée, une mère de trois enfants habitants du quartier juif, l’auteur raconte l’étonnement que la chose pût intéresser quelqu’un, mais encore la peur de parler car Ici Tout se sait, avant d’en arriver à la description de l’enfer dans lequel vit son témoin : un quotidien rythmé par la terreur et l’insécurité, la crasse et l’impression de vivre dans un monde qui s’effondre un peu plus chaque jour, un monde qu’elle n’a pas les moyens de fuir.

Sont évoqués ces habitants de la France d’en bas, cette France invisibilisée, barbarisée, abandonnée à son sort. Ces prolos postmodernes habitant les barres HLM du grand ensemble. Ceux qu’on voit rarement à la télévision et qui payent plein pot et sans mot dire les méfaits des petits barbares sur leur pauvre véhicule : Il est vrai, écrit l’auteur, que la vie des habitants de banlieue agite moins le débat public que l’écriture inclusive et la gestation pour autrui, et, bien sûr, moins de compassion que quelque migrant d’où qu’il vînt.

La vitrine du métissage ethnique était devenue la ville la plus communautarisée de France

Qu’étaient devenues Sarcelles et ses 60 000 habitants au cours de la dernière décennie passée, se demande l’auteur, évoquant cette petite Jérusalem à la fois singulière et emblématique, cette ville laboratoire de premier ordre, cette banlieue au carré porté en exemple du vivre-ensemble dès ses débuts, la ville nouvelle bâtie sur des champs de légumes dans les années 50 et désignée port d’attache de milliers d’arrivants au fil des vagues migratoires successives, qu’elles fussent la conséquence de décolonisation ou de tragédie de l’histoire et qui trouva un temps un équilibre tout en accueillant des déracinés des quatre coins de la planète et qui n’avaient a priori rien en commun ? La vitrine du métissage ethnique était devenue la ville la plus communautarisée de France.

Des Sarcelles, il y en a des dizaines en France

Des Sarcelles, il y en a des dizaines en France. Qu’est-ce qui leur est arrivé et d’ailleurs qui cela intéresse-t-il ? Noémie sait que pour écrire cette histoire, il lui faut raconter le présent de la commune au regard de son passé, et s’appuyer sur des témoignages, des chiffres, des sondages, des comptes-rendus de Conseils municipaux, donner la parole à ceux qui y vivent encore comme à ceux qui en sont partis, mais encore témoigner elle-même de son enfance et d’une partie de son adolescence, de l’histoire de l’arrivée de sa propre famille dans les années 1990 à sa scolarité en école privée juive, jusqu’à … son retour tardif pour cet article commandé… qui lui a finalement donné envie d’en faire un livre : N’est-ce pas ainsi que Noémie, à la faveur de quelques mots échangés avec le frère de Sarah Halimi, décida un jour de s’emparer du sujet et s’attela à ce qui sera le premier livre sur l’affaire.

le logement social pour nous, c’était le Hilton

10 chapitres traceront le film de Sarcelles, jadis centre du monde, épicentre de l’univers, puisqu’au-delà, il n’y avait rien. 10 chapitres qui n’éluderont pas la description de l’école bunkerisée certes mais dont l’auteur raconte non sans émotion qu’elle fut tout son monde, une bulle avec son propre calendrier rythmé par celui des fêtes religieuses que sont Kippour, Pourim, Rosh Hashana, Pessah ou Shavouot, évoqueront aussi bien l’utopie de la ville nouvelle bâtie sur des champs de choux et de betteraves rouges et faite de logements de trois, quatre et même cinq pièces avec leurs équipements ultramodernes qui comblèrent les familles nombreuses : le logement social pour nous, c’était le Hilton, se souvient Fatima, évoquant ce temps où vivre à Sarcelles est vécu comme une promotion sociale.

La désillusion

Suivent les chapitres de la désillusion à propos de ces expériences urbaines desquelles le destin sera questionné, Sarcelles que les media qualifièrent dans les années 60  d’univers concentrationnaire dans lequel émerge un étrange mal de vivre nommé la Sarcellite, mais à laquelle s’ attachèrent les déracinés qui, parce qu’ils y avaient trouvé refuge, la soignèrent, un peu comme ses parents qui s’attachent à un enfant handicapé, le tout n’empêchant pas la maladie de métastaser, un mal rapporté dans les chapitres consacrés à la ghettoïsation sociale et ethnique et au levier communautaire associatif, avant que l’ouvrage ne se ferme … sur … la fin de l’âge d’or de la communauté juive.

Renvoyer Dieu à la maison et créer du commun

Au Sarcelles C’est la fin lancé par un René Taïeb, Noémie Halioua préfère invoquer une république de laquelle la prétention première serait de loger la majorité et les minorités à l’enseigne de l’universalisme, où Dieu serait renvoyé à la maison et où l’émancipation naitrait … de … l’intégration.  Le glissement de la communauté vers la sécession commence par le rejet du reste du monde, dont Sarcelles est aujourd’hui l’emblème.

Que la République française redevienne cet idéal qui permet de transcender les différences pour créer du commun.


Les uns contre les autres – Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé. Noémie Halioua. Editions du Cerf. Mars 2022

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*