La Page de Louise Gaggini. Mon Ukraine à moi: Valeriya

Il y a quelques années, j’ai accueilli chez moi et pendant 9 ans, Valeriya, une jeune Ukrainienne qui avec ses parents avait fui une Ukraine pauvre et corrompue, pour une France qu’ils imaginaient de merveille, une France des lumières dont ils étaient certains que la douceur de vivre effacerait en eux, avec le temps, Tchernobyl et la dureté d’un peuple en résistance par obligation de survie. Valeriya ne savait pas un mot de français et moi à peine quelques-uns de Russe, alors on s’est appris à parler. Je lui apprenais le Français, elle m’apprenait le Russe, très joyeusement parce que taquine, quand je croyais avoir appris « les fleurs sont roses » elle m’avait appris « j’ai de jolies fesses ».

Intelligente, vive et solide, douée d’une volonté hors du commun, en quelques semaines elle parlait et comprenait tout ou presque, et devant ma nécessité de préparer une exposition qui s’approchait, elle avait pris, pour me permettre de travailler, la maison en main. La maison, mais aussi les enfants, les amis, les courses alimentaires, les repas et les loisirs. Le matin, elle improvisait des cours de gym aquatique pour mes amies qu’elle trouvait trop molles, tout en ne perdant pas des yeux les enfants qu’elle canalisait avec des crayons et des peintures, après avoir envoyé les hommes faire les courses.

C’était une tornade, un petit bulldozer dont la bienveillance et l’attention aux autres étaient aussi grandes que son autorité naturelle.J’avais trouvé une sœur et paradoxalement une sorte de maman qui régulièrement venait me sortir de mon atelier, inquiète de ne pas me voir manger et boire, et qui pour m’appâter faisait des gâteaux « Viens disait-elle, j’ai fait un gâteau russe ! » Un peu comme ma nonna qui inquiète de me voir trop loin de la maison de Lucchio, criait de la fenêtre « farfallina, farfallina, vieni prendere la merenda ! »

Valeriya n’était pas une grande cuisinière, ses gâteaux russes étaient lourds et pâteux, mais nous les mangions tous avec tant d’appétit pour lui faire plaisir, qu’heureuse elle nous en remettait une part à chacun, à mon grand désespoir parce que vraiment j’avais du mal avec ce gâteau, mais comment faire de la peine à une personne qui vous veut du bien ?

Les premières années furent belles pour Valeriya qui croyait à son rêve français comme on croit au Père Noël, entre foi et magie. Les journées d’été se passaient entre farniente et sport, piscine, lac, crapahutages dans les garrigues, montagne, spectacles d’enfants et rires, tellement de rires et de ces discussions qu’on ne peut avoir qu’entre filles, lorsque presque nues, voire toute nue au bord du lac et loin des regards, libérées d’entraves nous pouvions nager comme des sirènes de paradis perdus et parler d’interdits, de possibles et d’envies enfouies.

Chaque soir étaient des fêtes. Fêtes que j’inventais, mais que Valériya m’aidait à réaliser entre complicité et champagne qu’elle adorait et buvait tout en empaquetant de rubans les objets cadeaux, en me racontant son Ukraine, son Igor, ses projets, son désir de devenir française et d’aller à l’université. Les mois s’écoulaient, doux sous la main ferme et la voix déterminée de Valeriya, protectrice d’un petit monde devenu le sien, qui chaque 21 août fêtait la petite lionne du zodiaque entre cadeaux, danses, musique, vodka, bougies et gâteaux, que chacun selon ses racines confectionnait pour elle, reine de la soirée.

Mais, en septembre elle retournait à Paris, et si aujourd’hui les Ukrainiens sont devenus des personnes « à la mode » pour les Français, ils étaient absolument méprisés à l’arrivée en France de Valeriya et sa famille. Des Français dont elle dut subir les humiliations et les insultes, dès qu’elle tenta de s’inscrire dans une université, de chercher un appartement ou d’avoir des papiers.

Le pire pour elle fut d’entendre que les Ukrainiennes étaient toutes des putes. Elle fit tout ce qui était possible pour être dans la légalité, elle prit un avocat, entama toutes sortes d’investigations, c’était une force de la nature, mais malgré mon aide, je pus l’aider à avoir un appartement, tout le reste lui demeura fermé et interdit.

Son avocate lui prenait une fortune pour des lettres qu’elle n’envoyait pas jusqu’à ce que je la rappelle à l’ordre, elle travaillait jusqu’à pas d’heure, payait des impôts par dignité et respect, mais rien n’y fit, et les facilités faites à d’autres migrants qui eux le plus souvent ne travaillaient pas, ne lui furent jamais offertes. Sans papiers elle n’accéda à rien et fit donc des petits boulots payés au noir, ménages, gardes d’enfants, de 5h du matin à 9 h du soir, arrivant à des états de fatigue qui la terrassait au point d’oublier Igor et l’amour, ne lui laissant que l’envie de dormir.

Mais Valeriya n’avait peur de rien ni de personne, elle prenait le métro sans avoir de papiers et elle survivait en France comme elle avait survécu en Ukraine, avec rien ; un rien qui pourtant n’entamait pas sa force, une force qu’elle tentait de m’insuffler parce qu’elle me jugeait trop fragile. « Chérie disait-elle, chaque matin tu te mets devant le miroir et tu répètes 50 fois « je suis belle, je suis intelligente, je suis la plus belle, je suis la plus intelligente ».

Elle disait ça en me montrant l’exemple, et moi de la voir droite et debout, indestructible devant l’adversité, je me disais qu’elle avait raison, elle était belle et intelligente, et parfois pour moi-même, avec ce mantra que nous psalmodions ensemble, je finissais par y croire. Enfin, un peu, un petit peu seulement. Le temps de sa voix, le temps de sa présence.

Pendant 9 années, de juin à fin septembre Valeriya revenait à la maison, mais aussi à Noël et au Jour de l’an, enfin dès qu’elle le pouvait, comme un oiseau revient au nid, mais avec de moins en moins d’espoir et toujours plus d’amertume.

Sa belle énergie s’était fracassée sur une France qui l’ignorait, ne voulait pas d’elle, ni de son courage, la France voulait d’autres migrants que ceux de l’Ukraine.

Vaincue par la médiocrité d’un système pour qui l’Ukraine n’était aucun district connu et dont les femmes étaient vues comme des putes, elle fit ce qu’elle avait claironné qu’elle ne ferait pas.

Pour pouvoir rester sur le territoire français elle se maria et fit un enfant.

Aujourd’hui Valeriya est triste pour l’Ukraine, mais elle a surtout envie de pleurer devant la dérision de la vie, même si de ses yeux aucune larme ne coule, parce que les slaves ça ne pleure pas ou seulement au son d’un violon triste en buvant de la vodka, les slaves ça résiste, c’est tout !

© Louise Gaggini

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Ecrivain, journaliste, mais aussi sculpteur et peintre, pianiste, bref une « artiste plurielle ». Diplômée de lettres, d’Histoire de l’Art et de Conservatoire de musique. Auteur de nombreux dossiers pour la presse et la télévision, dont certains ont été traduits par l’Unesco, des organismes humanitaires et des institutions étrangères à des fins d’éducation et de prévention et d’autres furent diffusés par l’EN, Louise Gaggini est l’auteure d’essais et de romans dont La résultante ou Claire d’Algérie et d’un livre d’art pour l’UNICEF: Les enfants sont la mémoire des hommes. Elle est aussi l’auteure d’essais de société, et expose régulièrement, récemment à New York.
elle a publié son premier roman pour littérature jeunesse en 2001, et son premier roman pour adultes en 2004.

Où la trouver :

http://www.nananews.fr

http://www/louise-gaggini.com

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3 Comments

  1. C’est affreux. Je peux livrer un témoignage un peu similaire dans ma ville : un couple de Georgiens ne demandant qu’à s’intégrer en France et qui ont été déboutés du droit d’asile alors qu’ils étaient menacés de mort (par la mafia si j’ai bien compris) s’ils revenaient dans leur pays. Des Français devaient les cacher illégalement pour qu’ils échappent à la police. Concernant les propos xénophobes et misogynes sur les femmes ukrainiennes on les retrouve dans toute cette sale Union européenne : sur un forum un portugais écrivait au sujet des ukrainiennes réfugiées dans son pays « elles trouveront refuge et pourront travailler dans nos quartiers chauds ». C’etait censé être drôle. Pleurons au milieu des ruines de ce que furent la France et l’Europe.

    • Cela montre bien le caractère mensonger et odieux des déclarations de Rockaya Diallo selon qui les migrants ukrainiens seraient privilégiés par rapport à ceux venus d’Afrique. Cette femme et son public sont une honte pour le genre humain.

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